
Du coffre dans la voix, des tenues moulantes comme garde-robe, et un Zénith rien que pour lui. Gary Mullen est prêt à monter sur scène. Cet ex-vendeur d’ordinateurs passerait inaperçu dans la rue. Inutile, non plus, de le chercher sur Spotify, il ne sort pas de disque. Et pourtant, ce célèbre inconnu va enchaîner plus de 30 dates en France jusqu’en février 2026 et ce, devant un public qui connaît son répertoire par cœur. Quel est son secret ? Moustache postiche à l’appui, Gary Mullen fait partie des meilleurs imitateurs de Freddie Mercury, le chanteur défunt du groupe de rock anglais Queen. «Si tu fermes les yeux, tu ne peux pas savoir si c’est Freddie ou Gary qui chante. Il a étudié ses mimiques et sa façon de bouger. Et il affiche la même énergie», promet le producteur du spectacle «One Night of Queen» en France, Richard Walter.
Avec sa marque Le Concert extraordinaire, ce maître des illusions s’est spécialisé dans les «tribute», des spectacles qui rendent hommage à des artistes disparus ou retirés de la scène. Du rock au disco, les nostalgiques sont gâtés, grâce à un riche catalogue : il y a Belinda Davids pour les fans de Whitney Houston, The Rocket Man pour ceux d’Elton John, Mania pour les inconditionnels d’Abba, So Floyd pour ceux de Pink Floyd… Avec 300 représentations par an en France, la société de Richard Walter attire 600 000 spectateurs, générant 35 millions d’euros de chiffre d’affaires. D’autres entreprises tricolores l’ont d’ailleurs rejointe sur ce marché, à l’image de Gérard Drouot Productions (qui produira Kiss Forever Band en 2026) ou de Ginger (producteur de With U2 Day et de Jean-Baptiste Guégan, sosie vocal de Johnny Hallyday).
Casser l'image ringarde des concerts hommage
Chez Richard Walter, près de Cannes, les murs sont décorés de disques d’or. À 63 ans, cet habitué du show-business a collaboré avec Patricia Kaas, Zaz, Arno, Niagara… Mais malgré ce beau catalogue de (vraies) célébrités, ce rocker dans l’âme ruminait un regret : «Je n’ai pas pu travailler avec mes idoles. Par exemple Led Zeppelin, parce que le groupe n’existait plus.» Et c’est dans un pub londonien que, comme tant d’autres aventures musicales, celle du Concert Extraordinaire a commencé, au début des années 2000. Scotché par la performance qu’y donne Letz Zep, Richard Walter découvre le petit monde des «tribute bands». «A la troisième chanson, j’avais l’impression d’avoir Jimmy Page et Robert Plant en chair et en os devant moi», se souvient-il. Le producteur décide alors de se mettre en chasse des meilleurs «tribute bands», déterminé à casser leur image ringarde.
Objectif : offrir à ces artistes anonymes un écrin de star internationale. Fini les salles confidentielles, et priorité aux arènes d’au moins 2 500 places, une jauge d’ailleurs indispensable à Richard Walter pour rentrer dans ses frais. Car à côté de ses 20 salariés, la société de production signe près de 12 000 contrats d’intermittents chaque année. «Pour que la magie opère, le public doit en prendre plein la vue», insiste le producteur. Pour le nouveau spectacle de Gary Mullen, il s'agit de reproduire le fameux concert de Queen au stade de Wembley en 1986, avec des instruments de musique, des costumes et une scénographie identiques au show original.
Quant aux artistes, ils sont soigneusement sélectionnés. Belinda Davids, sosie vocal de Whitney Houston, a été repérée parmi 15 000 candidates par un producteur australien, grâce à son étendue vocale de 4,5 octaves. Outre les perruques et les séances de sport, certains interprètes doivent prendre des initiatives plus insolites pour ressembler à leur idole : trop maigre, Jimmy Love a pris 10 kilos pour se glisser dans le costume d’Elton John. Même si parfois, un bon chanteur vaut mieux qu’un demi-sosie. Pour le spectacle «Requiem pour un fou», Richard Walter a ainsi convaincu David Hallyday de jouer les morceaux de son père.
Des règles strictes pour choisir les artistes qui méritent un hommage
Trouver les interprètes, c’est une chose. Encore faut-il identifier les artistes qui méritent de tels «concerts hommage». Richard Walter s’est fixé des règles strictes en la matière. D’abord, le groupe original doit avoir cessé de se produire. Ensuite, il doit avoir vendu au moins 350 millions de disques dans le monde. «Cela réduit la liste à une quinzaine de stars», estime le producteur. Un niveau d’exigence qui permet de réaliser des concerts où les tubes s’enchaînent, sans temps mort. «C’est très rare d’avoir des artistes qui touchent toutes les tranches d’âge. Sans le savoir, n’importe qui dans la rue connaît 10 chansons de Queen et d’Abba», fait-il remarquer.
Selon lui, le phénomène des «tributes» va encore prendre de l’ampleur. «On progresse de quasiment 25% par an. D’ici à quatre ans, on fera 100 millions d’euros de chiffre d’affaires», projette-t-il. Pour atteindre cet objectif, le producteur mise sur l’élargissement de son catalogue. Pour 2027, un spectacle dédié à Michael Jackson est au programme. Si le marché est porteur, c’est aussi que depuis le déconfinement, l’engouement du public pour les expériences musicales en scène ne se dément pas. Selon des estimations du cabinet EY, le segment de la musique live pourrait encore croître de 50% entre 2024 et 2030 pour atteindre 2,6 milliards d’euros.
Et les artistes originaux dans tout cela ? En théorie, eux comme leurs héritiers ne peuvent pas s’opposer à ces «tributes», tant que les reprises respectent les arrangements d’origine, qu’elles n’entretiennent pas la confusion sur les auteurs et qu’elles ne portent pas atteinte à leur réputation. «Chez moi, c’est imparable, car je fais des "tributes" de qualité», se défend le producteur. Il faut tout de même s’acquitter des droits d’auteur. Pour chaque ticket vendu, Richard Walter reverse en effet 8,8% de ses recettes à la Sacem, qui redistribue ensuite une partie de ces sommes aux artistes originaux ou à leurs ayants droit. A elles seules, les tournées françaises de «One Night of Queen» ont par exemple représenté plus de 3 millions d’euros de droits d’auteur. The Show must go on, comme le chante Gary Mullen. Ah non, pardon, Freddie Mercury !
Chiffres clés sur Richard Walter Productions
• 20 salariés, de 3 000 à 4 000 fiches de paie d’intermittents par an
• 35 millions d’euros de chiffre d’affaires en France
• 300 dates de spectacles par an, pour 600 000 spectateurs
• 60 euros de ticket moyen
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