Hyper malin ou particulièrement sournois? Alors que le géant du e-commerce est en guerre avec les libraires depuis des mois, l'annonce faite par Amazon d'offrir une réduction de 5% sur les livres, à partir du moment où le client choisira de se faire livrer dans un point de vente commercialisant des ouvrages, ne va pas manquer d'hérisser ces détaillants.

Sous couvert d'«offrir à tous les lecteurs en France un accès simple et large aux œuvres littéraires», comme le présente Géraldine Codron, responsable de la catégorie Livres chez Amazon.fr, l'entreprise relance la bataille juridique qui l'oppose aux libraires français. Un sujet déjà vif, depuis qu'en 2024, Amazon avait choisi d'offrir les frais de livraison des ouvrages. Voici donc un deuxième pavé dans la mare aux livres.

Plus de 3000 points de retrait concernés par la double offre promotionnelle

Ainsi, dès aujourd'hui, les clients Amazon commandant des ouvrages pourront bénéficier de la même réduction que celle que peuvent pratiquer les libraires, à condition de choisir comme point de retrait un magasin qui dispose d'un rayon livres. Ce qui est le cas de la plupart des supers et hypermarchés… Au total, Amazon estime que la réduction de 5% sur la commande et la suppression des frais de livraison, peuvent être appliquées vers plus de 3000 points de retrait en France, dont 70% en zone rurale. «Cette initiative reflète notre engagement à long terme pour rendre les livres plus accessibles à tous les lecteurs, où qu'ils se trouvent », a insisté Géraldine Codron, se posant en défenseur de la ruralité.

En Ille-et-Vilaine, c'est le magasin Intermarché Contact de Mernel qui, parce qu'il dispose d'un point de retrait Amazon Hub, servira de boîte aux lettres. Dans le Tarn, la livraison du colis vers le Super U de Soual permettra également de bénéficier de la réduction de 5% sur sa commande de livres, comme pour les casiers installés devant le magasin E.Leclerc de Drumettaz-Clarafond, en Auvergne-Rhône-Alpes. Le fait de citer ces communes permet à l'entreprise de Jeff Bezos d'épingler de grands noms de la distribution et de les mettre face à leurs contradictions. Car si aujourd'hui, Intermarché et les espaces Culturels Leclerc sont dans le même camp que les libraires, ils ont beaucoup combattu pour obtenir le droit de bénéficier des mêmes avantages que les libraires indépendants. C'est d'ailleurs la brèche que tente d'emprunter Amazon, qui voudrait que ses "lockers", ses murs de casiers à colis puissent bénéficier des mêmes dispositions.

Le prix unique du livre est inscrit dans la loi depuis 1981, mais la Loi Darcos de 2021 réglemente les frais de livraison

Pour le géant américain, c'est l'amorce d'un nouveau round dans la bataille qui l'oppose aux libraires et éditeurs français. Pour défendre l'exception culturelle, plusieurs textes encadrent pourtant le marché. A commencer par la loi Lang de 1981 qui entérine le "prix unique du livre", empêchant des acteurs du discount, qu'il s'agisse de sites Internet ou d'acteurs physiques, de déclencher une guerre des prix sur les livres neufs.

Mais c'est un autre texte de loi qui justifie le courroux d'Amazon. Le fait que certains acteurs, mais pas lui, puissent offrir les frais de livraison à leurs clients dans certaines conditions. En effet, depuis l'entrée en application de la Loi Darcos, fin 2023, un minimum de 3 euros de frais de livraison s'impose à tous les acteurs du marché de la vente en ligne, pour toute commande de livres neufs inférieure à 35 euros. Pour la première fois, Amazon se retrouve seul pure player sans magasin, alors que Fnac.com ou Leclerc peuvent utiliser leurs réseaux de magasins physiques. Amazon se sent désavoué, au point d'avoir tenté un premier passage en force, en décidant d'offrir la livraison dans ses lockers lorsqu'ils sont situés dans un magasin ou sur le parking d'un point de vente avec un rayon librairie. Mais cette tentative a été blâmée par le médiateur du livre, pourtant saisi par Amazon.

Dans un avis rendu le 27 mai 2025, le médiateur du Livre indique que «la mise à disposition de livres dans des casiers de consignes automatiques (« lockers ») ne saurait se prévaloir de la possibilité de retrait gratuit prévue par le législateur».

«La seule circonstance qu’un casier soit implanté dans les murs d’un commerce de vente de livres, par exemple une grande surface alimentaire, ne suffit pas à regarder le retrait effectué dans le casier comme un retrait effectué dans ce commerce», selon le Médiateur du Livre

Amazon ira à l'encontre de l'avis du Médiateur du Livre

Une décision dont se sont réjouis les syndicats des libraires, ainsi que les Maisons de la Presse, ou encore les Espaces culturels E.Leclerc. Le syndicat des libraires français (SLF) a par ailleurs déploré «le dédain avec lequel la plateforme américaine traite la loi française» et appelé la ministre de la Culture Rachida Dati «à faire respecter le prix unique du livre et à faire cesser ces pratiques qui portent préjudice aux libraires et donc, au final, à l’ensemble de l’écosystème du livre».

Pour le géant américain, la période est d'autant moins facile qu'il fait moins rêver qu'avant. Dans la dernière étude annuelle EY-Parthenon consacrée aux «Enseignes préférées des Français», Amazon est sortie du top 10. Dans le domaine de la culture où elle était régulièrement la meilleure, c'est la Fnac qui a été sacrée enseigne préférée des Français 2025. De quoi agacer les équipes Amazon. D'autant que la Fnac elle-même propose cette réduction de 5% à ses clients dès lors qu'ils font livrer leurs ouvrages dans l'un de ses magasins.

C'est donc en connaissance de cause, après avoir bien reçu la réponse du Médiateur (qui lui donne tort), qu'Amazon a choisi non seulement de s'entêter à réclamer les mêmes droits que le reste des acteurs du e-commerce, en prenant soin d'y ajouter une revendication supplémentaire. Chez Amazon aussi la saga à succès "La Femme de ménage de Freida Mc Fadden et le roman Kolkhoze d'Emmanuel Carrere pourront bénéficier de la livraison gratuite et du tarif réduit, ce qui le placera à égalité avec Leclerc ou Fnac.com. En communiquant ouvertement sur la promo de 5%, la plateforme cherche à la fois à regagner le coeur des consommateurs et à montrer que la décision du Médiateur du Livre ne lui convient pas. Un deuxième pavé donc, histoire de raviver la flamme après les prix littéraires et se tenir prêt en vue des ventes de Noël.