
Un diffuseur d’huiles essentielles à 64,95 euros, une fontaine à eau en bambou et en pierre à 99,95 euros, un panneau solaire pliable à 49,95 euros… Ces gadgets ont beau donner dans le zen, dans les allées des magasins Nature & Découvertes, ils ont désormais le don d’agacer. «Les produits n’ont pas changé depuis trente ans ! On trouve toujours les mêmes réveils avec des chants d’oiseaux, le coussin pour le cou rempli de noyaux de cerises ou encore le masseur de crâne», nous confie Sandrine, qui ne fréquente plus qu’occasionnellement l’enseigne. Le même énervement pointe chez les professionnels du secteur. «Le client sait-il pourquoi il paie de tels produits plus cher chez Nature & Découvertes ? Non. Et les articles vendus sont-ils différents de ceux exposés chez les concurrents ? Non plus», tranche ainsi sèchement David Robin, associé au sein du cabinet de conseil Colombus Consulting.
Le constat peut sembler sévère pour ce précurseur, très tôt engagé dans la défense de la biodiversité et de l’environnement. Nature & Découvertes avait ainsi lancé sa fondation de protection, de sensibilisation et d'éducation à la nature dès 1994, quatre ans seulement après sa création, avant d’être labellisé B Corp en 2015, et de devenir «société à mission» en 2022. Mais les chiffres sont là pour confirmer la désaffection : entre 2022 et 2023, les revenus de l’enseigne ont fondu de 6%, à 181 millions d’euros. Et le réseau est désormais dans le rouge, avec une perte de presque 11 millions d’euros en 2023. Le millésime clos en 2024 ne s’annonce guère meilleur. «Nature & Découvertes affiche un fort recul de ses ventes et de sa rentabilité par rapport à 2023», a ainsi prévenu son propriétaire, le groupe Fnac Darty, lors de la présentation des résultats, en février dernier. «Ça ne va pas, la situation est inquiétante», nous a confirmé un représentant syndical souhaitant rester anonyme, à la sortie d’une réunion avec la direction, fin avril. Les instances représentatives craignent désormais de nouvelles mesures d’économie, alors que l’enseigne a déjà supprimé 73 postes l’an passé et fermé quatre magasins (Gaîté-Montparnasse à Paris, Levallois-Perret, Mulhouse et Evry).
Seulement 11 shops in shops
Et pourtant, en 2019, lors du rachat de Nature & Découvertes à la famille des fondateurs, les Lemarchand, et du fonds d'investissement Raise, Fnac Darty ne cachait pas ses ambitions. Le patron du groupe, Enrique Martinez, souhaitait conquérir de nouveaux marchés, parmi lesquels la péninsule Ibérique, où le réseau Fnac était déjà bien implanté. Il entendait aussi ouvrir des rayons dédiés aux produits de la marque dans les magasins Fnac, et se voyait dupliquer le modèle de développement en franchise, précédemment adopté par l’enseigne de biens culturels. Six ans plus tard, le bilan est plus que mitigé : Nature & Découvertes ne compte aucune adresse en Espagne, et n’exploite que 11 de ces «shops in shops» installés à la Fnac. Quant au plan d’expansion en franchise, il semble au point mort. Sur un total de 107 magasins à fin 2023, l’enseigne n’en totalisait que 17 sous ce format. Certes, peu après l’acquisition de la marque par le groupe, le Covid est passé par là. Les points de vente, contraints de baisser le rideau pendant 200 jours, avaient vu leur fréquentation chuter de 35 à 45% durant la période. Reste que la question de la pertinence de ce rachat, pour un distributeur avant tout spécialisé dans les biens culturels et l’électroménager, se pose. «Quand un consommateur se déplace à la Fnac ou chez Darty pour acheter une télé ou un four, il ne vient pas pour du bien-être. Le groupe s’est offert Nature & Découvertes pour verdir son image et capter une nouvelle typologie de clients, mais c’est le mariage de la carpe et du lapin», juge David Robin.
Trop de prudence et un manque d'investissement
Pour ne rien arranger, l’enseigne aux multiples univers (développement personnel, sciences et éducation, jeux, etc.) a sans doute sous-estimé la concurrence. «Sur ses principales catégories de produits, elle se bat face à des acteurs bien plus puissants», rappelle Frédéric Boublil, spécialiste des marques et des enseignes. Au rayon cosmétique, le réseau doit par exemple affronter Aroma-Zone et Yves Rocher. «Nature & Découvertes a été le premier à véhiculer un discours autour du développement durable. Mais aujourd'hui, toutes les marques s’emparent de cette thématique, et l'enseigne n’est plus audible sur ce sujet», explique David Robin. Ce n’est pas mieux côté articles pour le jardin, un segment sur lequel Truffaut ou Botanic raflent la mise. Le sport et l’aventure ? Leurs adeptes sont le plus souvent tentés d’aller chez des spécialistes comme Au Vieux Campeur ou Decathlon. Et pour la déco ? Les enseignes Hema, Action ou Temu constituent de redoutables rouleaux compresseurs. La direction, qui n’a pas souhaité répondre à nos demandes d’interview, ne peut que reconnaître l’intense compétition. «Depuis la sortie de la pandémie, Nature & Découvertes a dû faire face à une transformation des habitudes de consommation de ses clients et à une très forte concurrence d’acteurs low-cost, notamment ceux venus d’Asie», nous a ainsi répondu le groupe, par écrit. Pas sûr, toutefois, qu’il ait réagi à la mesure du problème. «La marque a été «fnac-isée». Trop de prudence et un manque d’investissement flagrant», tranche ainsi un expert de la grande consommation.
Plan stratégique dévoilé le 11 juin
Autant dire qu’Alain Keravec, le directeur général arrivé en octobre dernier, en remplacement de Frédérique Giavarini, a du pain sur la planche. Présent dans le groupe Fnac Darty depuis quinze ans, le nouveau boss doit dévoiler son nouveau plan stratégique le 11 juin prochain. Si rien n’avait filtré de ses projets au moment d’écrire ces lignes, les spécialistes, eux, ne manquent pas d’idées. «Il faut travailler la désirabilité de l’offre et l'innovation, et réussir à créer une communauté avec des clients ambassadeurs», détaille Frédéric Boublil. Et pour justifier un prix plus élevé que la moyenne, «le client doit repérer chez Nature & Découvertes des produits introuvables ailleurs, à la traçabilité exemplaire, afin de donner le sentiment que l’achat constitue une bonne action pour la planète», avance David Robin. Il ne faudra pas tarder : entre l’acquisition du réseau, en 2019, et la fin de l'année 2023, la valeur de la marque dans le bilan du groupe a fondu de 26 à 18,5 millions d’euros. On a déjà vu investissement plus durable.
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