
Pour suivre les Championnats de football de Ligue 1 et de Ligue 2, David* s’est toujours abonné, depuis qu’il travaille, auprès de leurs diffuseurs successifs: Canal+, Mediapro, ou Amazon Prime. Mais cet été, après la désignation, à seulement quinze jours du coup d’envoi de la saison, du britannique DAZN comme nouveau canal officiel de retransmission de 8 des 9 matchs hebdomadaires, il a franchi le Rubicon. Et souscrit un service d’IPTV qui permet la réception de la télévision par Internet, et non plus par le réseau hertzien, ni par satellite. «Un ami, adepte, m’a parrainé, et montré comment ça marchait. En plus des matchs, je bénéficie de 2000 chaînes en direct, de films et de séries. En dehors du petit boîtier pour me connecter, payé 20 euros, cela ne me coûte que 50 euros à l’année», se félicite le jeune homme. Soit à peine plus cher… qu’un seul mois sur DAZN, qui facture son service 39,99 euros par mois sans engagement. Une tarification qui dépasse de 15 euros celle de son prédécesseur, Amazon Prime, et se retrouve donc brocardée sur les réseaux sociaux: «Prix premium pour service low-cost», «pas de consultants, pas d’émission et des pubs tout le temps, c’est honteux», «j’aime bien leur ton, je me suis abonné un mois pour voir, même si le prix est délirant»… Le mécontentement est tel que certains fans de Ligue 1 ont appelé au boycott de la plateforme.
Si s’abonner à un prestataire d’IPTV n’a rien de frauduleux, profiter comme le fait David de contenus diffusés par des intermédiaires n’en détenant pas les droits, qu’il s’agisse de sport, de cinéma ou de musique, est en revanche illégal. Et fait courir le risque d’écoper d’une amende, allant jusqu’à 1500 euros. Cela n’empêche pas le phénomène de prendre de l’ampleur, dans toutes les couches de la population, de 15 à 75 ans. «D’après une étude de l’Arcom (ex-CSA), près de 10 millions de personnes consomment illégalement des contenus audiovisuels. C’est une perte économique annuelle de 1 milliard d’euros pour les ayants droit. On fait face à des réseaux mafieux qui sont très bien organisés», souligne Xavier Spender, secrétaire général de l’Association pour la protection des programmes sportifs (Apps).
"Les pirates maximisent leur profit en revendant sur le dark Web les données personnelles"
En bas de l’échelle figurent des recruteurs qui prospectent Internet et multiplient les codes promo pour convaincre de souscrire ces services d’IPTV. Puis, en remontant l’organigramme, des techniciens très au point, capables de régler à distance un problème de connexion, parfois plus vite que les SAV des opérateurs télécoms. Avant d’arriver à la tête de réseau. «C’est elle qui, le plus souvent, s’abonne légalement au service, avant d’apposer son logo sur l’image et d’envoyer le flux aux abonnés. Si elle accroche une centaine de personnes, c’est déjà 5000 euros dans sa poche par an. Ces pirates maximisent par ailleurs leur profit, en revendant sur le dark Web les données personnelles collectées», détaille un spécialiste du secteur.
Une autre filière d’escrocs, visant en particulier les jeunes, se développe plutôt sur Telegram. Ces pirates exploitent à leur profit la possibilité laissée par l’application de messagerie cryptée de créer des «channels», des espaces privés de diffusion de contenu en direct. Depuis l’été, cet usage du «live stream» explose. C’est ainsi qu’à la mi-août, lors de la première journée de Ligue 1, plus de 200000 personnes ont suivi le match Le Havre-PSG via ce canal. Certains «channels» ont culminé à plus de 50000 connexions simultanées, soit trois à quatre fois plus que les pics observés la saison dernière. Au soir de ce même coup d’envoi du Championnat, DAZN ne recensait, selon les informations de Capital, que 7000 abonnés. Très loin de l’objectif de 1,5 million, visé en rythme de croisière. «DAZN s’est lancé en quelques jours et a mis l’accent sur le volet éditorial, avec une nouvelle façon de raconter la Ligue 1. Bien sûr, ce diffuseur est attentif au phénomène du piratage», souffle-t-on dans l’entourage de la chaîne.
L'Arcom multiplie les coups de filet
Pour l’heure, cette plateforme très gourmande bénéficie du soutien des présidents de club, qui ont validé sa désignation lors d’une assemblée générale de la Ligue de football professionnel. Le patron de Montpellier, Laurent Nicollin, par ailleurs à la tête de Foot Unis, le syndicat des présidents de clubs, a ainsi fait récemment remarquer qu’un mois d’abonnement ne coûtait pas plus cher qu’une sortie au restaurant. Il faut dire que les clubs attendent 400 millions d’euros par an de ce diffuseur, auxquels s’ajouteront 100 millions promis par la chaîne BeIN Sports, en échange de la diffusion du neuvième match du week-end. Mais cette vague de piratage ne risque-t-elle pas de siphonner les rentrées d’argent attendues? «Il y a un peu un effet loupe pour le moment. Il faudra attendre quelques mois pour mesurer les audiences réelles», indique Pauline Combredet-Blassel, directrice générale adjointe de l’Arcom. En attendant, l’autorité multiplie les coups de filet contre les pirates, presque chaque week-end. «Depuis deux ans, nous avons bloqué plus de 5000 sites frauduleux. Aujourd’hui, l’offre illégale diminue un peu sur le live stream, mais se renforce sur IPTV. C’est pourquoi nous restons très vigilants», explique la fonctionnaire.
Le gendarme de l’audiovisuel s’emploie notamment à mobiliser l’arsenal juridique à sa disposition depuis l’entrée en vigueur du DSA, un règlement européen sur les services numériques auquel doivent se conformer les plateformes. Le problème, c’est que certaines d’entre elles, comme X ou Telegram, mettent jusqu’à 24 heures à répondre à ses injonctions. Alors qu’un match ne dure que… 90 minutes. «Il est important de rappeler aux internautes les risques (financiers, juridiques…) qu’ils prennent avec ce type de service frauduleux. De notre côté, nous visons par notre action les services en tête de réseaux, qui organisent cette contrefaçon», ajoute Pauline Combredet-Blassel. Signe de fébrilité, DAZN faisait déjà des promotions mi-septembre, en offrant de façon temporaire 40 euros sur les deux premiers mois sans engagement, et en abaissant d’un tiers le prix de son abonnement annuel. Et peut-être la plateforme finira-t-elle par accéder aux demandes répétées des fans de ballon rond, de pouvoir suivre uniquement les matchs de leur club préféré, ou de payer à la carte…
*Le prénom a été modifié
FOCUS
Le partage de compte, autre arme anticrise
Partager avec des inconnus son abonnement multicompte, pour en diminuer le coût: la formule, proposée par des sites spécialisés, n’en finit pas d’irriter les éditeurs… «Ils estiment que cela parasite leur offre. Mais c’est une erreur, car, comme s’abonner revient alors moins cher, les clients restent plus longtemps», indique Jonathan Lalinec, cofondateur de Spliit, un service qui revendique 1,2 million de clients, pour 200000 abonnements partagés, sur Netflix, Deezer ou le site du journal «Le Monde».
Cet intermédiaire, qui prélève une commission sur chaque compte, se charge de trouver les coabonnés, même en cas de résiliation. «DAZN marche très bien auprès de nos clients d’Italie, un pays où le diffuseur proposait déjà du foot. Mais le démarrage est compliqué en France, reconnaît Jonathan Lalinec. A l’issue du dernier match de L1 sur Amazon Prime Video, nous avons perdu 2100 abonnés à ce service, sur les 8000 recensés. Et presque aucun n’a souscrit à l’offre de DAZN.» Il faut dire que le diffuseur facture 20 euros par mois le compte supplémentaire…
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