
Paris Digital Park Ici, le numérique n’a plus rien de virtuel
Mais que cache donc ce bâtiment aux allures de soucoupe volante échouée sur Terre ? C’est la question que se posent les automobilistes roulant sur l’A86 à la hauteur de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), face à cet ouvrage posé sur le terrain d’une ancienne usine Airbus de pales d’hélicoptère.
Pour pénétrer dans cet anneau de 250 mètres de diamètre et 21 mètres de haut, il faut montrer patte blanche et surtout franchir sept «man traps», des sas de sécurité dotés de scanners d’empreintes digitales. Derrière sa carapace d’exosquelette habillé de toile, l’improbable Fort Knox dévoile alors, sur une surface équivalente à celle de sept terrains de football, quelque 40 000 mètres carrés de salles informatiques aux serveurs ronronnant 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Empilés dans des armoires impeccablement alignées, protégés de la surchauffe par la climatisation, ces ordinateurs stockent nos e-mails, enregistrent nos messages postés sur les réseaux sociaux, ou font phosphorer des applications d’intelligence artificielle (IA). Avec pour clients des banques, des services de streaming ou des opérateurs télécoms.
>> Visitez les coulisses du plus grand data center de France
Ce Fort Knox high-tech a coûté plus de 1 milliard d'euros
Bienvenue dans les entrailles du Paris Digital Park, le plus grand data center de France. Au terme d’un chantier de cinq ans, ce bastion du numérique vient tout juste d’être achevé. Son propriétaire, l’américain Digital Realty (6 milliards de dollars de chiffre d’affaires), champion du secteur qui gère déjà plus de 320 centres de données dans le monde, dont 17 en France – 13 en région parisienne et 4 à Marseille – lui a consacré 1,15 milliard d’euros. La localisation du site, à proximité de réseaux de communication majeurs, le rendait particulièrement attractif.
Signe particulier ? Il est très gourmand en électricité. Le data center, qui dispose de lignes à haute tension enfouies sous terre, mobilise à lui seul une puissance de 130 mégawatts, de quoi alimenter une ville comme Rouen. Cette voracité est favorisée par l’essor de l’intelligence artificielle. Une requête sur ChatGPT consommant dix fois plus d’électricité qu’une simple question adressée au moteur de recherche de Google, le gestionnaire du réseau électrique RTE a déjà investi 300 millions d’euros pour muscler ses infrastructures, afin d’anticiper la montée en charge de ces centres de données, appelés à pulluler sur notre territoire.
Pour faire de la France une puissance de l’IA, Emmanuel Macron pousse les industriels du secteur à venir s’installer chez nous en brandissant l’atout d’une électricité nucléaire abondante et décarbonée. Un argument de poids face aux Etats-Unis, très dépendants des énergies fossiles. En février, le chef de l’Etat a même annoncé un gigaplan d’investissements privés de 109 milliards d’euros, destinés à bâtir au moins 35 nouveaux centres dans notre pays.
Son plus grand défi : réduire son impact environnemental
Pour autant, l’empreinte écologique de ces bâtisses déclenche des tollés chez les riverains. Digital Realty est dans le collimateur d’associations françaises de défense de l’environnement. Voilà deux ans, l’une de ses installations marseillaises avait été épinglée par la préfecture pour avoir laissé s’échapper dans l’air 745 kilogrammes de fluide frigorigène destiné à ses systèmes de climatisation. Cette pollution «correspond en équivalent CO2 à une distance de près de 9 millions de kilomètres parcourus en voiture thermique», précisaient les inspecteurs dans leur rapport révélé par le média local Marsactu. La société ne lésine pas non plus sur l’eau, nécessaire pour rafraîchir ses serveurs. Dans une enquête réalisée en 2023, la Direction de l’environnement d’Ile-de-France évaluait la consommation annuelle d’un seul de ces centres parisiens à 248 millions de litres, l’équivalent de 99 piscines olympiques.
«Notre efficacité énergétique est déjà nettement supérieure à la moyenne du secteur, et nous continuons d’innover en permanence pour l’améliorer», rétorque Fabrice Coquio, le patron de la filiale française. L’entreprise revendique par exemple d’être la seule à avoir exclu le fioul qui alimentait jusqu’ici ses groupes électrogènes de secours. Cette énergie fossile a été remplacée par un biocarburant de synthèse, moins polluant.
Mais pas question pour Digital Realty de renoncer à ses plans. Sur les 5,3 milliards d’euros annoncés en début d’année, l’américain en a déjà engagé 2,3 pour ériger deux nouveaux data centers, à Marseille et à Paris. Celui qui sera installé d’ici à cinq ans près de l’aéroport du Bourget, à Dugny (Seine-Saint-Denis), devrait totaliser plus de 41 000 mètres carrés de salles de serveurs et mobiliser jusqu’à 200 mégawatts d’électricité. De quoi rafler la couronne du plus grand et plus puissant data center de France à son voisin de La Courneuve. A peine sacré, déjà dépassé !
- Accès à tous les articles réservés aux abonnés, sur le site et l'appli
- Le magazine en version numérique
- Navigation sans publicité
- Sans engagement





























