L'Ultra-Trail du Mont-Blanc, un défi savoyard devenu une franchise mondiale

Par Sébastien Pommier, Chef d'enquête

Publié le 30 août 2024 à 07h00.

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Au vu de la foule de sportifs qui afflue chaque dernière semaine d’août vers Chamonix, difficile d’imaginer qu’il y a vingt ans, à la même période de l’année, la capitale mondiale de l’alpinisme devait compter ses rares touristes. «Avant l’essor de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB), la saison estivale s’arrêtait au 15 août. Désormais, cette semaine de course est notre troisième plus grosse fréquentation de l’année après Noël et le jour de l’An», indique le maire de la ville, Eric Fournier. Comme ses administrés, l’édile reste bluffé par la folle croissance de l’événement, inventé il y a plus de vingt ans par un couple du coin, Catherine et Michel Poletti. Et devenu La Mecque des trailers, ces coureurs à pied de l’extrême qui avalent les kilomètres par dizaines sur les sentiers montagneux.

Imaginez un peu: l’UTMB, c’est 171 kilomètres autour du plus haut sommet d’Europe, avec 10000 mètres de dénivelé positif, à cheval sur la France, l’Italie et la Suisse, à parcourir de jour comme de nuit puisque les meilleurs finissent la course après vingt heures d’efforts. «C’est une aventure qui attire. Plus de 23000 personnes ont candidaté cette année, mais nous limitons le nombre d’inscrits à 2500 sur la course principale. Nous avons donc dû procéder à un tirage au sort», indique Frédéric Lénart, le directeur général d’UTMB Group, la société organisatrice. Pour prendre le départ, chaque coureur débourse jusqu’à 400 euros de frais d’engagement, censés couvrir les coûts d’organisation (assistance médicale, ravitaillements…).

23 millions d'euros de retombées d'après l'organisation

Pour satisfaire la demande, les organisateurs ont créé de nouvelles courses en parallèle de l’originelle, de 15 à 145 kilomètres, en solo ou par équipes, portant à 10000 le nombre de coureurs sur la semaine. Autant de sportifs qui passent en moyenne cinq jours sur place, et donnent un coup de fouet aux finances locales. «Les hôtels sont pleins à 80%. Des commerces traditionnels fonctionnent toutefois moins bien: si vous n’êtes pas branchés "outdoor", c’est plus compliqué. C’est pour cela que l’on discute avec les organisateurs pour corriger certains points négatifs», indique Eric Fournier.

D’après l’organisation, les retombées directes et indirectes s’élèveraient à 23 millions d’euros par édition, pour un coût d’organisation de seulement 3 millions. Il faut dire que cette semaine est devenue un véritable salon professionnel du trail running, puisque plus de 160 exposants sont sur place, dont les principales marques du secteur. «Environ 30% des trailers ont commencé il y a moins de cinq ans. Cette pratique est en train de rajeunir la course à pied et beaucoup de femmes s’y mettent. C’est un vrai phénomène, qui nécessite un haut niveau d’équipement, avec 1000 euros de budget par an et par personne», chiffre Virgile Caillet, délégué général de l’Union Sport & Cycle. «C’est un marché en forte croissance, d’environ 20% par an, et l’UTMB profite à toute l’industrie, confirme Véronique Rémy, directrice marketing de Salomon. Le segment du trail (textile, chaussures, sac…) pèse déjà 30% de notre chiffre d’affaires.» On comprend mieux pourquoi la marque française a investi dans un nouveau magasin sur les Champs-Elysées, à Paris, pour attirer les trailers urbains.

Le sponsor Dacia dans la tourmente

Spécialisée dans l’outdoor, cette entreprise créée en France mais revendue à l’américain Deckers Brand est en effet devenue le partenaire titre de la course, contre un chèque à sept chiffres. La marque a pris la suite du constructeur automobile Dacia, assez décrié dans une vallée qui souffre de l’engorgement routier. «Dacia, ce n’est pas Porsche. Ce sont des voitures abordables et fonctionnelles. Mais pour un événement nature, ça passe mal», reconnaît un spécialiste du secteur. Malgré les critiques, le constructeur est resté aux côtés de l’UTMB, tout en s’affichant moins. «Nous sommes peut-être allés un peu trop loin en accordant le naming de l’épreuve à un partenaire qui n’est pas issu des sports outdoor», reconnaît après coup Frédéric Lénart. «Mais taper sur les Poletti qui roulent en Dacia, c’est un peu facile. Ils font vivre la vallée de Chamonix avec l’UTMB», souffle un autre organisateur de courses nature qui les connaît bien.

Ce n’est d’ailleurs pas la seule polémique que l’UTMB doit affronter. L’hiver dernier, les attaques sont venues des coureurs eux-mêmes, et pas des moindres. Des trailers comme la star espagnole Kilian Jornet (vainqueur en 2008, 2009, 2011 et 2022), ont publié des messages sur leurs réseaux sociaux pour inviter au boycott de la compétition. «C’est une super course qui a fait beaucoup de bien à l’ultra-trail. Malheureusement, la direction actuelle prise par l’UTMB nous inquiète.» Les coureurs critiquaient notamment le coût des dossards. Mais aussi l’instauration d’un système de points, à accumuler dans le circuit des World Series organisé par l’UTMB Group, et devenus indispensables pour s’aligner sur l’UMTB, qui fait figure de finale mondiale de la discipline. Pour calmer les esprits, les organisateurs viennent de doubler les gains aux vainqueurs (le «prize money»), à 20000 euros, à stricte parité homme-femme. «Notre sport se professionnalise. Je comprends que ça bouleverse un peu, mais la majorité des coureurs adhère à notre projet. Ceux qui râlent n’ont plus besoin de l’UTMB pour vivre, alors qu’ils ont construit leur renommée grâce à lui», réplique, amer, Frédéric Lénart.

«Marchandisation», «disneylandisation»… L’UTMB traverse une crise de croissance depuis 2022, quand ses fondateurs ont cédé 45% du capital à un nouvel actionnaire, le groupe Ironman. Si la famille fondatrice reste majoritaire, elle développe désormais sa marque grâce au soutien logistique et commercial de cette multinationale, spécialiste des triathlons extrêmes. Alors que UTMB Group organise désormais une cinquantaine de courses à travers la planète (Etats-Unis, Brésil, Australie…), il a vu sa structure passer de 20 à 90 salariés, pour un chiffre d’affaires qui a triplé depuis l’ouverture du capital. Le groupe vise désormais les 50 millions d’euros de revenus d’ici cinq ans (contre 10 millions en 2022), porté par l’essor d’une discipline qui surfe sur les notions de liberté, de dépassement de soi et de connexion avec la nature. Autant d’arguments qui font dire aux spécialistes que le trail devrait bientôt dépasser la course à pied sur route en nombre de pratiquants et de compétitions.