Voilà ce qui s’appelle voir la vie en rose. A leur arrivée à Marrakech, en mai dernier, c’est en effet un tapis qui avait abandonné sa traditionnelle couleur rouge qu’ont foulé les 170 invitées des Secrets de Loly. Ces clientes et influenceuses, conviées pour la présentation des dernières nouveautés de cette marque de produits capillaires, ont ensuite pu se rafraîchir dans une piscine aux transats également parés de tons roses. Auparavant, dans l’avion qui les emmenait à destination, ces mêmes invitées avaient dégusté un repas aux couleurs tout aussi girly…
Plusieurs mois plus tard, ce Barbie Land continue d’ailleurs de charmer les principales concernées. «J’ai été surprise, et je ne m’attendais pas à ce que ce soit autant dans les détails. Il y avait des arches avec des rideaux fuchsia, devant lesquels les filles se prenaient en photo, les lettres LSL dans la piscine, de grands vases avec des herbes de la pampa. J’avais l’impression d’être en symbiose avec la marque», se rappelle Laura, heureuse gagnante d’un concours Instagram qui lui a permis d’être du voyage.
Le chiffre d’affaires des Secrets de Loly a bondi de presque 60% en un an
Et peu importe le bilan carbone de ce week-end marocain, qui serait plutôt… noir. Car comment marquer autrement la réussite d’une marque qui, depuis sa création en 2009, s’est fait connaître par les couleurs pastel de ses produits, leurs noms façon cocktails d’été et son logo orné d’un papillon ? Et dont la fondatrice elle-même, Kelly Massol, apparaît le plus souvent en tenue rose, comme sur notre photo, réalisée l’été dernier. Dans un marché de la beauté particulièrement concurrentiel, cette quadragénaire a réussi à imposer ses références, dédiées aux cheveux texturés, dans plus de 4 500 points de vente en France, que ce soit des salons de coiffure, chez Monoprix ou Sephora, mais aussi des pharmacies ou certains aéroports.
Avec 2,5 millions de produits vendus en 2023, le chiffre d’affaires des Secrets de Loly a bondi de presque 60% en un an, pour flirter avec les 24 millions d’euros. Et comme près d’un tiers des ventes se fait via le site Internet, la rentabilité opérationnelle affichait un joli score de 24% pour cette même année… Tout autant que ses produits, l’entrepreneuse a su aussi imposer son visage : suivie par plus 90 000 personnes sur son compte Instagram, elle a même rejoint cette année le casting de «Qui veut être mon associé ?», une émission diffusée sur M6, où des patrons médiatiques décident, ou non, d’investir au capital des start-up que viennent leur présenter de jeunes entrepreneurs.
Sur les plateaux télé comme en affaires, ceux qui ont pu croiser la route de Kelly Massol affirment qu’elle est «cash». «Quand on discute et qu’elle dit quelque chose, je sais que ça va se produire», résume ainsi sa cousine Katia Bresler, qui est aussi son assistante. Il faut dire que cette cheffe d’entreprise n’est pas du sérail… alors pourquoi en adopter les codes ? «C’est une personne un peu clivante dans l’écosystème, elle est assez naturelle et simple», observe de son côté Anthony Bourbon, son comparse dans «Qui veut être mon associé ?». Lors de leur première rencontre, il a immédiatement reconnu la marque de ceux qui, comme lui, ont dû tracer eux-mêmes leur route. «On vient du même milieu, on a tous les deux souffert et la vie nous a laissé d’énormes cicatrices. Je comprends d’où vient sa motivation, j’appelle cela de la haine positive, une envie de revanche, une sorte de flamme incandescente.»
Une enfance qui forge son caractère
Cette haine positive, sans doute Kelly Massol la puise-t-elle dans son enfance, dont elle parle volontiers, en la qualifiant là aussi de… «colorée». «Née d’une mère qui avait 19 ans, j’ai grandi dans les années 1980. Je n’étais pas une enfant désirée. A mes six mois, ma mère est partie acheter du lait, et m’a laissée à ma grand-mère.» Jusqu’à ses 11 ans et demi, c’est dans un 15 mètres carrés sous les toits de Pigalle, à Paris, que Kelly Massol vit, avec cette professeure de mathématique qui lui sert de modèle. «Elle était une femme forte, qui ne se laissait pas marcher sur les pieds et que les gens avaient tendance à craindre», se souvient-elle. Son quotidien est alors fait de pauvreté, mais aussi d’intense curiosité culturelle, avec les balades au Sacré-Cœur, les sorties au théâtre, la découverte des vitrines des grands magasins à Noël, les cours de modern jazz et de cirque… Kelly Massol se trouve aussi une figure paternelle en la personne de son oncle. «Avec lui c’était la découverte des jeux vidéo, il me signait mes mots de retard, nous avions une grande complicité.»
Mais le décès de sa grand-mère, alors que Kelly n’a que 15 ans, la propulse plus vite que prévu dans l’âge adulte. D’elle-même, l’adolescente demande alors à être placée dans une famille d’accueil, pour échapper à une mère qui la dénigre. «La volonté, c’est prendre des décisions et être maître de sa vie. On a beaucoup reproché cela à ma grand-mère, mais elle a toujours été maître de sa vie», tranche-t-elle. La jeune fille s’inscrit ensuite à Assas, où elle cumule études et petits boulots. Mais la fracture sociale, trop forte, finit par la rattraper. «Tu te sens tellement mal à l’aise que tu te mets sous les radars, pour finalement ne plus aller en cours», se souvient-elle.
Son ascension commence donc ailleurs, via un forum lancé en 2005, baptisé Boucles et Cotons et qui réunit jusqu’à 15 000 personnes. C’est avec cette communauté de femmes aux cheveux crépus, frisés et bouclés que Kelly Massol commence à définir son projet, à portée sociétale. «On allait dans les écoles pour informer les enfants sur les dangers des produits issus de la pétrochimie. On faisait aussi des actions coups de poing dans les quartiers Château-Rouge et Château-d’Eau (secteurs parisiens connus pour leurs salons de coiffure afro, NDLR), où on militait pour que les clientes rétropédalent sur leurs achats de défrisant», se remémore-t-elle.
Kelly Massol décide de s’imposer au sein des gammes naturelles
L’élaboration de soins capillaires dans sa cuisine vient ensuite, avec un premier mélange à base d’huile végétale, d’eau de rose et de cire d’abeille, réalisé avec sa colocataire. Et c’est en parallèle d’un job de téléconseillère à la Sécurité sociale que Kelly Massol lance sa production artisanale. En prenant alors une décision stratégique : celle de choisir comme premier client La Boutique du coiffeur, une chaîne spécialisée dans la distribution de produits professionnels, plutôt que de viser uniquement les magasins dédiés à la communauté africaine.
Au lieu de se positionner dans le rayon ethnique, elle décide par ailleurs de s’imposer au sein des gammes naturelles. Pour couronner le tout, elle choisit de trancher face aux produits concurrents, ces shampoings au packaging vert ou marron. «Le rose, c’était un pied de nez. Ce n’est pas ma couleur préférée, mais c’est devenu une couleur porte-bonheur», sourit-elle. Sans avoir la notoriété d’un «Parce que je le vaux bien», ses slogans accrochent quant à eux aussi bien l’oreille qu’un refrain pop, qu’il s’agisse de «My Hair My Power», ou de «Curly not Sorry».
Pour prendre tous ces contrepieds, Kelly Massol n’a toutefois pas été seule, et elle a très vite su s’entourer. En 2017 tout d’abord, avec l’arrivée de Franck Brayard, un ancien du groupe de cosmétiques MGC International, qui devient son bras droit. «Kelly et moi sommes très différents : elle est le talent, voir le génie. Tandis que j’ai une vraie expérience de chef d’entreprise, j’ai été directeur commercial, j’ai une formation de comptable, j’ai fait des développements de marque. C’est un savoir-faire qui crée les conditions d’une croissance favorable», explique-t-il. Le tandem fonctionne. «Entreprendre quand on est une femme n’est pas facile, et quand on est une femme noire avec quelques kilos de trop, encore moins. Par contre, un homme blanc de 50 ans avec un peu de ventre, c’est rassurant !», plaisante-t-il.
L’équipe s’est à nouveau étoffée l’an passé, avec l’arrivée d’une directrice générale, en la personne de Carlota Thévenot, dont le CV aligne de belles références, de L’Occitane au parfumeur Jo Malone. «J’ai eu un coup de cœur personnel et professionnel pour cette femme, son parcours, sa ténacité et sa vision. Pour quelqu’un comme moi qui a passé toute sa carrière dans cet univers, il était temps de porter ce message sociétal d’une beauté bouclée assumée et fière», assure la CEO.
«Passer en prime time sur M6 en rose fuchsia avec les cheveux bouclés et lâchés, c’est un acte de militantisme !»
Bien sûr, la fondatrice n’a pas été épargnée par les crises de croissance. Comme en 2019, quand une scission survient avec son service marketing et communication. «Je souhaitais vendre en pharmacie et chez Monoprix, et l’équipe ne comprenait pas que je veuille ainsi cocher toutes les cases. Cela me freinait et ça a pété», confesse aujourd’hui Kelly Massol. Pour elle, l’enjeu est avant tout de tenir sur la durée. «Dans cet univers, il y a beaucoup de marques météorites qui vont très vite, très fort et se crashent, avertit Carlota Thévenot. Ce que Kelly a réussi – cultiver sa différence en creusant son sillon avec un modèle omnicanal, des produits innovants, de qualité et performants – doit perdurer.»
De la ténacité, il en a aussi fallu à Kelly pour infiltrer les couloirs de M6. «Je ne dirais pas que ça a été difficile de les convaincre, parce que je suis bonne à ça, mais il a fallu tendre sa toile», reconnaît-elle. En apparaissant avec sa robe à 39 dollars, mais un portefeuille capable de parier des centaines de milliers d’euros, la nouvelle membre du jury a séduit le public. Affable et chevronnée, elle s’est d’ailleurs distinguée comme la plus grosse investisseuse de cette quatrième saison. Surtout, en jetant son dévolu sur des start-up comme SuperJetCar, une station de lavage auto, ou Enercool, une peinture qui lutte contre la chaleur, elle a montré que ses centres d’intérêt allaient au-delà de la beauté.
Mais l’entrepreneuse, qui promeut désormais des gammes pour toutes les chevelures bouclées (elles concernent 60% des femmes, des rousses jusqu’aux blondes), au détriment des seuls cheveux crépus, n’aurait-elle pas perdu son âme de militante dans l’affaire ? Certains concurrents, comme EvasHair, fondé par Eva Biassou, ou HairArboree, la marque de Bernice Kobozo, n’ont en tout cas pas quitté leur créneau d’origine. Et la critique est récurrente de la part des internautes, sur les réseaux sociaux. «La génération TikTok ne connaît pas son histoire, réplique l’intéressée. Elle n’était pas là quand je me faisais virer des magasins de Château-Rouge par les agents de sécurité. Et ne voit pas le militantisme là où il est : passer en prime time sur M6 en rose fuchsia avec les cheveux bouclés et lâchés, c’est un acte de militantisme ! Afficher sa tête sur 600 mètres carrés sur les Champs-Elysées juste au-dessus du deuxième plus gros Sephora du monde, c’est un acte de militantisme !»
Si la fondatrice s’affiche ainsi partout, c’est en vertu d’un de ses mantras préférés : lead by example, qui la pousse à s’ériger en modèle pour la nouvelle génération. «Demandez à n’importe quelle femme noire française : est-ce que tu connais une femme te ressemblant qui a réussi, ailleurs que dans la musique ou dans le sport ? Jusqu’à récemment, elle n’avait aucun nom à donner», lance-t-elle avec fierté.
Une académie pour former les coiffeurs
Après avoir imposé ses shampoings dans les salons de coiffures, Kelly Massol veut désormais en chouchouter les exploitants ! Cet automne, elle ouvre à Paris son académie pour pallier le manque de formation des coiffeurs, qui restent souvent démunis face à des cheveux crépus ou bouclés. «La finalité c’est la cliente. Aujourd’hui elle a les bons soins, les bons gestes, elle peut trouver des produits quasiment n’importe où, mais elle ne peut toujours pas aller chez le coiffeur», résume la business woman. Son but ? Vendre des ateliers d’apprentissage des techniques de coupes et de coiffage à des groupes internationaux, ainsi que des cours de pratique lors de semaines de formation. Avec bien sûr l’idée que les professionnels utiliseront ensuite ses produits dans leurs salons. Et un objectif à plus long terme, forcément ambitieux : «Quand je vais lancer mes salons de coiffure, si je les lance un jour, au moins j’aurai des coiffeurs déjà formés !»
En attendant, cette maman de deux garçons de 7 et 8 ans, planche sur de nouveaux projets. A la rentrée, elle a inauguré son Académie de coiffure pour former les professionnels. Alors qu’elle souhaite poursuivre «l’histoire d’amour avec Sephora», un partenaire stratégique, Kelly Massol s’imagine aussi un avenir à l’international. Déjà vendus dans une dizaine de pays, comme l’Allemagne et l’Espagne, ses soins et shampoings pourraient bien abattre d’autres frontières. «Notre ambition est d’aller porter le drapeau rose en dehors de l’Hexagone», confirme Carlotta Thévenot.
A l’affût de l’air du temps, la fondatrice s’intéresse par ailleurs à la perte des cheveux, un fléau dont elle a personnellement souffert. Une piste sur laquelle «elle travaille pour de vrai», et qui pourrait s’avérer être un nouveau business porteur. Ainsi qu’une nouvelle façon de se distinguer, dans un secteur obsédé par une beauté formatée. «Pendant des années, L’Oréal a vendu aux femmes noires l’image publicitaire de cheveux tombant jusqu’aux fesses et bougeant avec le vent, alors que les mannequins portaient des perruques. Je ne veux pas rentrer dans ce travers-là.»
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