
D’abord secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, puis ministre déléguée à la Citoyenneté et enfin secrétaire d’Etat chargée de l’Economie sociale et solidaire, Marlène Schiappa a changé de terrain de jeu mais pas de cheval de bataille. En mai 2024, quelques mois après avoir quitté la sphère politique, elle crée Actives, une ONG qui œuvre pour la féminisation des directions du CAC 40. Objectif ? Poursuivre le combat engagé il y a des années en passant de la protection des femmes à la promotion de leur réussite. Un domaine où, estime l’ancienne ministre, il y a urgence à accélérer le mouvement. Dans un souci de parité, mais aussi de performance économique.
Il y a dix-huit mois vous créez Actives, une ONG qui vise à promouvoir l’arrivée de femmes à la tête des entreprises du CAC 40. D’où part cette initiative ?
Marlène Schiappa : D’un constat simple auquel j’ai souvent été confrontée, dans le monde économique comme en politique : lorsqu’une femme est mise en avant c’est trop souvent parce qu’elle est victime de quelque chose. Il y a aussi des femmes qui réussissent et celles-ci restent généralement sous les radars, invisibles. C’est pour mettre en lumière ces femmes, parfois malgré elles, que j’ai voulu créer Actives et en faire un levier d’action via le Next Women 40, une sélection de femmes éligibles au poste de PDG.
Quel est votre objectif avec le Next Women 40 ?
Retirer la cape d’invisibilité qui se pose sur les femmes dès qu’il est question d’une succession importante. Il y a dix-huit ans, deux femmes dirigeaient une entreprise cotée; aujourd’hui, elles sont quatre - Bureau Veritas est entré au CAC 40 et sa dirigeante était sur notre liste, ce qui prouve le sérieux de notre sélection. Idem avec Marie-Ange Debon, récemment nommée PDG de La Poste. A ce rythme, la parité à la tête de nos grandes entreprises devrait être atteinte d’ici 2234… L’objectif de Next Women 40, c'est d'accélérer le mouvement.
C’est aussi une réponse à ceux qui vous disent ne pas trouver de candidates pour le poste…
Effectivement. Que ce soit au gouvernement, du côté des actionnaires, des chasseurs de têtes ou au sein des comités de nomination, j’ai très souvent entendu : «J’aurais adoré nommer une femme, mais il n’y en avait pas…» Désormais, cette excuse ne tient plus : des femmes, il y en a ; on les a trouvées pour vous ! C’était cela l’idée : créer un vivier de femmes compétentes et opérationnelles et le faire savoir.
Concrètement, comment avez-vous procédé ?
J’ai fondé un board de 40 femmes, toutes présidentes d’associations et têtes de réseaux. Ensemble, on a créé un jury composé d’une douzaine de personnes dont Ross McInnes de Safran, Alexandra Alberti-Vedrenne, chasseuse de têtes, Anne-Marie Couderc, ex-présidente d’Air France … des personnalités expertes du monde de l'entreprise qui, toutes, ont été amenées à choisir des CEO un jour. Puis nous avons établi notre short-list.
Sur quels critères repose la sélection du Next Women 40 ?
On passe en revue les comex des entreprises cotées, les directions des grandes ETI, du SBF 120, et on opère notre sélection à partir de critères précis : avoir eu un P&L, savoir gérer une relation avec les actionnaires, être passée par l’international… La difficulté était de ne pas ajouter de critères simplement parce qu’il s’agissait de femmes. Au départ, j'ai entendu : «Elles doivent être engagées auprès des femmes, être médiatisées…», alors qu’on n’attend pas cela d’un homme. Une fois notre liste établie, on informe celles qui y figurent et on la transmet aux boards du CAC 40, aux comités de nomination et aux entreprises publiques comme la SNCF, La Poste, la RATP…
Quelles ont été les réactions ?
La première sélection a suscité pas mal d’interrogations. Le process était nouveau, le Next Women 40 peu connu ; surtout, beaucoup de femmes ont le syndrome de la bonne élève : elles continuent à penser que leurs performances parlent pour elles. Cette sélection, qui les mettait dans la lumière sans qu’elles l'aient demandé, ce n’était pas évident. La deuxième édition a été bien mieux accueillie. Les hommes aussi ont beaucoup évolué sur le sujet. Beaucoup nous ont appelés pour qu’on intègre une femme de leur comex au classement.
Pour autant, l’ambition ne se limite pas à un enjeu de parité…
C’est vrai. Pour nous, l’objectif consiste aussi à doper la performance économique des entreprises françaises. Beaucoup d'études ont prouvé que la mixité était source de performance. Raison pour laquelle je suis favorable aux quotas : j’y vois un mal nécessaire. Avec Actives, l’idée est simple : que dans un processus de succession les femmes soient envisagées à égalité des hommes, hors de toute posture dogmatique.
Que vous inspire l’idée qu’il existe un leadership au féminin ?
Je suis contre cette notion, qui comprendrait nécessairement une dimension de maman, de psy, de chouquettes apportées le matin… Elle entretient l’idée que les femmes qui réussissent doivent être des personnalités extraordinaires, performantes dans tous les domaines. Encore une fois, ce n’est pas ce qu’on attend d’un homme.
Voyez-vous Actives comme la suite économique de ce que vous avez mis en œuvre lorsque vous étiez secrétaire d’Etat et ministre ?
Oui, pendant mes années en politique, j’ai amélioré les lois sur la protection des femmes face aux violences conjugales, allongé le délai de prescription pour les viols, créé le délit de harcèlement de rue… Avec Actives, on n’est plus sur le volet de la protection des femmes, mais sur celui de la promotion de leur réussite.
Vous défendez le droit à la réussite des femmes mais, selon vous, le droit à l’échec reste également à conquérir…
Effectivement. Lorsqu’une femme échoue, cela rejaillit sur toutes les autres. Tout échec individuel prend une dimension collective ; ce n’est pas le cas pour les hommes. Et une femme qui réussit est suspecte. Cela perturbe les équilibres familiaux, sociétaux... parce qu’on attend encore d’une femme qu’elle entre dans une case alors que, pour moi, toute l’ambition est d’en sortir.
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