Enfin une bonne nouvelle pour notre président? Emmanuel Macron n’a certes pas réussi à créer une Silicon Valley à la française, comme il en rêvait. Mais à Apt, il tient peut-être sa… vallée du silicone! La capitale du Luberon, réputée pour ses fruits confits et ses champs de lavande, est le fief du plus grand producteur de prothèses mammaires en France. «Notre usine d’Apt a produit l’an dernier près de 180000 implants, tous fabriqués entièrement à la main et 100% made in France, de leur conception à leur production», fanfaronne Carlos Reis Pinto, PDG de l’irlandais GC Aesthetics, le poids lourd du secteur qui a acquis le site il y a une quinzaine d’années.
Une équipe de R&D entièrement féminine
A l’époque, les employés d’Eurosilicone, l’entreprise française alors propriétaire des lieux, craignaient une délocalisation pure et simple. Au contraire, le site a été maintenu et est même désormais la plaque tournante de GC Aesthetics en Europe. «J’ai convaincu notre actionnaire britannique de continuer à investir en France», explique Carlos Reis Pinto. «Etant donné la taille et la qualité de nos équipements, nous prévoyons désormais de doubler notre production en France d’ici 2026», explique le boss. Pour y parvenir, il compte même muscler ses effectifs (190 salariés aujourd’hui) en embauchant une centaine de personnes. Il a aussi renforcé son équipe de R&D, 100% féminine, et rassemblé sur place ses cinq ingénieures, jusqu’ici éparpillées en Europe.
Des capitaux, de la matière grise, un zeste d’audace et une bonne dose d’inventivité: dans le secteur de la chirurgie et de la médecine esthétiques, voilà les ingrédients indispensables à la recette du made in France. Même si cela ne suffit pas toujours à batailler à armes égales avec les géants du secteur tels que les américains Allergan (champion du Botox), Johnson & Johnson (implants mammaires), Cynosure (laser pour épilation et détatouage), ou encore le suisse Galderma (acide hyaluronique, collagène)… «La réglementation est sévère et la concurrence parfois déloyale, estime Carlos Reis Pinto. Pour exporter au Brésil par exemple, nous devons nous acquitter de taxes de plus de 30%, sans commune mesure avec celles supportées par notre rival brésilien Silimed, bien moins freiné par Bruxelles sur notre Vieux Continent.»
Partenariats avec l'Oréal
Pour rivaliser avec ces poids lourds, nos fleurons sont donc condamnés à gonfler leurs biscoteaux. En janvier, Eric Pérouse, le président fondateur de Symatese (525 salariés), a d’ailleurs sauté sur l’occasion d’avaler son concurrent Sebbin, le fabricant français d’implants mammaires en difficulté. «La marque Sebbin, présente dans une quarantaine de pays, et son usine de Boissy-l’Aillerie (Val-d’Oise) vont doper nos revenus sur ce marché», estime Laurent Brones, porte-parole. L’entreprise – qui commercialise aussi des produits à base de collagène, notamment à des fins thérapeutiques (pour reconstituer les peaux brûlées, par exemple), des articles à base d’acide hyaluronique pour le comblement des rides, et des seringues d’injection – refuse de dévoiler son chiffre d’affaires. Mais son état-major compte doubler son volume d’activité d’ici à 2028, en poursuivant ses partenariats avec des géants comme L’Oréal et en recrutant environ 180 salariés.
Grossir ou se faire croquer, l’alternative est on ne peut plus limpide dans le secteur. «Notre marché est très éclaté, et l’offre pléthorique commence à surpasser la demande, une consolidation me paraît inévitable», susurre un patron. Jusqu’ici pourtant, Jean-Claude et Ingrid Arion, la fratrie qui a fondé voilà trente ans le plus ancien fabricant français de prothèses mammaires, ont préservé leur indépendance en verrouillant le capital de leurs Laboratoires Arion (62 salariés, environ 10 millions d’euros de chiffre d’affaires). «Tous les ans, nous recevons 5 ou 6 propositions de rachat, parfois assez alléchantes. A chaque fois, les fondateurs déclinent. Rester une PME familiale ne nous empêche pas d’être les seuls à faire des bénéfices sur un marché difficile à rentabiliser. En France, le coût global pour le patient d’une augmentation mammaire varie de 5000 à 6000 euros dont seulement 600 euros reviennent au fabricant, le reste va dans la poche du chirurgien», confie Olivier Boetti, le directeur général, depuis son QG de Mougins (Alpes-Maritimes).
Cap vers l'Italie
Pour doper leurs marges, l’innovation reste encore le plus puissant moteur de nos fleurons. «Nous réinvestissons chaque année près de 30% de nos revenus», affirme Frédéric Samson, le PDG et fondateur de Deleo (environ 70 salariés, 17 millions d’euros de chiffre d’affaires), basé à Fréjus (Var). Créée il y a quinze ans par ce fils de dermatologue avec l’aide d’un de ses copains de fac, l’entreprise conçoit et commercialise toute une gamme de machines qui promettent d’affiner les silhouettes ou de traiter les imperfections de la peau. Outre ses lasers et ses machines dites de cryolipolyse (une technique qui vise à éliminer les bourrelets de graisse grâce à un refroidissement intense), le PDG table sur le succès de sa dernière trouvaille, Cellution, lancée il y a trois mois seulement. «Cette machine combine plusieurs technologies à base de diodes, de lasers et d’ondes vibratoires pour traiter plus efficacement la cellulite, promet-il. C’est une invention 100% française, conçue et fabriquée entièrement dans nos ateliers, à Fréjus, comme les autres machines de notre catalogue.» Porté par la croissance de la médecine esthétique, Deleo ambitionne de tripler son chiffre d’affaires dans les quatre ans, notamment en créant des filiales en Europe, à commencer par l’Italie dès octobre.
Se pose dès lors la question d’ouvrir son capital, pour financer plus rapidement son expansion internationale, mais au risque d’y perdre son indépendance et de passer sous pavillon étranger. La convoitise des fonds internationaux pour nos spécialistes de l’antirides ou de la chasse à la cellulite n’est certes pas une nouveauté, pas plus qu’une calamité. En 2018, par exemple, le géant américain Carlyle avait mis la main sur LPG Systems (450 salariés, 92 millions d’euros de chiffre d’affaires), fabricant de machines esthétiques et de physiothérapie non chirurgicale basé à Valence (Drôme). Avec l’appui de son nouvel actionnaire, LPG a déployé une filiale en Chine dès 2020, puis aux Etats-Unis en 2023, pour accélérer la commercialisation de son best-seller, Cellu M6.
En Chine, les machines françaises sont vendues plus chères qu'ailleurs
Vendue aux alentours de 30000 euros, cette machine, qui équipe 28000 professionnels dans le monde (salons de beauté, kinés…), promet tout aussi bien de réduire la cellulite et de raffermir la peau que d’atténuer les cicatrices ou de traiter les brûlures. «Notre dispositif stimule les cellules en favorisant la production d’acide hyaluronique, d’élastine et de collagène qui a tendance à ralentir avec l’âge, entraînant de fait un relâchement cutané ou la formation de rides, par exemple. A la différence d’autres traitements, qui passent notamment par des injections ou des sources d’énergie telles que les radiofréquences ou les lasers, notre traitement est naturel, non invasif et ne produit pas d’effets secondaires», insiste le PDG, Thierry Gée.
Bien que passée sous pavillon yankee, l’entreprise qui revendique désormais une dizaine de filiales à l’étranger continue d’innover (35 millions d’euros investis en R&D ces dix dernières années) et de parier sur son site de Valence, où sont toujours produites ses machines. Et pas question de délocaliser. «Sur le marché de la beauté, le made in France reste un atout, surtout sur le marché chinois, confie-t-il. C’est une valeur ajoutée qui nous autorise même à vendre nos machines là-bas plus cher que partout ailleurs!»
Antirides : le match gagnant du président du FC Nantes
A au moins 250 le millilitre, l'acide hyaluronique n'est pas seulement réputé pour ses vertus hydratantes et son action réparatrice sur la peau. C'est aussi une poule aux oeufs d'or pour ses producteurs, qui se partagent un gâteau mondial de près de 12 milliards d’euros. Ce nectar de jouvence a ainsi fait la fortune de Waldemar Kita, l’homme d’affaires franco-polonais et président du Football Club de Nantes. Fin 2022, le businessman a remporté un jack-pot de 900 millions d’euros en cédant au fonds d’investissement anglais Bridgepoint les 56% du capital de Vivacy, le producteur haut-savoyard qu’il avait fondé en 2007, spécialiste du gel antirides.
Un an plus tôt, Kita avait déjà encaissé un joli chèque en se débarrassant de Cornéal, une entreprise qu’il avait créée dans les années 80. Le géant Californien Allergan n’avait alors pas hésité à débourser 170 millions d’euros pour mettre la main sur l’élixir antirides Juvederm, qui figure aujourd’hui encore parmi ses best-sellers, avec le botox.
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