Voilà ce qui s’appelle avoir une longueur d’avance. Selon le site spécialisé Montre-cardio-GPS, qui a compilé début 2024 les données de 111 000 utilisateurs de l’application Runalyze, c’est un bracelet Garmin qui habille le poignet de 75% de ces coureurs, qu’ils s’alignent régulièrement au départ d’un marathon ou qu’il se contentent d’un footing du dimanche. Laissant donc loin derrière ce fabricant américain tous les autres spécialistes de montres sportives, tels que Polar ou Suunto, mais aussi le géant Apple. Pas si mal pour cette société née en 1989 seulement, peu après l’ouverture aux civils du signal GPS. Et qui en avait alors profité pour développer des applications professionnelles de navigation, dans l’aéronautique et le naval, avant, au tournant des années 2000, de se lancer dans les boîtiers pour automobilistes.
Certes, selon la société d’analyse Canalys, la marque ne pèse que 11% du marché beaucoup plus large de la montre connectée, cette fois loin derrière Apple (49%). Mais, pour les seules applications sportives, elle a su devenir incontournable. «Garmin est le seul fabricant à avoir développé des gammes adaptées à la pratique de nombreuses disciplines comme le cyclisme, le trail, le golf, la plongée, la voile…», détaille Frédéric Saint-Etienne, directeur de la communication de la société en France. Ce segment tire désormais sa croissance : en 2023, alors que le chiffre d’affaires global de la marque avait grossi de 8% sur un an, celui de la partie fitness, qui comprend les montres et bracelets connectés, avait explosé de 22%. Et, en seulement cinq ans, entre 2018 et 2023, la filiale française a vu ses revenus bondir de 50%, pour atteindre 142 millions d’euros.
«Une autoévaluation constante de sa performance, dans un culte de celle-ci»
Ce rythme ne risque pas de ralentir, tant cet accessoire digital est devenu indispensable aux sportifs les plus chevronnés. «Il permet de recueillir des statistiques précises sur son activité : distance parcourue, durée, dénivelé, et fréquence cardiaque», explique Lucas Murciani, créateur de contenus autour de la course à pied, et lui-même solide pratiquant. Tout comme il y a une technologisation de la vie courante – via l’usage de Siri ou du frigo connecté, «il y a une technologisation du sport», constate Olivier Bessy, sociologue du sport à l’université de Pau et auteur de Courir de 1968 à nos jours (Ed. Cairn, 2022). Le tout couplé à «une autoévaluation constante de sa performance, dans un culte de celle-ci».
On ne compte plus, d’ailleurs, les sportifs professionnels devenus partenaires de la marque, comme l'ultra-traileur français Mathieu Blanchard ou les coureurs de l’équipe cycliste néerlandaise Visma-Lease a Bike. Pour s’imposer auprès de cette clientèle très sollicitée, Garmin multiplie les accords de sponsoring avec les grandes compétitions, à l’image du Marathon de Paris, ou avec les fédérations sportives, comme la Professional Triathletes Organisation (PTO). L’an passé, son modèle multisport Fénix 8 – «la gamme de référence et le best seller», selon Frédéric Saint-Etienne – a par exemple été lancé lors du très médiatique Ultra-Trail du Mont-Blanc, dont Garmin est partenaire.
Une innovation constante pour tous les sportifs
En complément, le leader du marché met aussi l’accent sur l’innovation, en consacrant 15% de son chiffre d’affaires à la R&D. «Nos montres enregistrent de plus en plus de datas, qu’elles relèvent de la santé ou de la performance sportive. Et cela de plus en plus précisément», assure Frédéric Saint-Etienne. Pour amortir ses coûts de recherche, l’américain n’hésite pas à exploiter les innovations issues de ses autres branches d’activité. C’est ainsi que depuis 2020, certains de ses boîtiers sont équipés de sa technologie Solar, qui permet une recharge solaire de la batterie, grâce à une couche semi-transparente de cellules photovoltaïques. De quoi allonger drastiquement l’autonomie de ses montres, parfois à près d’un mois et demi.
Mais la marque n’aurait pas vendu 16% de bracelets en plus en 2023 si elle ne s’adressait qu’à l’élite des coureurs, des nageurs ou des cyclistes. Garmin s’applique donc aussi à séduire les sportifs du dimanche... «Les nouveaux pratiquants n’ont aucun vécu athlétique et ont donc besoin de technologies de substitution pour analyser leurs performances», explique Olivier Bessy. Pour cette clientèle de néophytes, la marque sait varier les plaisirs, en multipliant taille des boîtiers et coloris (on compte plus de 200 modèles, répartis au sein d’une quinzaine de gammes), tout en veillant à ses prix. Même si sa Fénix 8 coûte au moins 1 000 euros, certaines montres sont par exemple disponibles dès 150 euros.
Garmin développe des fonctionnalités ludiques
Le fabricant veille surtout à la connectivité, car il faut que ces amateurs puissent communiquer en direct leurs performances, que ce soit sur Facebook ou sur Instagram, ainsi que sur Strava, une application populaire de partage des temps et parcours de course. «L’intégration du GPS a permis de poster sa séance sur les réseaux sociaux, et notamment la trace enregistrée, en plus des différentes datas», rappelle Frédéric Saint-Etienne.
Ludiques, ces fonctionnalités ont donné un coup de fouet au marché. «Elles conduisent à une certaine “gamification” de la pratique, développe Guillaume Vallet, économiste du sport. Tout devient objet de jeu et de défi : le nombre de pas que l’on fait, son kilomètre parcouru le plus rapidement, son niveau de forme… Garmin, qui l’a bien compris, est le fabricant qui propose le plus d’options de suivi, histoire de ne jamais lasser.» Les athlètes en herbe se laissent d’autant plus prendre au jeu que la marque sait s’adapter à leurs habitudes. «Elle propose des produits universels, tout en prévoyant des spécificités locales», confirme Guillaume Valet. C’est ainsi que, dans leurs déclinaisons anglaises, ses modèles intègrent des données sur le… golf.
Garmin en chiffres
- 1 000 euros pour le modèle star, la Fénix 8
- + de 22% du chiffre d’affaires mondial en 2023 pour les montres et les bracelets connectés
- 75% de part de marché pour Garmin chez les sportifs
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