Chanel perd une bataille dans la protection de son parfum N°5

Surveillant sa pépite de près, la maison de la rue Cambon a rapidement riposté, formant une opposition devant la juridiction pour «risque de confusion», en se prévalant de l’antériorité de ses marques 5 et N°5. «Un concurrent a voulu déposer le dessin d’un 5 stylisé dans la classe cosmétiques et parfums, ce qui est malin quand on sait l’importance de ce chiffre dans l’imaginaire de Chanel, un des parfums les plus vendus au monde», relève Corinne Thiérache, avocate spécialisée en propriété intellectuelle et associée au sein du cabinet Alerion Avovats.

Une marque figurant un 5 stylisé soupçonné de prêter à confusion

Si tout le monde connaît l’illustre maison Chanel et son iconique parfum N°5, conçu par Coco Chanel en 1921, dont il se vend un flacon toutes les 5 secondes, on ne sait rien de son rival du moment. La société qui a déposé la demande d’enregistrement de ce 5 stylisé, pour des produits cosmétiques, se nomme Simb DOO. Originaire de Šentvid pri Stični, une petite commune située à une demi-heure de Ljubljana, capitale de la Slovénie, elle semble commercialiser des matériaux de construction pour le moment.

Une page Wikipedia en guise de défense

Face à un rival à ce point inconnu, la direction juridique de Chanel aurait-elle péché par excès de confiance ? C’est ce que laisse entendre la décision de l’EUIPO, qui souligne le nombre limité d’éléments de preuves fournis par l’opposante. Chanel a effectivement nourri son dossier d’une «impression de la page Wikipedia» du parfum Chanel No 5, d’une brochure en anglais, de photographies de matériel publicitaire et d’une photo d’un magasin de la division beauté de Chanel. «La plupart des éléments de preuve datent des décennies précédentes», note l’organisme qui regrette, que Chanel n’ait pas étoffé sa demande avec des données chiffrées en termes de «part de marché», ou de «nombre de consommateurs effectivement exposés aux marques antérieures». Des chiffres que l’entreprise tient au contraire à garder au secret.

Cette défense n’a pas convaincu l’EUIPO, qui a conclu que la demande de marque de la société slovène n’était pas contraire au droit des marques. «Il n’existe aucun risque de confusion dans l’esprit du public. En conséquence, l’opposition doit être rejetée», indique la décision du 17 juin 2024.

Des recours possibles sur la base de la concurrence déloyale ou du parasitisme

Vue de France, la conclusion paraît sévère. «La décision de l'EUIPO me semble extrêmement critiquable, elle ouvre la voie à la coexistence d’une marque 5 à côté de N°5 sur le marché», s’étonne Corinne Thiérache. Chanel, qui n'a pas souhaité commenter cette décision, dispose de deux mois pour faire appel. Si elle le décide, l’entreprise devra donc former un recours d’ici au 17 août, moyennant la somme de 720 euros.

Si le risque de confusion n’est pas retenu, Chanel pourra défendre sa pépite sur d’autres terrains. «En cas d’échec à l’issue de la procédure administrative d’opposition, Chanel pourrait lancer une action en contrefaçon devant le tribunal et se prévaloir d’un préjudice économique ou moral, lié à la banalisation de sa marque qui conduit à galvauder un chiffre dont elle défend l’attractivité par de grandes dépenses marketing, voire une action en concurrence déloyale ou parasitisme», souligne Corinne Thiérache.

Les sommes en jeu sont effectivement colossales. Car sur les 19,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires réalisés par Chanel en 2023, l’entreprise précise avoir investi près de 2,5 milliards pour la promotion de sa marque. Des sommes dépensées pour soutenir sa branche mode, mais aussi ses cosmétiques, notamment son numéro gagnant, le 5.