Si l’été est souvent synonyme de calme plat sur le marché des cryptos, ce mois d’août fait figure d’exception et a même permis de franchir un cap historique, pourtant passé inaperçu. Tandis que tous les regards sont tournés vers les performances des ETF Bitcoin et Ethereum au comptant, une grande partie des activités on-chain se fait par l’intermédiaire d’une autre catégorie de cryptoactif : les stablecoins.

Pour rappel, les stablecoins représentent un type d’actif numérique conçu pour maintenir une valeur stable par rapport à une monnaie fiduciaire comme le dollar ou l’euro. Pour garantir cette stabilité, les actifs numériques en circulation sont soutenus par une réserve équivalente en monnaie fiduciaire, conservée par un tiers de confiance. Bien qu'il existe plusieurs types de stablecoins, la majorité, appelés "centralisés", sont garantis par de l'argent liquide ou des actifs facilement convertibles en cash, comme des bons du Trésor, qui permettent à ceux qui les émettent de générer du rendement. Aujourd'hui, le marché des stablecoins représente plus de 172 milliards de dollars, soit près de 50 % du volume total du marché des cryptoactifs, où prédominent l'USDC et l'USDT respectivement émis par Circle et Tether.

Sur le mois d’août dernier seulement, plus de 1 500 milliards de dollars de volume de transactions ont été enregistrés sur la blockchain Ethereum, soit le double par rapport aux sept premiers mois de l’année. Un record qui reflète la montée en puissance des stablecoins et l’arrivée de nouvelles dynamiques qui vont au-delà de l’écosystème crypto et de la finance décentralisée (DeFi). En effet, bien que les stablecoins restent en grande majorité utilisés pour des opérations de trading, d’autres cas d’usage se développent à l’échelle mondiale et apparaissent comme des alternatives financières nouvelles pour un grand nombre d’individus.

L'adoption des pays en développement et des institutionnels

Parmi eux, le paiement en pair à pair - notamment utilisés pour les envois de fonds -, la réalisation d’opérations de change afin d’accéder au dollar de manière rapide - simple et moins coûteuse -, ou encore l’épargne pour lutter contre la perte de valeur relative de certaines devises locales. Des exemples qui rappellent toute la proposition de valeur initiale ainsi que l’innovation technique et financière apportées par ces technologies, où chaque individu peut transférer de la valeur de manière instantanée, partout dans le monde et pour des coûts proches de zéro. Naturellement, ces pratiques sont principalement observées dans des zones géographiques à forte instabilité politique et économique : inflation élevée et perte du pouvoir d’achat, faible taux de bancarisation, accès aux réseaux monétaires complexe et coûteux, etc. Parmi les pays où l’utilisation et l’adoption des stablecoins sont les plus élevées figurent notamment le Nigéria, la Turquie ou encore le Brésil. Des pays où pour certains, la détention de cryptoactif demeure interdite. Un paradoxe à première vue surprenant, mais qui témoigne en réalité de l’importance et de l’alternative financière que représente cette nouvelle classe d’actifs.

Du côté des acteurs institutionnels, l’appétit pour les stablecoins s’accentue également, se matérialisant par le lancement de nouveaux produits financiers situés à l’intersection de la finance traditionnelle et du monde crypto, et se positionnant comme le principal instrument de règlement sur blockchain. L’exemple le plus convainquant est sans aucun doute celui de BlackRock, qui utilise l’USDC pour la rédemption des parts de son fonds monétaire tokénisé (BUIDL) lancé en mars dernier (521 millions de dollars de capitalisation de marché). En parallèle, d’autres cas d’utilisation sont observés et répondent à des besoins opérationnels permettant des économies substantielles en termes de temps et de coûts comme les paiements transfrontaliers, le change ou la gestion de trésorerie. Toutefois, ces derniers ne sont pas encore suffisamment matures pour être déployés à l’échelle, en raison principalement de restrictions locales dans certains pays.

Malgré tout, ces nouvelles dynamiques représentent un nouveau paradigme qui s’inscrit dans une tendance de fond marquée par l’établissement de cadres juridiques clairs autour des stablecoins dans de nombreuses zones géographiques comme l’Europe, les Etats-Unis, Singapour ou encore Hong-Kong. Ces avancées règlementaires permettent entre autres l’essor des échanges en stablecoins reposant sur des devises locales plutôt que sur du dollar. Un enjeu fort dans un marché où l’hégémonie du billet vert est fortement ancrée et qui représente aujourd’hui près de 98% des échanges de stablecoins.

L'arrivée des stablecoins dans le Forex

En Europe par exemple et depuis l’entrée en application le 30 juin dernier de la règlementation MiCA (Markets in Crypto Assets) à propos des stablecoins, seuls quatre acteurs disposent d'une licence d’établissement de monnaie électronique (EME) et sont donc autorisés à émettre des e-money tokens (EMT) adossés à l’euro. Parmi ces émetteurs figurent Société Générale Forge (EURCV), Monérium (EURe), le luxembourgeois Banking Circle (EURI) ou encore le géant américain Circle (EURC). Si les volumes d’échange en stablecoins euro demeurent anecdotiques par rapport aux stablecoins dollar, le cadre règlementaire établi devrait permettre à d’autres acteurs, financiers ou non, de suivre le pas et ainsi proposer davantage de services autour des stablecoins euro, qui représentent aujourd’hui 93% des volumes sur Ethereum si l'on exclut les stablecoins dollar.

Un moment opportun pour capitaliser sur cet environnement de marché et commencer à adresser le plus gros marché financier au monde, celui du Forex (FX) - marché des changes -, où près de 8 000 milliards de dollars sont échangés quotidiennement. Coinbase, par exemple, permet d’ores et déjà, au travers de sa blockchain Base (couche secondaire sur Ethereum), l’échange d’EURC contre de l’USDC de manière instantanée avec des frais quasi nuls. Ces évolutions technologiques permettent de concurrencer les systèmes d’échange FX traditionnels, tant sur les frais que sur les temps d’opération requis.

Ainsi, bien que d'autres formes de cash numérique soient étudiées et en cours de développement (Monnaies Numériques de Banques Centrales, dépôts tokénisés, etc.), l’avenir des stablecoins n’en demeure pas moins très prometteur. Facilitateur d’une première porte d’entrée pour accéder au marché crypto, de nouvelles tendances et cas d’usage émergent à travers le monde, tant du côté des acteurs retail que des acteurs institutionnels. Une chose est sûre, 2024 ancre un peu plus les stablecoins comme un sérieux candidat pour devenir l’un des actifs de règlement on-chain majeurs de demain, et amorce définitivement le point de départ d’une course effrénée pour les émetteurs régulés.