
Quand l’État préfère ignorer ses propres règles… Vous trouvez certains dos-d'âne trop hauts, trop raides ou mal placés ? Vous n’êtes pas seul. En France, plus de 450 000 ralentisseurs ont été installés sans respecter les normes officielles définies dans un décret en 1994 selon leur forme spécifique, leur hauteur maximale, leur emplacement précis, etc. Ces installations sont ainsi permises par un guide «maison» du Cerema, un centre d’études et d’expertise public relevant de plusieurs ministères comme celui de la Transition écologique et de la Décentralisation. Des recommandations qui ont été éditées en 2010 et que les collectivités ont suivies à la lettre mais qui n’ont jamais eu valeur légale. Nous en parlions en avril dernier, à la suite d’un énième contentieux lancé par deux associations de défense des automobilistes (Pour une mobilité sereine et durable, soutenue par la Ligue de défense des conducteurs). Toutes deux se battent depuis des années pour dénoncer la prolifération de ces ralentisseurs illégaux en France, jugés potentiellement dangereux, à coups de contentieux et de jurisprudence. Et là, elles tombent de haut… Vous ne pourrez plus contester les ralentisseurs illégaux déjà posés…
Une régularisation massive des ralentisseurs qui va soulager les maires
Pour éviter toute suppression de ces dos-d'âne «hors-la-loi» et de casser le bitume, l’État préfère les régulariser. En effet, le ministère des Transports s’apprête à publier un nouvel arrêté pour légaliser rétroactivement ces 450 000 aménagements litigieux, et donc élargir les normes et caractéristiques géométriques applicables aux cinq types de ralentisseurs, ainsi que les conditions d’implantation sur les routes. Et ce dans un seul objectif, celui d’aligner les recommandations du Cerema aux règles du décret d’il y a 30 ans. Rappelons que le Conseil d’État, saisi à plusieurs reprises, a d’ailleurs confirmé l’illégalité de ces ralentisseurs sans ordonner leur destruction, invoquant le principe d’indestructibilité des ouvrages publics. Il a toutefois rappelé que toute nouvelle infrastructure devra strictement respecter le décret de 1994.
Une légalisation décidée pour plusieurs raisons : pour l’État, ce dispositif permettra d’éviter des «perturbations de circulation» ou des recours financiers massifs. Premièrement, c’est éviter de froisser les collectivités en leur demandant de mettre la main à la poche pour leur destruction. Car si le coût de l’installation de ces 450 000 ralentisseurs s’est élevé à près de 10 milliards d'euros, il faudrait compter jusqu’à 7 milliards d’euros pour les faire disparaître de la chaussée, selon Thierry Modolo, fondateur et porte-parole de Pour Une Mobilité Sereine et Durable. Deuxièmement, il s’agit d’éviter aussi le plus de recours possible dans le cadre de sinistres et de nuisances sur les habitants. Outre l'usure prématurée des véhicules (soubassement, freinage, suspension, etc), et le volet perte de chance (véhicules de secours types pompiers ou Samu ralentis par ces dos d’âne), l’association explique qu’elle compte aujourd'hui 11 dossiers d’accidents corporels ouverts en instance, dont un cas de décès, «pour ceux qui osent demander de l’aide aux avocats de l’association», comme le rapporte Thierry Modolo. L’impact sur les habitations est également considérable, car les bruits et vibrations engendrés par ces ralentisseurs illégaux entraîneraient ainsi une déperdition de la valeur du bien immobilier d’environ 20 à 25%, ce qui se traduirait par environ 45 milliards de perte totale sur la valorisation de biens des Français (en comptant au minimum deux biens par ralentisseurs de chaque côté de la rue). «Ses chiffres n’ont jamais été remis en cause par aucune instance, parce que c’est réel. C’est l’arrêt de la honte, l’État essaie de balayer d’un revers de la main ces problématiques et de blanchir les hauts fonctionnaires du Cerema, ainsi que les élus qui ont refusé de respecter les règles en vigueur. C’est un coup de force réglementaire et un contournement de la justice».
Et troisièmement, pour éviter de se mettre à dos les entreprises de travaux publics sollicitées à l’époque pour installer ces ralentisseurs. Ces spécialistes pourraient en effet être à leur tour inquiétés au pénal, notamment pour manquement à leur devoir de conseil. En tout cas, les maires disposent d’un délai de dix ans à compter de la réception des travaux pour engager la responsabilité des entreprises concernées.
Ce nouvel arrêté, annoncé après une offensive juridique historique menée par le Conseil d’État, marque un tournant dans le paysage de la sécurité routière : un compromis entre contrainte réglementaire et réalités locales, mais un choix politique lourd de conséquences, selon ses détracteurs.
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