Connus, méconnus, ou totalement inconnus du grand public, ils ont déclenché des révolutions industrielles et sociales, créé des millions d’emplois, lancé des produits qui ont amélioré notre quotidien… Cet été, Capital vous emmène à la rencontre de 15 grands patrons qui ont chacun à leur façon marqué de leur empreinte l’histoire du business. Notre dixième épisode consacré à Jeff Bezos né en 1964.
Voilà plus de six ans qu’il ne quitte pas le trio de tête des individus les plus riches de la planète. En 2023, le magazine américain Forbes place Jeff Bezos troisième fortune mondiale avec près de 155 milliards de dollars, en détenant notamment 10% des actions d’Amazon. Fondateur d’Amazon en 1994, il a cédé les commandes de son entreprise à son bras droit Andy Jassy en 2021, tout en restant le président exécutif du conseil d’administration. Mais l’homme de 59 ans est loin de s’être retiré des affaires. Cette mise en retrait lui permet, au contraire, de s’investir davantage dans ses nombreuses activités, de la philanthropie au tourisme spatial, véritable terrain de jeu des milliardaires.
Peu de temps après avoir quitté ses fonctions, l’ancien PDG d’Amazon s’est ainsi envolé dans son propre appareil, inaugurant le premier vol avec équipage de son entreprise spatiale, Blue Origin. Créée en 2000, celle-ci a déjà réussi 22 vols spatiaux, dont six avec équipage. La concurrence entre milliardaires se joue également sur les technologies visant à connecter le cerveau. Associé à Bill Gates, Jeff Bezos a levé 75 millions de dollars fin 2022 pour Synchron, une entreprise qui réalise des implants cérébraux, à l’instar de la société Neuralink créée par Elon Musk en 2016.
Né le 12 janvier 1964 à Albuquerque, Etats-Unis
Formation : université de Princeton.
Carrière : il fonde Amazon en 1994 après avoir travaillé dans un fonds d’investissement new-yorkais. Il devient la première fortune mondiale en 2017. Le 5 juillet 2021, il quitte le poste de P-DG pour devenir président exécutif d’Amazon.
Jeff Bezos alimente différents fonds de charité
Comme ses homologues fortunés, l’ancien patron d’Amazon s’emploie à afficher sa générosité en créant et en alimentant différents fonds de charité. On peut citer le Bezos Earth Fund dédié au financement des scientifiques et acteurs engagés dans la lutte contre le changement climatique, ou encore le Day 1 Fund en faveur des sans-abris et de l’éducation. Le premier a reçu du milliardaire 10 milliards de dollars à sa création en 2020 et le deuxième, deux milliards. En novembre 2022, Bezos a même annoncé qu’il comptait donner la majeure partie de sa fortune à des œuvres caritatives. Le même mois, Amazon annonçait le licenciement de 10.000 salariés…
Car le philanthrope est également connu comme l’homme qui a dirigé Amazon d’une main de fer, en dictant les fameuses 14 règles d’or affichées dans toute l’entreprise, comme par exemple l’obsession du client, l’optimisation des coûts, le recrutement des meilleurs éléments ou encore la prise d’initiative au-delà de son poste. Ces règles, qui traduisent la pensée de Jeff Bezos, ont conduit au succès commercial mais aussi à une compétition exacerbée, un manque de solidarité et un stress permanent des salariés pour la conservation de leur poste. Afin de comprendre un peu plus qui se cache derrière ce milliardaire qui a révolutionné l'e-commerce, Capital a compilé les petits secrets de Jeff Bezos.
0 dollar d’impôts
La phobie fiscale d'Amazon est de notoriété publique. Celle de son fondateur est beaucoup moins connue. Le milliardaire a pourtant payé zéro dollar d'impôts en 2007 et en 2011, comme l’a révélé l’ONG ProPublica. Il a réduit sa facture en faisant valoir des investissements malheureux comparés à ses “faibles” revenus – il tire en effet sa richesse non pas de son salaire, mais de la revente de ses actions Amazon.
De curieux tests pour entraîner Alexa
Un dessin gribouillé dès 2010 sur un tableau blanc en est la preuve : Jeff Bezos est lui-même à l'origine d'Alexa, l'assistante vocale d'Amazon. Son idée de localiser cette voix virtuelle dans une enceinte connectée au Wi-Fi, et munie d'un micro, a fait mouche : elle trône désormais dans des millions de foyers. Dans son ouvrage, “Jeff Bezos, la folle ascension du fondateur de l'empire Amazon” (Talent Editions), le journaliste américain Brad Stone racontait les balbutiements d'Alexa, qui au départ comprenait très mal les ordres donnés par les salariés d'Amazon qui la testaient chez eux. Pour “entraîner” l'intelligence artificielle, l’entreprise a dû louer des logements témoins à Boston, et payer des testeurs chargés de lire des textes toute la journée à voix haute, sans savoir dans quel but. Une vingtaine d’enceintes connectées étaient dissimulées dans les pièces pour tout enregistrer, et des équipes analysaient en coulisse les erreurs de compréhension.
“Je croise rarement des gens nus”
Au fil des ans, Amazon a volontairement attiré un flot de vendeurs chinois, et des salariés ont remarqué que des robes de grandes marques côtoyaient sur le site des vêtements de très mauvaise qualité. Quelle cible devrait-elle être privilégiée, ont-ils demandé au patron ? “Je pense que nous devrions viser tous ceux qui portent des vêtements : je n’ai pas croisé beaucoup de gens nus ces derniers jours”, a ainsi rétorqué Jeff Bezos dans un éclat de rire, comme le relate Brad Stone. Une réplique pas anodine, tant Amazon s'est retrouvé par la suite inondé de produits asiatiques contrefaits, voire dangereux.
Voilier à 500 millions de dollars
Collectionneur de villas, grand utilisateur de son jet privé, il ne lui manquait que ça. Jeff Bezos s’est fait construire un yacht à la (dé)mesure de sa fortune. Avec ses 127 mètres de long, et pour un coût estimé de 500 millions de dollars, il figure parmi les plus grands voiliers privés au monde. Après cinq ans de construction chez le fabricant néerlandais Oceanco, la goélette géante immatriculée “Y721” a pris la mer au printemps 2023. Nommé Koru, le navire peut accueillir jusqu’à 18 invités et 40 membres d’équipage sur trois niveaux.
Le voilier ressemble à l’”EOS” (photo), le bateau de Barry Diller, ami de Bezos et président du groupe IAC (Meetic). Il peut naviguer sans consommer du carburant et en produisant sa propre électricité. Le bâtiment dispose d’une piscine géante sur le pont arrière. Ce n’est pas tout. Un yacht annexe de 75 mètres de long a aussi été livré par un autre armateur. Il est équipé d’un héliport, probable souhait de la compagne de Jeff Bezos, Lauren Sanchez, ex-star du petit écran désormais pilote d’hélicoptère. Moins écolo que le bateau à voile…
Tous des fainéants
Surveillance des salariés, bas salaires… ces constantes des entrepôts Amazon ne doivent rien au hasard. Jeff Bezos croit fermement que chaque employé est par essence fainéant, et emprunte avec le temps une inévitable “marche vers la médiocrité”, comme l’a déclaré au "New York Times" David Niekerk, un ancien directeur RH. Il préfère encourager le départ de ces salariés plutôt que les laisser s’installer dans un train-train supposé.
Amazon Fresh et le burger parfait
Quand la presse a rapporté en 2014 qu’un seul steak haché pouvait contenir la viande de 100 vaches différentes, Bezos a demandé aux équipes d’Amazon Fresh, son service alimentaire, de produire industriellement des burgers issus d’une seule bête. Une gageure. Quand ses équipes y sont parvenues, le patron a grillé lui-même le steak sur son barbecue, qui s’est enflammé. Verdict : trop gras. Les employés, incrédules, ont dû dénicher un autre producteur.
Ligue 1 française : le pari manqué
En achetant, il y a deux ans, les droits de la Ligue 1 de football français pour la période 2021-2024, Jeff Bezos s’attendait à réaliser un coup de poker. Montant de l’opération : 260 millions d’euros par an pour les droits de diffusion de 80% des matchs. En mai 2023, le cabinet NPA Conseil fait état de 250 millions d’euros de pertes jusqu’à présent, sans non plus constater d’effet booster pour les abonnements à Amazon Prime.
Pour visionner les matchs, les fans doivent en effet souscrire à deux abonnements : Amazon Prime Video pour 6,99 euros par mois et le Pass Ligue 1 pour 14,99 euros par mois, le nouveau prix après une augmentation de 3 euros en juillet 2023…
Selon nos informations, Jeff Bezos avait pourtant suivi en personne les négociations avec la Ligue de football professionnel. “Son représentant Alex Green prenait ses ordres de très haut, c’est Bezos qui donnait le feu vert”, témoigne un participant aux discussions. Voilà qui donne une idée des enjeux de ce coûteux pari.
Son clone aux manettes
Il n’est plus que le président exécutif de son propre empire : décisionnaire, mais distant. Depuis juillet 2021, Jeff Bezos a laissé la conduite opérationnelle au meilleur représentant des “Jeff bots”, ces collaborateurs “robots” en tous points semblables à lui. Andy Jassy a rejoint l’entreprise dès 1997, et a été pendant un an et demi le “technical advisor” du fondateur, ce conseiller chargé de l'accompagner dans ses réunions en prenant des notes. Mais il a surtout piloté la croissance d'AWS, la très lucrative division cloud d'Amazon.
Chez son tailleur, la dolce vita
Fan d’Italie, Jeff Bezos a souvent été aperçu flânant en famille à Rome, à Venise, ou encore au siège de Ferrari à Maranello. Il aime aussi le village de Solomeo, en Ombrie. C’est là que vit et travaille son tailleur italien attitré, Brunello Cucinelli. Ce créateur lui fournit de luxueuses vestes à 4.000 euros pièce, fabriquées sur place par des artisans choyés, dans un esprit “humaniste”. Car le tailleur est aussi un gourou, écouté par les leaders de la Silicon Valley, dont Jeff Bezos. En mai 2019, ce dernier s’est joint à quelques dirigeants de LinkedIn ou Twitter pour un bucolique “symposium sur l’âme et l'économie” chez l’Italien. Au programme : gueuletons, papote et randos.
La fusion nucléaire, il y croit
Outre le fonds Bezos Earth Fund, dédié au climat et doté de 10 milliards de dollars, d’autres activités bénéficient du soutien financier de Jeff Bezos. C’est le cas de la fusion nucléaire, réaction présente dans le Soleil. Il s’agit d’une technologie prometteuse, plus complexe que la fission nucléaire, que les scientifiques tentent aujourd’hui de maîtriser pour produire de l’énergie à l’infini. Jeff Bezos finance la start-up canadienne General Fusion, qui s’apprête à construire une centrale test dans la campagne britannique. Le démonstrateur devrait entrer en service en 2026.
Sur l’Insta de Bruno Le Maire
La visite de Jeff Bezos à l’Elysée, le 28 février 2020, a laissé peu de traces. Une photo sur le compte Instagram du patron, en compagnie d'Emmanuel Macron, et une sur le profil de Bruno Le Maire. Lors de cette rencontre, il a été question de climat, mais aussi de taxation. Un lobbying utile ? Si le principe d’une taxation minimum de 15% a été adopté par l’OCDE, le gouvernement a exclu les entrepôts d’Amazon du champ d’application de la future loi climat interdisant la construction de nouvelles zones commerciales de plus de 10.000 mètres carrés.
Comment faire une série culte
“Je veux mon "Game of Thrones".” Voici l’ordre cinglant que Bezos a adressé aux cadres d’Amazon Studios, comme le relate Brad Stone. Pour rivaliser avec Netflix et consorts, son service vidéo avait besoin d’une série événement pour attirer des millions d’abonnés.
Début 2017, lors d’une réunion, un Jeff Bezos impatient s’est mis à lister les ingrédients nécessaires selon lui à la fabrique d’une série culte. “Un héros qui grandit et évolue ; un méchant irrésistible ; des superpouvoirs ; des choix moraux ; du suspense à la fin de chaque épisode ; une menace pour l’humanité (une invasion alien ou une pandémie)”, etc. Médusés, les cadres du studio ont dû par la suite se justifier si leurs scénarios ne contenaient pas tel ou tel ingrédient… Amazon a finalement racheté les droits du “Seigneur des anneaux” pour l’adapter en série. Plus simple.
Sexe, mensonges et photos
En 2019, la révélation de sa liaison avec Lauren Sanchez a précipité le divorce du milliardaire. Il est pourtant parvenu à sortir par le haut de cet ouragan médiatique. Quand un tabloïd a publié des textos érotiques échangés par le couple illégitime, Jeff Bezos a évoqué une manipulation ourdie par l’Etat saoudien… Il est après tout le patron du Washington Post, journal très critique du royaume de Mohammed Ben Salman, et dont un journaliste a été assassiné à l'ambassade saoudienne d’Istanbul.
Deux ans plus tard, le piratage de l’iPhone de Jeff Bezos n’a pas pu être prouvé. Il est en revanche certain que le propre frère de Lauren Sanchez, agent de starlettes à Los Angeles, a envoyé par e-mail les "sextos" au magazine, contre une somme à six chiffres. Moins géopolitique.
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