Vous connaissez le paradoxe de l’œuf et la poule : qui est apparu le premier ? Eh bien c’est un peu la même chose pour le piratage des matchs de Ligue 1. Est-ce la faute du diffuseur, qui a mené une politique commerciale hors sol au démarrage avec un tarif de 39,99 euros par mois sans engagement ? Ou la faute des autorités, des ayants droit, qui ne contrôlent pas assez ? À vous de juger. Mais toujours est-il que les relations se tendent entre les principaux « partenaires » du foot français.

En effet, la plateforme britannique DAZN qui diffuse 8 matchs sur 9 chaque week-end rechigne à payer son versement du mois du février, soit 70 millions d’euros au total, qui devaient atterrir lundi, au prorata, sur les comptes bancaires de chaque club de football professionnel. Comme l’a confirmé son PDG Brice Daumin au Figaro tard hier soir, elle a bien payé 50 % de sa facture début février, mais a fait séquestrer les autres 50% sur un compte bancaire. Du coup, la Ligue de football professionnel a assigné en référé son « partenaire » pour obtenir l’argent. La décision sera rendue ce vendredi.

Le boom de l'IPTV continue

On l’a compris, dans l’argumentaire composé par DAZN pour justifier une renégociation de ce contrat qui lie les deux parties pour 5 ans, à hauteur de 400 millions d’euros par saison en moyenne, le sujet de la lutte contre le piratage est central. Une clause permet en effet de sortir du contrat, en décembre prochain, si le seuil de 1,5 million d’abonnés n’est pas atteint. Or, DAZN, qui n’aurait à ce jour que 500 000 abonnés, atteindra difficilement son objectif, malgré une multitude de campagnes de promotion pour finir la saison (la dernière offre en date revient à 10 euros par mois !) .

Seulement, le diffuseur souffre de son très mauvais lancement en août dernier, quand il avait donc fixé un tarif prohibitif, presque 3 fois plus cher que l’ancien diffuseur, Amazon Prime. Dès lors, le piratage ne pouvait que rapidement s'accélérer. Rappelons qu'il s'agit d'un phénomène durable en France, depuis les balbutiements de la musique en ligne dans les années 2000 (Napster…), jusqu'à l’essor des téléchargements (cinéma, séries américaines) sous la loi Hadopi la décennie suivante. Les forums Internet diffusaient alors notamment des liens Torrent.

Selon une étude de l’Arcom, le gendarme de l’audiovisuel, publiée l’été dernier, 19% des Français consommeraient du piratage, quelle qu'en soit la forme. « Cela a toujours été élevé mais nous observons une évolution avec de nouvelles méthodes de piratage, notamment à travers l’IPTV », nous faisait remarquer en septembre dernier Xavier Spender, délégué général de l’Association pour la protection des programmes sportifs (APPS), estimant alors « à un milliard d’euros par an, le manque à gagner pour les ayants droit en France ».

L’IPTV, ces services de télévision par Internet diffusant illégalement des contenus aux droits réservés, pullulent sur les réseaux sociaux, X, Instagram et Telegram. Les pirates accrochent des clients, qui s’engagent sur 12 mois pour des tarifs variant de 15 à 50 euros par mois en fonction de leur portefeuille de contenus illégaux. Sur ces canaux, des dizaines de milliers de personnes se rejoignent pour regarder les rencontres diffusées en direct par DAZN, avec les commentaires en français. Les pirates captent directement le flux diffusé, puis apposent leur logo en haut à droite de l’écran.

"L'Arcom, ne travaille pas les week-ends" dit DAZN

Avant chaque journée de championnat, les services de l’Arcom tentent de désactiver les liens, avec plus ou moins de succès. En septembre dernier, la directrice générale adjointe de l’institution, Pauline Combredet Blassel, confiait à Capital avoir procédé à des coups de filets sur une centaine de plateformes, portant à « 5 000 » le nombre de sites Internet bloqués depuis 2 ans, dont 500 rien qu’en IPTV, dans cette lutte commencée en novembre 2022. Des niveaux qui peuvent paraître importants, mais qui ont été durement attaqués par le patron français de DAZN, Brice Daumin, comparant le dispositif national à « une passoire ».

« L'Arcom ne travaille pas les week-ends. En Italie, on est capable de bloquer 18 000 liens en deux jours. Et l'Arcom, c'est 5 000 par an. Autrement dit, l'Italie réalise en un week-end ce que l'Arcom met trois ans et demi à faire ! Ce n'est pas une critique. Ils n'ont pas suffisamment de moyens et ce sujet doit être adressé. Lorsqu'on achète une casserole, on ne s'attend pas à avoir une passoire », a-t-il lancé dans le Figaro hier soir.

Cette attaque n’est pas vraiment juste puisque si le gros du dispositif de lutte s’opère le vendredi, juste avant le coup d’envoi des matchs de L1 du week-end, l’Arcom réalise aussi des interventions plus tard, y compris le dimanche. Mais avec les efforts budgétaires demandés par l’État aux principales autorités indépendantes, l’heure n’est pas à l’embauche massive à l’Arcom. Lors de la commission mixte paritaire (CMP) qui a gelé les crédits avant le passage en 49-3 du budget, il était question d’une baisse de 11,5% des budgets. Option finalement écartée en CMP.

Le nouveau président de l’Arcom, Martin Ajdari, spécialiste des médias et ex-directeur général adjoint de l’Opéra de Paris, devrait faire l’objet d’une cour assidue de la part des lobbyistes de DAZN pour tenter d’accentuer l’effort sur la lutte contre le piratage. En attendant, la LFP et DAZN risquent bien de continuer à s’invectiver devant les tribunaux. Il faut dire que depuis le fiasco Mediapro (le précédent diffuseur qui avait fait faillite), c’est devenu une habitude pour le président Vincent Labrune et ses équipes.