
Les deux géants américains des semi-conducteurs ont créé la surprise, hier, en dévoilant leur alliance pour développer de nouvelles puces. Sur le plan financier, ce deal apporte à Intel un bol d’oxygène de 5 milliards de dollars investis par son compatriote, par le biais de rachat d’actions. Nvidia détient donc désormais environ 4 % du capital d’Intel, devenant ainsi l’un de ses principaux actionnaires. La question est de savoir si cet accord pourra permettre à l’ex-icône de la Silicon Valley de sortir la tête de l’eau.
Un succession de virages manqués
Trop longtemps concentré sur les PC et les serveurs, un marché sur lequel il a longtemps joui d’un quasi-monopole, Intel a complètement manqué sa diversification. Le fondeur a amorcé son déclin il y a une vingtaine d’années, lorsque Paul Otellini, son PDG de l’époque, avait eu la très mauvaise idée de décliner le contrat que lui proposait Apple pour intégrer ses processeurs dans l’iPhone. Ensuite, il a aussi beaucoup trop tardé à investir les marchés des processeurs graphiques, exploités à l’origine pour doper les performances des jeux vidéo et désormais aussi exploité dans les calculs intensifs, l’intelligence artificielle ou le minage des cryptomonnaies. Ces virages ratés ont favorisé l’ascension fulgurante de son ex-challenger Nvidia, devenu le grand spécialiste des GPU, ces processeurs spécialisés dans les traitements d’intelligence artificielle. L’avènement de cette discipline a fait de Jensen Huang, son PDG natif de Taïwan, un nouveau tycoon. Dans le même temps, son entreprise Nvidia est devenue la nouvelle coqueluche du Nasdaq. En bourse, elle a été la première à dépasser le cap des 4 000 milliards de dollars de valorisation, et pèse désormais près de 40 fois plus lourd qu’Intel.
Comme Microsoft avec Apple ?
Lip Bu Tan, le nouveau PDG d’Intel nommé en mars, réussira-t-il à tirer profit de ce partenariat pour effectuer une inattendue remontada ? Après tout, ce ne serait pas la première fois qu’un géant surgit à la rescousse de son rival historique et moribond. Souvenez-vous, à la fin des années 90, de la main tendue par Bill Gates, le grand manitou de Microsoft, à son frère-ennemi Steve Jobs qui venait d’être rappelé aux commandes d’Apple pour la sauver de la faillite. Bill Gates avait consenti d’acheter pour 150 millions de dollars d’actions Apple, en s’engageant à continuer à développer des versions de ses logiciels, comme sa suite bureautique Office, en les adaptant au Mac. Steve Jobs avait saisi l’occasion pour étoffer son catalogue, élargir sa clientèle… et réinvestir dans de nouveaux développements, à commencer par l’iMac, l’ordinateur au design novateur, avec son modem intégré et ses couleurs flashy. Lancée l’année suivante, la machine est devenue un best-seller. La suite, on la connaît : l’iPod, puis l’iPhone ont achevé de faire de Steve Jobs une légende et de son entreprise, une icône de l’électronique grand-public.
Distancé par le géant taïwanais TSMC
Mais Lip Bu Tan est encore bien loin de marcher sur les traces du mythique patron d’Apple. Ces 5 milliards de dollars injectés par Nvidia complètent certes le butin qu’il avait commencé à engranger ces dernières semaines, grâce aux 8,9 milliards de dollars d’argent frais apportés par l’État américain et les 2 milliards de dollars investis par le fonds japonais Softbank. Mais rien n’indique que ce trésor de guerre suffira à colmater le déficit astronomique de son activité de fonderie, qui a atteint l’an dernier 13 milliards de dollars. Très gourmand en capitaux, ce business, qui nécessite d’être à la pointe de la miniaturisation des composants électroniques, consiste à fabriquer en masse – et pas seulement à concevoir, sur plan - des microprocesseurs pour d’autres marques. Et dans ce secteur qu’il dominait jadis, Intel est aujourd’hui nettement distancé par le Taïwanais TSMC, numéro un mondial... et premier fournisseur de Nvidia. Qui ne prévoit pas d’en changer pour l’instant.
Pour l’heure, Intel devra donc essentiellement se contenter de concevoir avec Nvidia de nouveaux processeurs basés sur sa technologie de puces X86 qui équipent encore de nombreux PC et serveurs, en particulier ceux des data centers. «Ce partenariat permet à Intel de marquer des points face au britannique ARM, son grand rival sur ce marché», estime Philippe Notton, patron et fondateur de SiPearl, une startup française qui conçoit des microprocesseurs pour les supercalculateurs et l’intelligence artificielle. De son côté, Nvidia s’attaque ainsi à un marché complémentaire aux fameux GPU qui font sa fortune. Après l’annonce de cette collaboration, l’action Intel a bondi dans la foulée de 25 %, à plus de 30 dollars. De quoi redonner un peu d’espoir à Lip Bu Tan, mais surtout faire jubiler Jensen Huang, qui peut déjà savourer une coquette plus-value avec ses 5 milliards d’actions Intel, acquises à moins de 24 dollars…




















