
Un vernis par seconde. C’est ce que vend Manucurist, une marque spécialisée dans l’onglerie lancée en 2017 par Gaëlle Lebrat Personnaz. Véritable success-story, l'entreprise a réalisé 50 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024 et devrait atteindre plus de 75 millions – dont 25 millions aux Etats-Unis – en 2025, le tout financé en fonds propres. Manucurist est également la seule enseigne avec laquelle Sephora US rouvre la catégorie «nails », que le géant de la beauté avait arrêtée outre-Atlantique. Pas étonnant que tous les grands noms du luxe se bousculent pour racheter cette pépite. «Ils sont tous derrière la porte», confirme, amusée, la fondatrice de Manucurist.
Comment en est-elle arrivée là ? Si, sur le papier, l’histoire de cette ancienne responsable du merchandising dans le luxe, notamment chez Louis Vuitton, Prada et Saint Laurent, qui en moins de dix ans a transformé l’affaire de salons de manucure de sa mère en un business florissant laisse rêveur, elle ne doit rien au hasard. Sa réussite repose avant tout sur son œil aiguisé de femme d’affaires, qui a su identifier une problématique de marché et s’y engouffrer : «Ma mère, qui possédait cinq salons parisiens, galérait avec le semi-permanent (un vernis gel qui ne se pose et ne s’ôte qu’avec l’intervention d’une professionnelle en institut, NDLR) : le gel, la matière première, est composé de monomères de méthacrylate qui, selon des études scientifiques, sont extrêmement toxiques pour la santé. Les professionnelles ont beau avoir l’équipement pour se protéger, cela ne suffit pas», explique-t-elle.
Un intérêt pour les vernis semi-permanents amène Gaëlle Lebrat Personnaz à créer Manucurist
Malgré le port de gants et l’utilisation de tables aspirantes, les monomères, de toutes petites molécules qui se transforment en poussière quand on retire le gel à l'aide une ponceuse ou d'une lime, peuvent être inhalés et se déposer sur les voies respiratoires. Le risque ? Le déclenchement d’asthmes sévères et autres maladies respiratoires, voire des allergies cutanées pour celles qui portent ce fameux verni semi-permanent. Dans cette ambiance de catastrophe sanitaire – à l'époque, le gel semi-permanent représentait quasiment 90% des prestations en institut –, Gaëlle Lebrat Personnaz voit une opportunité.
Passionnée depuis toujours par cette catégorie de produits «nails», pour laquelle elle sourçait les marques américaines les plus en vogue pour les salons de sa mère, elle décide de quitter son job dans l’industrie du luxe. «J’avais une vision assez nette de ce que je souhaitais faire. J’ai repris le nom de l’enseigne Manucurist – que j’avais moi-même trouvé quand ma mère a débuté dans les années 2000 – et j’ai arrêté de distribuer les vernis des autres pour lancer ma propre marque.» Elle finit par céder les instituts pour se concentrer sur le produit.

L’année 2020 marque un tournant
Elle commence par sortir une gamme de vernis classiques, ainsi qu'une ligne dédiée aux enfants, plus respectueuses de la santé et de l’environnement. Mais c’est en 2019 qu’elle commercialise son produit phare, le Green Flash, une formule très innovante. Ce semi-permanent non toxique, qui se pose à l’aide d’une petite lampe à LED, se retire en seulement une minute avec un dissolvant doux et sans acétone. Gaëlle Lebrat Personnaz le vend d’abord aux professionnels, grâce auxquels elle construit sa légitimité, et à quelques points de vente stratégiques comme le concept store parisien Merci.
L’année 2020 marque un tournant. Une décision stratégique risquée donne une nouvelle dimension à son business model : alors qu’elle s’apprête à signer un contrat de distribution avec Monoprix, elle décide finalement de ne pas donner suite à cette incroyable opportunité pour se consacrer au B to C, grâce à la mise en ligne de son nouveau site Internet. Rappelons-le : on est en pleine pandémie, tout le monde est confiné chez soi, avec du temps libre à disposition. Pour une partie de la population, se faire les ongles devient un moyen facile de s’occuper.
En chiffres
- 75 millions d’euros de chiffre d’affaires mondial attendu en 2025, contre 50 millions en 2024
- 65% du chiffre d’affaires réalisé à l’export cette année
- 4 270 points de vente dans le monde
Des ventes en ligne boostées par les réseaux sociaux
Cela tombe bien, Manucurist propose un kit complet à moins de 100 euros pour pratiquer cette activité à domicile, disponible en un clic sur le Net. «Camille, ma directrice commerciale, sentait que ça commençait à prendre sur le site et il fallait que l’on soit en mesure de répondre à cette demande.» Une demande renforcée par la présence quotidienne de Gaëlle sur les réseaux sociaux, où elle anime des «live» pour promouvoir ses produits. «Elle fait partie de cette génération d’entrepreneurs qui, en plus de gérer un business, sait aussi faire un face caméra», note Fabienne Mauny, présidente de Diptyque et mentor de Gaëlle, qui l’a recrutée chez Saint Laurent. Et d'ajouter : «C'est une personnalité solaire extrêmement attachante.» De quoi naturellement donner envie de la suivre sur les réseaux sociaux.
Mais cette e-notoriété n’aurait pas suffi si le produit n’avait pas été bon. D’autant que Green Flash n'est pas le seul succès de Manucurist : «Depuis, on a sorti la gamme Active (en 2023) avec le Glow, un vernis soin embellisseur.» Et ça cartonne tellement qu'il a été rejoint par l’Active Plump, enrichi en collagène, l’Active Bright, qui donne un effet blanchissant… «On n’a rien inventé, on s’est inspiré de ce qui se fait dans l'univers du make-up et du skin care pour proposer des formules qui soignent autant qu’elles embellissent», confie Gaëlle Lebrat Personnaz.
Une attitude maligne qui lui permet surtout de ne pas dépendre d’un seul produit. «Elle a appliqué ce qu’en marketing on appelle la stratégie de l’océan bleu. Plutôt que naviguer sur un océan rouge extrêmement concurrentiel, où la différenciation entre les marques se joue sur des détails – de nouvelles couleurs et collections –, elle a créé un océan dans lequel elle est toute seule. Aujourd'hui, rares sont ceux capables d’innover en prenant les points de friction, les défauts d’un marché, et en les retournant pour en faire quelque chose de nouveau», analyse Alexandra Jubé, fondatrice du cabinet de tendances Bureau Alexandra Jubé.

Une distribution dans les ongleries et des points de vente grand public
Cette appétence pour l’innovation, la fondatrice de Manucurist l’a également développée dans sa distribution : «Son business-model est très intéressant car elle continue de vendre en institut auprès des professionnels prescripteurs et en onglerie, tout en étant présente dans des concept stores, quelques grands magasins et dans les parapharmacies, là où les clientes finales achètent. Elle a ouvert intelligemment sa distribution, à la fois sélective et grand public, tout en étant capable de fournir», poursuit Fabienne Mauny.
Cette distribution suffisamment large pour toucher tous les acteurs clés, elle l'a bâtie grâce à une politique tarifaire bien pensée qui lui permet de se déployer ailleurs que sur son site Internet. «Il me fallait une structure de prix qui m'offre la possibilité de pratiquer le même tarif via un revendeur ou en ligne. C’est une façon supplémentaire de ne pas dépendre d’un seul canal, et donc d’un seul marché.» Au final, c’est sa peur du risque qui a permis à Gaëlle Lebrat Personnaz d’en prendre et d’entreprendre. Hâte de voir le prochain !
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