Longtemps perçu comme un terrain d’expérimentation réservé aux marginaux ou aux pionniers du numérique, le marché des cryptomonnaies s’impose peu à peu dans le paysage global de l’investissement. Désormais, les plus grandes institutions financières, banques, entreprises et même certains États s’y intéressent activement, contribuant à la légitimation progressive de cet écosystème en pleine maturation.

Au cœur de cette transformation, deux actifs dominent largement : Bitcoin (BTC) et Ethereum (ETH), qui à eux seuls concentrent près de 70 % de la capitalisation totale du marché crypto. Mais ces deux piliers sont-ils comparables ? Quelles différences les opposent ? À quoi servent-ils réellement ? Et surtout, lequel pourrait tirer son épingle du jeu dans les trimestres à venir ? Alors que le Bitcoin continue de battre des records, l’Ethereum reste à la traîne. Un retard préoccupant ou une opportunité ?, s’interroge Chloé Desenfans, cofondatrice du groupe Blockchain Process Security (BPS), interrogée par Capital. L’experte nous apporte des éléments de réponse. Tour d’horizon.

Bitcoin : l’or numérique

Pour comprendre la portée actuelle du Bitcoin, il faut revenir à sa genèse. «Lancé en 2009 sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, ce projet a été conçu comme une réponse à la domination des banques et des institutions financières sur la monnaie. L’ambition était claire : créer un système d’échange de valeur indépendant, résistant à la censure, et capable de faire office de réserve de valeur. Une alternative directe aux devises traditionnelles, souvent soumises aux politiques monétaires instables des États», indique BPS.

Aujourd’hui, cette vision prend forme. Le bitcoin s’impose progressivement comme une réserve de valeur, au même titre que l’or. «Lors des récentes tensions liées aux politiques douanières de Donald Trump, les marchés boursiers ont affiché de lourdes pertes. De son côté, Bitcoin a mieux résisté, enregistrant une baisse nettement moins marquée que celle des marchés actions», note Chloé Desenfans. Un comportement qui tranche avec ses réactions habituelles face aux chocs macroéconomiques de ce type.

Ethereum : un réseau mondial décentralisé

Ethereum a été lancé en 2015, porté notamment par Vitalik Buterin, un jeune prodige russo-canadien de l’informatique. Avant de se lancer dans cette aventure, il avait cofondé Bitcoin Magazine, l’un des premiers médias spécialisés dans l’actualité des cryptomonnaies. «Contrairement au Bitcoin, conçu pour transférer et stocker de la valeur sans intermédiaire, la vision de Buterin allait plus loin. Il imaginait une blockchain capable d’héberger et d’exécuter des applications de manière totalement décentralisée, sans avoir à faire confiance à une entité centrale. L’objectif était ambitieux : poser les bases d’un internet plus libre, résilient et ouvert à tous», explique BPS.

Avec Ethereum émerge un concept qui deviendra central dans l’évolution du Web3 : les smart contracts. «Ces contrats intelligents sont des programmes autonomes qui s’exécutent automatiquement lorsque des conditions prédéfinies sont remplies. Ils permettent à la blockchain d’agir sans intervention humaine, tout en assurant transparence et sécurité. Leurs applications sont multiples. Cette avancée a permis la création de nouveaux tokens conformes à la norme ERC-20, le développement de la finance décentralisée où la confiance repose entièrement sur le code, ainsi que l’apparition d’outils comme les portefeuilles multi-signatures, conçus pour renforcer la sécurité des fonds», explique Chloé Desenfans.

Bitcoin et ethereum : deux modèles économiques

Les modèles économiques de Bitcoin et d'Ethereum reposent sur des fondements distincts qui reflètent leurs objectifs différents dans l'écosystème des cryptomonnaies. Bitcoin fonctionne comme un système d'actif numérique conçu pour être utilisé en tant que monnaie, avec un modèle économique basé sur la rareté programmée. «Son architecture économique repose sur un hard cap fixe de 21 millions de BTC, une limite codée dans le protocole par Satoshi Nakamoto pour créer une rareté artificielle et prévenir l'inflation. Ce modèle presque déflationniste est renforcé par le mécanisme de halving, où les récompenses de minage sont réduites de moitié approximativement tous les quatre ans (tous les 210,000 blocs), diminuant progressivement l'émission de nouveaux bitcoins jusqu'à ce que la limite soit atteinte vers 2140. Cette rareté programmée, conjuguée à une demande institutionnelle en hausse, pourrait faire grimper le prix du Bitcoin vers de nouveaux sommets dans les prochaines années, en raison de la faible élasticité de son offre», relève Chloé Desenfans.

À l’inverse, Ethereum s’appuie sur un modèle économique plus complexe et évolutif, reposant depuis The Merge en 2022 sur un système de Proof-of-Stake qui récompense les validateurs pour la sécurisation du réseau. «L'introduction de l'EIP-1559 en 2021 a également révolutionné son mécanisme de tarification des transactions en instaurant un système à deux composantes : un "base fee" qui est brûlé et retire définitivement des ETH de la circulation, et un pourboire versé aux validateurs pour qu’ils priorisent ou non la transaction», indique l’experte. L’introduction de ce mécanisme de burn et de staking a permis de réduire considérablement l’inflation de l’ETH qui, contrairement à Bitcoin, ne possède pas de limite d’offre :

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Cependant, plusieurs défis restent à relever pour Bitcoin et Ethereum sur l’avenir de leurs modèles économiques. «Tous les quatre ans, les récompenses liées au minage de Bitcoin sont réduites de moitié, diminuant progressivement la rémunération des mineurs. Ce mécanisme renforce les barrières à l’entrée, rendant l’activité de moins en moins accessible aux acteurs indépendants», note Chloé Desenfans. À terme, seuls les opérateurs disposant d’une infrastructure industrielle seront en mesure de rester compétitifs, à moins que le cours du BTC ne poursuive une progression exponentielle.

Par ailleurs, une fois le plafond des 21 millions de BTC atteint, les mineurs ne pourront compter que sur les frais de transaction versés par les utilisateurs pour être rémunérés. Or, «dans un contexte où Bitcoin est davantage perçu comme une réserve de valeur, à l’image de l’or, que comme un moyen de paiement, son usage quotidien reste limité. Ce paradoxe soulève une question majeure : sans incitation économique suffisante pour les mineurs, la sécurité et le bon fonctionnement du réseau pourraient être compromis à long terme», avertit l’experte.

Du côté d’Ethereum, l’essor des solutions de seconde couche comme Arbitrum, Optimism, Base ou Unichain a transformé le modèle économique du réseau. Conçues pour désengorger la couche principale, «ces L2 permettent de publier des données via des "blobs" pour moins d’un dollar, captant ainsi l’essentiel de la valeur économique tout en ne reversant à Ethereum qu’une fraction minime. Résultat : si les frais bas profitent aux utilisateurs et s’inscrivent dans la vision d’un réseau accessible et décentralisé, ils affaiblissent l’utilité de l’ETH en dehors du staking. Des propositions sont à l’étude pour introduire des frais minimums sur les blobs, dans l’objectif de réaligner les incitations entre Ethereum, ses utilisateurs, et ses investisseurs», indique Chloé Desenfans.

Comparaison du bitcoin et de l’ethereum en termes de chiffres

Bitcoin et Ethereum dominent le marché des cryptomonnaies depuis des années, occupant respectivement la première et la deuxième place du classement. Avec une capitalisation de 2 070 milliards de dollars, Bitcoin représente à lui seul plus de 60 % de la capitalisation totale du marché crypto. À titre de comparaison, l’or atteint environ 20 000 milliards de dollars, soit dix fois plus. De son côté, Ethereum affiche une capitalisation de 300 milliards de dollars. «Mais son influence va bien au-delà : en tant que socle d’un large écosystème de projets décentralisés, sa capitalisation combinée dépasse les 520 milliards de dollars. C’est également sur Ethereum que se développe la majeure partie de la finance décentralisée (DeFi), avec plus de 50% de parts de marché selon les données de DefiLlama», fait valoir l’experte.

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Côté inflation, l’ETH progresse à un rythme annuel très modéré de 0,06%, contre 0,85% pour Bitcoin, une tendance qui devrait continuer à décroître au fil des halving. L’activité réseau illustre aussi leurs différences : Bitcoin traite environ 250 000 transactions par jour, contre plus de 1,2 million pour Ethereum, porté par la diversité d'applications et de protocoles déployés sur sa blockchain.

Analyse des facteurs clés pour les prochains trimestres

Vers quel actif orienter ses préférences pour les trimestres à venir ? «Avant de comparer les dynamiques court terme, un point fondamental mérite réflexion : quelle vision vous inspire le plus ? Celle d’une réserve de valeur décentralisée, robuste et résiliente comme le Bitcoin, ou celle d’un ordinateur mondial capable de redéfinir le web, incarnée par Ethereum ? Car sur le long terme, c’est souvent la conviction qui permet de traverser les fluctuations du marché», souligne BPS.

Dans un contexte économique potentiellement instable, Bitcoin semble bénéficier d’un positionnement plus défensif. Sa fonction de réserve de valeur et son adoption croissante par les institutions, les entreprises et certains États renforcent cette posture. Si les conditions économiques venaient à se détériorer, Bitcoin pourrait logiquement surperformer Ethereum.

Historiquement, les cycles haussiers ont toujours vu Bitcoin mener la danse, avant de redistribuer les flux de liquidité vers les actifs dits "secondaires", comme Ethereum et les altcoins. «Si ce schéma venait à se répéter - ce qui reste hypothétique - une nouvelle "altseason" pourrait émerger, propulsant Ethereum et d’autres cryptomonnaies vers de nouveaux sommets. Avec une dominance du Bitcoin actuellement à son plus haut, un rééquilibrage du marché en faveur des altcoins semble plausible», juge l’experte de BPS.

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Du côté de Bitcoin, la proposition de Donald Trump de créer une réserve nationale stratégique de BTC, annoncée durant sa campagne, pourrait constituer un tournant majeur. «Si cette mesure venait à se concrétiser, elle renforcerait considérablement la légitimité de l’actif, même si les modalités précises restent encore floues à ce jour. De son côté, Ethereum commence à faire son entrée dans la trésorerie de certaines entreprises en tant qu’actif stratégique. À l’instar de la stratégie menée par MicroStrategy avec Bitcoin, un nombre croissant d’acteurs institutionnels envisagent désormais de constituer une réserve d’ETH. Une dynamique qui pourrait exercer une pression acheteuse notable sur le jeton», relève BPS. Pour les ETF, les signaux se croisent entre Bitcoin et Ethereum. Les ETF Bitcoin ont connu un succès fulgurant auprès des investisseurs institutionnels. L’ETF IBIT de BlackRock a battu des records, dépassant même la capitalisation de leur ETF sur l’or, IAU.

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Toutefois, un retournement de tendance semble se dessiner : pour la première fois depuis plusieurs mois, les ETF Ethereum enregistrent des flux positifs, tandis que ceux liés au Bitcoin connaissent des sorties de capitaux. Un signal encourageant pour Ethereum, qui pourrait bien entamer une nouvelle phase d’adoption, selon BPS.

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Conclusion : acheter le bitcoin ou l’ethereum ?

Bitcoin ou Ethereum ? «La tentation de désigner un vainqueur est forte, mais peut-être faut-il dépasser cette logique binaire. L’un se positionne comme une réserve de valeur antifragile, l’autre comme l’infrastructure d’un internet financier en pleine évolution. Deux récits, deux visions, deux dynamiques. À l’heure où les marchés oscillent entre innovation technologique et quête de sécurité, la vraie question n’est peut-être pas de choisir l’un au détriment de l’autre, mais de comprendre le rôle que chacun peut jouer dans une stratégie d’investissement éclairée», selon BPS.

Dans un environnement aussi mouvant, «l’agilité, la veille et la conviction personnelle resteront les meilleurs alliés des investisseurs. Car au fond, ce n’est pas seulement une affaire de capitalisation ou de technologie, mais de confiance dans l’avenir que ces actifs cherchent à dessiner», fait valoir Chloé Desenfans. Les lecteurs de Momentum, la lettre d’investissement de Capital sur la Bourse et les cryptomonnaies, ont pu acheter et vendre le bitcoin à d’excellents timings ces dernières années. Achetez des actions et des cryptomonnaies à des moments bien choisis avec Momentum. Pour rejoindre notre communauté d’investisseurs, il suffit de cliquer sur le lien ci-après.