Quand Isabelle fait de longs trajets en voiture, elle carbure au Red Bull. Même chose pour Antoine qui, avant son entraînement de basket, a l’habitude d’absorber cette boisson au goût de chewing-gum. Ou pour Adrien qui engloutit ce breuvage pétillant quand sa journée de travail s'éternise … Si tous ces consommateurs craquent pour la fine canette de 25 centilitres, c’est qu’ils sont persuadés d’être rapidement stimulés par son cocktail de caféine, de taurine, de sucre, et de vitamine B.
«Ce n’est pas une boisson que l’on prend pour le plaisir, mais quand on se sent fatigué», confirmait récemment Charles Richer, le responsable France des réseaux sociaux de la marque, au podcast spécialisé «Le Super Daily». Cette promesse d’énergie permet à Red Bull d’afficher une croissance insolente. Selon l’institut NielsenIQ, la marque est celle qui a le plus progressé en France l’an passé en nombre d’unités vendues. La firme y a distribué 50 millions de canettes supplémentaires, loin devant les sages Cristaline ou St-Yorre, du groupe Alma (40 millions d’unités en plus), ou les gourmands chocolats Ferrero (33 millions). Un exploit, alors que les consommateurs n’ont toujours pas retrouvé le chemin des grandes surfaces et qu’en 2024, les ventes de produits de grande consommation ont reculé de 0,9% en volume, selon l’institut Circana.
57% de parts de marché en France
Indétrônable, la marque l’est donc plus que jamais sur son rayon des boissons énergisantes, un segment estimé à un peu plus de 600 millions d’euros, et qui a vu l’année dernière un Français sur quatre passer à l’achat. Avec 57% de parts de marché en valeur, Red Bull domine ses concurrents, loin devant Monster Beverage (30%), un fabricant américain pourtant allié au géant Coca-Cola, et Crazy Tiger (6%), du danois Royal Unibrew. Et les ventes de la firme pétillent tout autant au niveau mondial, avec 12,7 milliards d’unités écoulées en 2024, pour un chiffre d’affaires en hausse de 6%, à 11,2 milliards d’euros. Pourtant, rien ne prédisait un tel destin à cette canette argentée.
C’est lors d’un voyage d’affaires en Thaïlande que Dietrich Mateschitz, le fondateur de l’entreprise alors cadre commercial, découvre le Krating Daeng (ou «taureau rouge»), une boisson d'origine japonaise qui tient éveillés les chauffeurs de taxis locaux. Après avoir contacté son propriétaire, l’entrepreneur Chaleo Yoovidhya, il crée Red Bull GmbH en 1984. Yoovidhya récupère 51% de la structure et Mateschitz, 49%. Même si les deux hommes sont depuis décédés, la société basée dans la commune alpine de Fuschl am See, près de Salzbourg, continue d’entretenir la légende de ce breuvage aux deux taureaux.
A ne pas confondre avec les boissons énergétiques
Faut-il toutefois le rappeler ? Contrairement à son slogan bien connu, Red Bull ne donne pas forcément des ailes. Car ce segment des «boissons énergisantes» que la marque a créé, relève en partie de l’esbroufe. «C’est un terme marketing qui n’a pas de définition au plan réglementaire», rappelle l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).
Contrairement aux boissons énergétiques, aux formules spécifiquement conçues pour des activités sportives intenses, ces breuvages n’ont «aucun intérêt nutritionnel en situation d’exercice». Chargés en sucre et en caféine, ils font perdre trop de sels minéraux et d’eau, même s'ils donnent un coup de boost immédiat. Ce n’est d’ailleurs qu’en 2008, après douze ans d’interdiction, que Red Bull avait fini par être lancé en France, dans sa recette originale. Et la marque ne devrait pas échapper à la hausse de la «taxe soda» attendue sur toutes les boissons sucrées.
Les 18-35 ans adorent malgré son prix
Mais peu importe la réalité diététique : la clientèle adore, notamment les jeunes. «Les premiers consommateurs sont les 18-35 ans, indique David Lecomte, directeur Insight Consommateur chez NielsenIQ. Mais aussi les foyers aux revenus modérés, responsables d’un tiers des achats.» Une proportion qui peut surprendre, car ces boissons énergisantes sont deux à trois fois plus chères que les autres boissons gazeuses. Et tout particulièrement Red Bull, dont le litre revient à 4,36 euros, contre 2,50 euros chez Monster Beverage.
«Pour les familles modestes, cette consommation peut être un moyen d’éviter de dépenser dans les bars. Cela témoigne aussi d’un besoin en apport énergétique pour supporter un métier difficile, physiquement ou en termes d’horaires», détaille David Lecomte. Voilà qui explique pourquoi les fabricants de ces «energy drink» réalisent une partie de leur croissance en grappillant des parts de marché aux eaux et jus de fruits, mais aussi à l’alcool, notamment la bière. «Le café n’est pas encore menacé, mais pourrait l’être, les boissons énergisantes étant amenées à se développer», pressent notre expert.
Une redoutable machine à vendre
Si les jeunes craquent, c’est aussi parce qu’ils ont affaire à une redoutable machine à vendre. Pour fabriquer sa boisson, Red Bull recourt à des sous-traitants, ce qui lui permet de se concentrer sur le seul marketing. La firme y consacre 24% de son chiffre d’affaires, contre 8% chez Coca-Cola, pourtant expert en la matière. Cet argent, le groupe ne l’investit pas en publicité classique. «Son objectif, c’est de produire du contenu et de raconter une histoire», décrypte Peter Fischer, professeur de marketing à HEC.
Par exemple, quand la marque décide de soutenir un athlète comme le perchiste Armand Duplantis, ce n’est pas pour inscrire son logo sur son maillot. Mais pour lui consacrer des documentaires, et le mettre en vedette dans des compétitions sur mesure. Red Bull organise ainsi près de 1 250 événements par an, dans une centaine de disciplines : sports extrêmes, aventure et, plus récemment, e-sport, rap et danses urbaines. La marque avait d’ailleurs marqué les esprits en 2012, avec le Red Bull Stratos, le saut stratosphérique en chute libre réalisé par Felix Baumgartner. L’opération, estimée à 50 millions d’euros, en aurait rapporté dix fois plus en retombées médiatiques.
Un sentiment communautaire
«Les consommateurs ne perçoivent pas tout cela comme de la promotion : ils vivent une expérience unique et ont l’impression d’appartenir à une communauté, ce qui est très engageant», relève Peter Fischer. Pas étonnant que d’autres marques se battent pour être de ces manifestations, lâchant chaque année à Red Bull des centaines de millions d’euros en sponsoring et publicité. «L’entreprise génère de vrais revenus avec ses événements, sa société de production Red Bull Media House et le merchandising», poursuit-il.
Pour l’heure, la vente de boissons rapporte davantage que ces activités. Mais rien ne dit que le rapport ne s’inversera pas. D’autant que, après avoir racheté des équipes de football et une écurie de formule 1 valorisée près de 3,5 milliards d’euros, la firme lorgne le rugby. Et rêve de s’imposer sur le Tour de France avec sa formation allemande. Il faut bien cela pour une marque qui promet de dépasser ses limites.
La marque déboule dans le foot français
L’annonce du rachat du Paris FC, en octobre dernier, a constitué une double première pour le sport français. D’abord parce que la holding de la famille Arnault, à la manœuvre, acceptait de s’aventurer sur un terrain inédit. Mais aussi parce que Red Bull, partenaire des leaders du luxe dans cette opération, faisait ses premiers pas dans le foot tricolore. L’entreprise autrichienne gravite pourtant depuis 20 ans autour du ballon rond. Et a constitué un réseau mondial de clubs, en agrégeant successivement le Red Bull Salzburg en Autriche, le RB Leipzig en Allemagne, le New-York Red Bulls aux Etats-Unis, et le Red Bull Bragantino au Brésil. Autant d’équipes reconnaissables à leurs maillots rouge, jaune et blanc. Cette approche ne va pas sans susciter des critiques en Allemagne, où les supporters lui reprochent une gestion trop commerciale. Au Paris FC, Red Bull ne devrait toutefois pas apposer son nom, mais aider à recruter les meilleurs joueurs, probablement sous l’égide de Jürgen Klopp, le directeur mondial du football pour la marque. Car le groupe n’est cette fois qu’un actionnaire minoritaire, à hauteur de 11%.
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