Top départ. Depuis quelques jours, les pharmacies françaises peuvent officiellement délivrer les stylos pré-remplis de Wegovy et de Saxenda, ces traitements "miracles" contre l'obésité. Mais l'appétit pour ces nouvelles molécules était tel que les autorités sanitaires ont pris soin d'en encadrer la prescription par un médecin spécialisé en endocrinologie-diabétologie-nutrition et de ne pas les rembourser. Pour comprendre les enjeux derrière cette annonce, relisez notre enquête sur les ambitions de Novo Nordisk et Eli Lilly, les deux géants qui développent cette catégorie dite des GLP-1 qui sont, selon la banque Lombard-Odier, «les produits pharmaceutiques les plus importants de tous les temps»!
Vous connaissiez déjà l’écureuil de la Caisse d’épargne, ou le crocodile de Lacoste. Mais, dans ce grand bestiaire des logos, il va aussi falloir vous habituer au taureau du laboratoire pharmaceutique danois Novo Nordisk. Attention, il ne s’agit pas ici d’un vulgaire bovin, mais d’Apis, un animal sacré, que les Egyptiens considéraient comme la réincarnation du créateur de l'Univers. Nous y voilà : alors que le laboratoire plaçait depuis des années ce symbole de puissance et de fertilité sur tous les médicaments de son catalogue, telle une promesse de conquête, il n’est vraiment sorti de son anonymat que depuis un an.
Une nouvelle catégorie de médicaments qui vise les 2,5 milliards d'adultes en surpoids dans le monde
Et avec fracas. Le 1er septembre 2023, le laboratoire est devenu la première capitalisation boursière européenne, avec une valorisation à plus de 421 milliards de dollars, reléguant LVMH à la deuxième marche du podium. Les deux groupes ne sont pourtant pas de même dimension. Novo Nordisk, qui a atteint les 31 milliards d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier (232 milliards de couronnes danoises), reste presque trois fois plus petit que le champion français du luxe. Cet emballement boursier en dit long sur les espoirs des investisseurs vis-à-vis du marché sur lequel évolue le labo.
Le fabricant danois s’est en effet imposé comme le champion européen des GLP-1, une nouvelle génération de médicaments au nom issu de l’hormone glucagon-like peptide-1. Initialement conçus pour soigner le diabète de type 2, ces traitements s’avèrent aussi particulièrement prometteurs en matière de lutte contre le surpoids et l’obésité. Ils ont en effet pour caractéristique de stimuler la sécrétion d’insuline et, dès lors, de ralentir le processus de digestion, via un effet de satiété. En aidant de la sorte à réduire l’appétit, ils concouraient, selon les études, à une perte de poids comprise entre 15 et 20%.
Une vertu thérapeutique qui leur ouvre un marché énorme: en plus des 500 millions de personnes souffrant de diabète dans le monde, ils pourraient s’adresser aux 2,5 milliards d’adultes en surpoids dans le monde, dont plus de 890 millions sont obèses. «Ce sont des maladies civilisationnelles dont les taux de croissance sont énormes dans les pays en développement, où on observe une occidentalisation de la nourriture et une baisse de l’activité physique», note Jean-François Thébaut, porte-parole de la Fédération française des diabétiques.
Des bénéfices en cascade, jusqu'à améliorer la courbe d'espérance de vie en bonne santé
En plus de cet effet anti-obésité, les molécules portent d’autres espoirs thérapeutiques. On découvre en effet peu à peu qu’elles seraient capables de réduire les risques cardiovasculaires, et même, à terme, d’agir contre la maladie d’Alzheimer. «C’est un moment important pour les patients, car notre offre va désormais au-delà du contrôle de la glycémie et du poids, avec un bénéfice cardiovasculaire très important et un rapport à la nourriture qui change complètement», assure Etienne Tichit. Le directeur général France de Novo Nordisk estime même que, avec de tels bénéfices, son entreprise pourrait «améliorer la courbe d’espérance de vie en bonne santé».
Les produits pharmaceutiques les plus importants de tous les temps. Banque Lombard-Odier
Un potentiel gigantesque, qui a encouragé les analystes de la banque Lombard Odier à considérer ces GLP-1 comme «les produits pharmaceutiques les plus importants de tous les temps»! Rien que ça… Alors que ce marché aurait réalisé près de 19 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2023, la même banque estime que les molécules pourraient représenter une manne de 70 à 100 milliards de dollars, d’ici à 2030. Il n’y a d’ailleurs pas que Novo Nordisk à vouloir s’arroger cet imposant gâteau: face à l’Ozempic et au Wegovy, les deux médicaments créés par le danois pour lutter respectivement contre le diabète et l’obésité, le laboratoire américain Eli Lilly a lancé ses propres remèdes, baptisés Trulicity et Mounjaro. A elles deux, et alors qu’aucune n’appartient au top 10 du secteur, ces entreprises s’attribuent d’ailleurs à égalité près de 90% du marché mondial des GLP-1.
Près d'un million d'Américains auraient déjà pris un traitement anti-obésité
Revers de la médaille, certaines de ces molécules stars viennent désormais à manquer. Ces pénuries, certes liées à l’augmentation du nombre de patients à traiter, s’expliquent aussi en partie par le détournement des traitements disponibles à des fins amaigrissantes. Alors que l'Ozempic est pris par plus de 230 000 Français, son dosage le plus léger a quasiment disparu de l'Hexagone, selon Les Echos. 42 % des pharmacies de France en avaient vendu au moins une boîte durant le mois de janvier 2024, mais elles n'étaient plus que 6 % en avril et 3 % en juin, selon l'observatoire de référence, le Gie Gers, interrogé par le journal. Les stocks sont quasiment épuisés, «ce dosage n'est présent à date que dans 1 % des pharmacies», relève le Gers. Surtout, depuis deux mois, la disponibilité du dosage intermédiaire de 0,5 mg, utilisée par les diabétiques en rythme de croisière, s'est aussi effondrée. En janvier 2024, 88 % des pharmacies de France en avaient vendu au moins une boîte, et 86 % au mois d'avril. Mais sur le mois de juin, elles n'étaient plus de 52 % à en avoir délivré au moins une boîte et cela risque d'être beaucoup moins cet été car aujourd'hui, au niveau national, «le dosage 0,5 mg n'est présent dans 1 pharmacie sur 5», relève le Gers, cité par Les Echos. Le dosage le plus fort (1 mg), en revanche, reste disponible dans 84 % des pharmacies. Interrogé par nos confrères, Novo reconnaît des retards de livraison sur le dosage intermédiaire sans en donner la raison, attendant que l'agence européenne du médicament communique. Elle est attendue d'ici fin juillet, car le problème dépasse la France.
Aux Etats-Unis, où ces soins sous forme de stylos injecteurs ont été autorisés dès 2021 dans leur prescription pour la perte de poids, l’engouement a été immédiat. Dans les officines pharmaceutiques, sous l’influence des conseils dispensés par Elon Musk ou Kim Kardashian, diabétiques et chasseurs de kilos se disputent les doses nécessaires à leur cure. Et près d’un million d’Américains auraient d’ores et déjà pris un tel traitement anti-obésité. En échange de 1 350 dollars par mois aux Etats-Unis, ou de 335 euros en Grande-Bretagne, Wegovy et Mounjaro sont ainsi devenus les chouchous de ceux souhaitant rentrer dans leur maillot avant l’été.
En Europe, les laboratoires fourbissent pour l’instant leurs armes. Dès 2022, Eli Lilly a par exemple investi 91 millions d’euros dans son site de Fegersheim (Bas-Rhin) pour y produire davantage de stylos injecteurs Trulicity, tandis que Novo Nordisk a récemment annoncé sa volonté de doubler la surface de son usine française, proche de Chartres (Eure-et-Loir). En novembre dernier, les images d’Emmanuel Macron, charlotte sur la tête, venu saluer l’annonce des 2,1 milliards d’euros d’investissement prévus pour accélérer la cadence, n’ont échappé à personne.
En France, les autorités sanitaires veillent à limiter le détournement et les mésusages
Mais l’engouement devrait être plus maîtrisé qu’outre-Atlantique. «Le cas des régimes ne rentre pas dans les indications de notre molécule, nous en appelons à la responsabilité médicale et des patients», insiste Isabelle Lonjon-Domanec, la directrice médicale France de Novo Nordisk. Dans notre pays, Wegovy n’est d’ailleurs pour le moment distribué qu’à 7 048 patients, dans le cadre d’une procédure d’accès précoce. Et, même pour sa prochaine mise sur le marché, il sera réservé aux cas d’obésité sévère. «Depuis le scandale du Mediator et autres exemples de mésusage des médicaments en vue de perdre du poids, on reste assez vigilant en France sur la réglementation et la prescription de ces médicaments», relève Chantal Julia, professeure en nutrition à l'université Sorbonne Paris Nord.
Le secteur sait cependant que l’enjeu sera tout autre si, d’ici cinq ou dix ans, cette indication était élargie aux patients en simple surpoids. Déjà, en mars dernier, Novo Nordisk révélait que le nouveau traitement anti-obésité sur lequel il travaille, l’amycrétine, permettrait de perdre deux fois plus de poids que les générations actuelles. Surtout, la forme prise par cette innovation serait bien plus pratique que les versions injectables, car il s’agira d’une pilule...
Rembourser ou pas ?
D'abord autorisé aux Etats-Unis, le médicament amaigrissant Wegovy de Novo Nordisk a aussi reçu le feu vert de l'Agence européenne des médicaments (EMA) depuis 2022. Mais ce sauf-conduit n’a pas suffi à le faire entrer dans les pharmacies françaises, où sa mise en vente est suspendue aux négociations en cours entre le fabricant et le Comité économique des produits de santé (CEPS), chargé d’en évaluer les bénéfices et de décider s’il pourra être pris en charge par l’assurance-maladie. «Prix des boîtes, date d’arrivée des génériques, quantités disponibles: une forme de marchandage s’opère pour dire si les patients pourront se faire rembourser», explique François Dermy, consultant en santé. Pour améliorer ses chances, Novo Nordisk a même soumis à nouveau son dossier, en incluant les preuves des bénéfices cardiovasculaires de sa molécule, qui venaient d’être mesurés. Pour la Sécu, la question reste épineuse, car ces traitements coûtent cher, pour un nombre exponentiel de patients potentiellement concernés. Mais elle connaît aussi la facture de l’obésité pour les finances publiques, évaluée à 20 milliards d’euros, soit 1% du PIB… En Allemagne, la question ne s’est pas posée, car une loi interdit la prise en charge des médicaments amaigrissants. Outre-Rhin, Wegovy est donc déjà disponible.
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