Les statues de Notre-Dame sauvées par une PME du Périgord

Ces mains expertes ont été chargées de refaire une santé (et une beauté) aux 16 statues dessinées en 1857 par l’architecte Viollet-le-Duc, modelées par Adolphe Victor Geoffroy-Dechaume et campées au pied de la fameuse flèche. Seize sculptures à la peau de cuivre tendue sur un squelette de fer représentant les 12 apôtres, dont saint Thomas auquel Viollet-le-Duc a prêté ses traits, et les symboles des quatre évangélistes – le lion, l’aigle, le taureau et l’ange. Seize miraculés, arrivés en semi-remorque à Marsac le 12 avril 2019, trois jours avant l’incendie de la cathédrale parisienne.

Le directeur général de la Socra, Richard Boyer, se souvient: «Dans le cadre du marché de rénovation de la flèche, qui était d’ores et déjà programmé, nous avons mené la délicate opération de dépose des statues le 11 avril.» Une date choisie par ce diplômé en histoire de l’art antique et en physique appliquée à l’étude des matériaux anciens pour lui permettre d’être présent avant le début de ses vacances. Le 15 avril, Notre-Dame s’embrase. Le lendemain, devant ses portes ouvertes sur la béance noircie de la nef, Richard Boyer pleure. «Toutes les entreprises qui travaillaient sur le site ont été aussitôt été mises à contribution pour sécuriser l’édifice», raconte-t-il. Ses congés sont partis en fumée avec la charpente de la cathédrale. Pendant un mois, il y passe ses jours et ses nuits. Vite, il faut déposer les statues en pierre et protéger les sculptures de bois.

Un travail de restauration de dix-huit mois

A Marsac, les rescapés de cuivre se muent en attractions. Chaque week-end, on vient de toute la France voir ces géants de 3,40 mètres, les toucher, les photographier. Se rassurer, aussi: n’incarnent-ils pas l’espoir de la renaissance de Notre-Dame? Ne symbolisent-ils pas la résilience? Et ne plaident-ils pas en faveur d’une reconstruction à l’identique de la flèche dont ils faisaient partie?

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Mais les héros sont mal en point, usés par les années et les éléments. «Il a fallu démonter les feuilles de cuivre pour traiter et restaurer les armatures internes en fer, très dégradées», explique Richard Boyer. Ce minutieux travail de restauration dure dix-huit mois. Reste une question cruciale: celle de la patine, cette couche protectrice contre les intempéries qui confère sa couleur au métal. Car, à l’époque de Viollet-le-Duc, les statues n’étaient pas vert-de-gris, une couleur produite par l’oxydation, mais brunes, à l’instar de la statue de la Liberté quand elle a embarqué à Paris pour New York. Va pour une patine marron, donc. Rapatriés dans la capitale depuis le printemps 2021, les apôtres et les symboles des évangélistes reprendront leur place l’an prochain autour de la flèche, une fois la restauration de celle-ci définitivement achevée.

15% de l'activité de l'entreprise pendant cinq ans

Le coq fiché à sa pointe, contrairement aux statues, n’a pas échappé au brasier. Sérieusement endommagé dans l’effondrement de la flèche, il a pris, lui aussi, le chemin de la Dordogne. «Mais il a été décidé de conserver tel quel ce vestige témoignant de l’incendie», indique le patron de la Socra. Les reliques qu’il contenait, des ossements de saint Denis et de sainte Geneviève, ainsi qu’une épine de la couronne du Christ, ont été transférés dans les entrailles d’un volatile tout neuf, fait de cuivre enrobé de feuilles d’or.

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La Socra, propriété du groupe Ateliers de France depuis 2018, a également répondu à plusieurs appels d'offres lancés par l’établissement public chargé d’orchestrer la restauration de la cathédrale. Elle a décontaminé les parements intérieurs de l’édifice souillés par la poussière et les particules de plomb, travaillé sur les sculptures en pierre de la sacristie et restauré le sol en marqueterie de marbre du chœur. «Au total, ces chantiers ont représenté 15% de notre activité pendant cinq ans», évalue Richard Boyer, dont l’entreprise a affiché l’an dernier un chiffre d’affaires de 5,3 millions d’euros et dégagé une marge brute de 7%.

La menace de l'austérité budgétaire plane sur le patrimoine

Les artisans de la société ont participé à un autre chantier d’envergure, celui des travaux commandés sur quelques monuments parisiens, avant les Jeux olympiques de l’été 2024. Aux Invalides, ils ont rénové les figures de pierre de la façade nord et refait la patine des 12 canons de bronze qui montent la garde devant le bâtiment. Au Grand Palais, ils se sont attelés à la réfection de 7000 mètres carrés de sols en mosaïque.

Pourtant, Richard Boyer est inquiet. Pas pour la Socra, dont la notoriété n’est plus à faire et le carnet de commandes bien rempli. Lui qui copréside le Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH) se fait du mouron pour l’avenir de sa profession, alors que la menace de l’austérité budgétaire plane sur les crédits alloués à l’entretien des vieilles pierres. «Un mauvais signal, déplore-t-il, l’année de la réouverture de Notre-Dame de Paris au public!» Il rappelle les chiffres mis en avant par un rapport sénatorial de 2020: 1 euro investi dans le patrimoine génère 30 euros de retombées économiques sur un territoire. Qui dit mieux?