
S’aligner au départ de l’une des courses à la voile les plus exigeantes, réunir 200 partenaires autour de ce projet et, à l’arrivée, totaliser plus de 1 million d’abonnés sur les réseaux sociaux… Violette Dorange mesure le chemin parcouru. Mais c’est surtout parce qu’elle a su remuer ciel et terre que la benjamine du Vendée Globe peut aujourd’hui savourer ce succès. Retour sur une aventure sportive autant qu’entrepreneuriale.
Capital : Un tour du monde en solitaire et sans escale, vous y pensiez depuis longtemps ?
Violette Dorange : Depuis toujours, j’ai envie d’aller loin, de vivre des aventures, d’avoir une vie différente: je veux gravir des montagnes et traverser des océans ! Je me suis décidée pour le Vendée Globe en 2020. C’était en rentrant d’une transatlantique en solitaire sur un petit bateau de 6,50 mètres (la mini transat, NDLR). J’avais 19 ans.
Mesuriez-vous l’ampleur de l’entreprise dans laquelle vous vous engagiez ?
Oui. J’ai commencé à gérer une petite entreprise à partir du moment où je me suis lancée dans la course au large, à 17 ans, avec la Mini Transat. Finances, partenariats, communication, etc., j’ai compris qu’au-delà de la voile, il fallait mobiliser d’autres compétences pour pouvoir partir.
Vous êtes donc devenue cheffe d’entreprise alors que vous étiez encore étudiante ...
Effectivement, j’ai mené en parallèle des études d’ingénieur et la course au large pendant quatre ans. Je partais aux entraînements, je rattrapais les cours le week-end. Avant les partiels, je m’enfermais deux semaines pour réviser… Puis j’ai pris une césure pour me consacrer à 100% à la course au large. C’est devenu un métier. Je travaillais tous les jours de la semaine.
Quelle cheffe d’entreprise êtes-vous ?
Dans mon équipe, il n’y a pas vraiment de chef. Il y a des personnes qui ont des responsabilités importantes. Mais on travaille ensemble. Je donne mon accord sur la communication ou la stratégie qu’on s’apprête à mener. Mais je fais confiance. Il y a des moments où je suis en mer, parfois pendant des mois, donc il faut que l’équipe roule sans moi. Je n’ai pas intérêt à être trop cheffe !
Comment s’entoure-t-on pour un tel projet ?
Personnellement, j’ai d’abord compté sur ma famille. Traverser la Manche en optimiste à 15 ans, c’était juste une idée lancée comme ça. Mon père m’a aidée à concrétiser ce rêve en gérant un budget, des sponsors et toute une logistique... Ensuite, il y a eu la Mini-Transat que j’ai gérée dans son entièreté. Pour «Devenir» (son projet Vendée Globe, NDLR), il a fallu étoffer l’équipe. Trois personnes juste pour la gestion, sans compter tous les intervenants extérieurs auxquels on a fait appel. Au fur et à mesure de l’avancée du projet, les postes ont beaucoup évolué. La team manager, par exemple, est arrivée en tant qu’apprentie en communication.
Vous avez aussi pu compter sur le soutien d’un sacré mentor avec Jean Le Cam.
Nous avions besoin non seulement d’un bon bateau mais aussi du suivi d’un navigateur qui le connaisse. On voulait le bateau de Jean Le Cam, immense navigateur, avec cinq participations au Vendée Globe à son actif ! Mais à ce moment-là, nous n’avions pas les partenaires nécessaires pour y aller… Jean et moi avons échangé une poignée de main et il m’a dit: «Allez, en 2022, si tu trouves ton partenaire, tu peux acheter Hubert» (le surnom du bateau). Il a largement tenu sa parole parce qu’on a mis plus de temps que prévu à trouver les sponsors et le budget. C’était déjà une telle victoire d’être sur le départ de la course.
Ces partenaires justement, comment les avez-vous trouvés ?
Ça a été un boulot de pèlerinage. Hors achat du bateau, il nous fallait au moins un million et demi d’euros. Deux ans avant le départ, un petit collectif de cinq franchisés McDonald’s nous a suivis. Ensuite, il a fallu en convaincre d’autres, franchisé après franchisé. Finalement, c’est comme si on avait 200 sponsors différents. Ce n’est pas commun : en général, les projets de voile, c’est un, deux ou trois grands sponsors, pas plus. Mais un projet multipartenarial, je trouve ça plus sécurisant si l’un d’eux se retire.
Et la communication dans tout ça ?
Nous y travaillons depuis le début, c’est une partie qui me plait. Pour les vidéos, je prends exemple sur des créateurs de contenu, avec l’idée de parler des émotions, de raconter des histoires. Par exemple, dire «j’ai peur mais je continue d’avancer». Des choses qui nous touchent tous. La suite, c’est beaucoup de hasard. Quand j’étais en mer, je n’avais pas les réseaux sociaux donc j’envoyais des vidéos … et finalement pas tant que ça par rapport à la moyenne des skippers. C’est mon équipe, à terre, qui s’occupait des contenus. Ils ont fait un super boulot.
En mer comme à terre, vous êtes constamment amenée à prendre des décisions, à vous mettre en danger. Quel est votre rapport au risque ?
Quasiment tous les jours, on a plusieurs décisions à prendre. Est-ce qu’on prend le risque d’augmenter la négociation et de perdre le partenaire ? Est-ce qu’on prend telle ou telle route ? Telle ou telle voile ? Bref, on est tout le temps en train de calculer le risque. Je me fixe des critères de décision. Typiquement, si le vent monte au-delà d’un certain seuil, je range cette voile. Les limites, ça pose un cadre. Dans tous les cas, je me dis que je ne détiens pas la vérité absolue. Il est possible que je me trompe. Pour le Vendée Globe, mon objectif premier, c’était de finir ce tour du monde et je me suis forcée à le tenir tout du long.
Bilan : un tour du monde en 90 jours et une visibilité médiatique inégalée. Le succès de ce projet va forcément faciliter les suivants. Peut-on en savoir plus sur la suite ?
90 jours, 22 heures, 37 minutes et 9 secondes (elle retourne un bracelet à son poignet) : c’est gravé là. Ce Vendée m’a ouvert des portes. Cette année, j’embarque sur Initiatives-Cœur avec Samantha Davies, qui est une des navigatrices que j’admire depuis que je suis toute petite. On va faire plusieurs courses en équipage jusqu’à l’automne et à la fin de l’année, on sera sur le départ de la Transat Café L’Or. Encore une grande chance !
Ses 3 conseils aux porteurs de projets
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