
Le premier épisode de notre enquête a révélé la boulimie d'électricité des data centers et les craintes des populations sur le développement de ces bâtisses. Ce deuxième volet approfondit l'impact écologique de ces centres de données, en explorant les innovations des professionnels du secteur pour tenter de limiter les nuisances de ces équipements sur leur environnement.
Car ces insatiables gloutons risquent aussi d’affoler les thermomètres. L’électricité consommée par leurs serveurs se transformant intégralement en chaleur, ces équipements pourraient bien intensifier les îlots de chaleur urbains, ces dômes d’air tiède enveloppant nos cités ultra-bétonnées. «Ce dégagement, qualifié par les experts de chaleur fatale car cette énergie n’est le plus souvent ni récupérée ni valorisée, est un vrai gâchis», reconnaît Damien Desanti, le patron de Phocea DC. Basé à Marseille, son data center capture une partie de son énergie pour chauffer ses bureaux, en attendant peut-être d’en faire autant avec ses voisins.
L'énergie dégagée peut aussi chauffer les piscines
Transformer ces bâtisses en usines thermiques, c’est possible techniquement. En témoigne le raccordement l’an dernier, au réseau de chaleur de Saint-Denis, d’un centre de données de la commune appartenant à l’américain Equinix. L’énergie réutilisée contribue à chauffer un millier de logements, et le centre aquatique qui a accueilli des épreuves de natation l’an dernier, à l’occasion des Jeux olympiques de Paris.
Mais les projets d’envergure, comme celui de Meta (ex-Facebook), qui parvient à exploiter l’excès de chaleur de son data center d’Odense, au Danemark, pour en faire bénéficier plus de 10 000 habitations, restent des exceptions. Notamment à cause de leurs coûts, très lourds pour les collectivités. Par ailleurs, la chaleur est difficile à transporter. Quand l’unité est trop éloignée, le dispositif perd de son intérêt. «Le problème, c’est que les installations ont tendance à s’écarter des centres-villes, explique Damien Desanti. Les plus gros sont appelés à se rapprocher des lieux de production d’électricité, souvent situés loin des centres urbains. Cela va encore compliquer la récupération de chaleur pour les logements.» Des solutions existent. Par exemple, à Marcoussis, dans l’Essonne, où le français Data4 recycle la chaleur de son centre pour faire pousser des algues. Les végétaux aquatiques pourront ensuite alimenter un méthaniseur afin de produire du biogaz ou trouveront d’autres débouchés, dans l’agroalimentaire par exemple.
Rafraîchir avec de l’eau... ou en immergeant dans l’huile
Sous la pression de Bruxelles, qui les oblige à communiquer chaque année leur niveau de performance énergétique – le Power Usage Effectiveness (PUE) –, mais aussi pour réduire leurs coûts, les professionnels rivalisent d’innovations. «Nous venons tout juste de déposer notre centième brevet», se réjouit Grégory Lebourg, le responsable des programmes environnementaux chez OVHcloud. Le fleuron français de la discipline, à la tête de 43 data centers dans le monde, est l’un des grands spécialistes du watercooling, une technique utilisant l’eau pour rafraîchir les serveurs et éviter surchauffe et pannes. Aujourd’hui encore, neuf installations sur dix sont rafraîchies à l’air. Mais leurs systèmes basés sur des climatisations traditionnelles pèsent pour plus de la moitié de leur consommation d’électricité ! Afin de réduire à la fois température et facture, les professionnels s’orientent progressivement vers le refroidissement par liquide, une solution explorée depuis vingt ans par OVHcloud.
Plusieurs technologies exploitent cette piste, comme les tours aéroréfrigérantes («cooling towers»), qui s’inspirent des centrales nucléaires en combinant évaporation d’eau et récupération de l’air ambiant extérieur. Plus récent, le refroidissement direct par liquide consiste à acheminer l’eau au plus près des composants informatiques de chaque serveur, via un système de canalisations, afin de rafraîchir le matériel. Dernière innovation, plus futuriste : l’immersion. Elle propose tout bonnement de plonger, entièrement et en permanence, les serveurs dans des bacs remplis d’huile. «Le liquide 100% biodégradable que nous exploitons est tiré du recyclage des huiles de cuisson. Ses propriétés sont identiques à celles du liquide de refroidissement utilisé pour les batteries des voitures électriques», explique Frédéric Delpeyroux, le patron de TotaLinux, une société de services développant ce concept. Baptisé ITrium, ce dispositif présente l’avantage d’évacuer efficacement la chaleur, en consommant moitié moins d’électricité… et surtout sans gaspiller la moindre goutte d’eau, une ressource de plus en plus galvaudée par les data centers.
La soif inextinguible de ChatGPT
D’après une récente étude scientifique, l’entraînement de ChatGPT aurait à lui seul provoqué l’évaporation de quelque 5,4 millions de litres d’eau, dont 700 000 potables, dans les data centers de Microsoft aux Etats-Unis. L’inventeur de Windows n’est pas le seul Gafam à abuser de cette précieuse ressource. En 2023, les centres de Google ont absorbé 24 milliards de litres d’eau, l’équivalent de 9 600 piscines olympiques. Sachant que ChatGPT sirote l’équivalent d’une bouteille d’eau d’un demi-litre toutes les dix à cinquante requêtes, les scientifiques prévoient qu’à ce rythme-là, l’IA pourrait siphonner, dès 2027, 4,2 à 6,6 milliards de mètres cubes d’eau par an… soit un volume couvrant quatre à six fois les besoins d’un pays comme le Danemark !
Digital Realty, un leader mondial controversé
L’américain Digital Realty, numéro un mondial (6 milliards de dollars de chiffre d’affaires, 323 data centers dans le monde, 16 en France) est dans le collimateur des associations françaises de défense de l’environnement. Voilà deux ans, l’une de ses quatre installations marseillaises a été épinglée par la préfecture pour avoir laissé s’échapper dans l’atmosphère 745 kilogrammes de fluide frigorigène, une pollution «qui correspond en équivalent CO2 à une distance de près de 9 millions de kilomètres parcourus en voiture thermique», précisaient les inspecteurs dans leur rapport révélé par le journal local Marsactu. Il ne lésine pas non plus sur l’eau. Dans une enquête de 2023, la Direction de l’environnement d’Ile-de-France évaluait la consommation d’eau annuelle d’un seul de ses douze centres parisiens à 248 millions de litres, soit l’équivalent de 99 piscines olympiques.
A Marseille, le collectif Le Nuage était sous nos pieds et l’association La Quadrature du Net lui reprochent d’avoir détourné l’eau souterraine d’une ex-galerie minière pour refroidir ses unités. «Ce procédé que nous avons inventé et qui est soutenu par l’Ademe (l'Agence de la transition écologique, NDLR) n’a aucun impact sur les usages, car l’eau prélevée n’est pas potable. En outre, il contribue à faire baisser notre consommation d’électricité, rétorque Fabrice Coquio, le président de Digital Realty en France. Nos détracteurs se trompent de cible. Notre efficacité énergétique est déjà nettement supérieure à la moyenne du secteur et nous continuons d’innover en permanence pour l’améliorer.» Pas de quoi refroidir ses appétits de conquête. Sa maison mère prévoit d’investir 5 milliards d'euros en France pour y déployer treize nouveaux centres de données.
Les projets fous de data centers
Le data center troglodytique. Dans les environs de Saumur (Maine-et-Loire), un consortium d’industriels baptisé Deep Data a expérimenté pendant un an et demi un concept de data center troglodytique. Leur idée ? Profiter de la fraîcheur des caves souterraines du Saumurois pour refroidir naturellement et à moindre coût 168 serveurs, déployés dans ces galeries creusées à l’origine pour l’extraction de la pierre de tuffeau. Mais leur premier prototype enfoui à 30 mètres de profondeur, dans les entrailles d’une ancienne champignonnière, a surtout refroidi les investisseurs.
Le data center interstellaire. Alenia Space, la filiale satellites de Thales, envisage très sérieusement d’expédier des serveurs dans l’espace d’ici à 2050. Financé par la Commission européenne, le projet Ascend mené par l’industriel français, chef de file d’un consortium d’une douzaine d’autres entreprises, vise à déployer en orbite, à 1 400 kilomètres du plancher des vaches, 1 300 data centers. Truffée de calculateurs, chaque installation s’étendrait sur 200 mètres de long, 80 de large et pourrait être alimentée en électricité 100% renouvelable grâce à ses panneaux photovoltaïques.
Le data center flottant
A Nantes (Loire-Atlantique), la start-up guérandaise Denv-R vient d’amarrer, sur les quais de la Loire, son prototype de data center aquatique, installé sur une barge et alimenté par des panneaux solaires. Son intérêt réside surtout dans son système de refroidissement dissipant la chaleur de ses serveurs au contact du fleuve, sans avoir à pomper l’eau. Son projet rappelle le concept Natick de data center sous-marin expérimenté par Microsoft au large de l’Ecosse – et abandonné l’an dernier.
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