
Depuis dix ans, le journaliste Marc Beaugé et le directeur créatif de la marque Fursac, Gauthier Borsarello, cultivent une amitié dont les liens se tissent autour de leur rapport aux vêtements. Au point de lancer, en 2018, le magazine L’étiquette, le guide du vêtement masculin. Capital a interrogé ces deux chantres du bon goût sur leur passion pour la mode et les nouveaux codes du vestiaire pour hommes.
Comment est née votre passion pour le vêtement ?
Marc Beaugé : Elle me vient des sous-cultures anglaises et de leurs liens avec le foot et la musique, des domaines sur lesquels j’ai d’abord écrit quand j’étais au magazine Les Inrockuptibles. Au fil du temps, le vêtement a pris plus d’importance dans mon travail. Depuis une quinzaine d’années, j’écris sur ce thème pour M, le magazine du Monde, mais aussi pour Quotidien.
Gauthier Borsarello : Comme Marc, je ne travaillais pas dans la mode à l’origine, j’étais musicien classique à l’Orchestre de Paris. Mais, depuis le collège, parce que je n’avais pas d’argent pour acheter du neuf, j’ai développé un goût pour le vêtement ancien et la fripe en particulier. C’est une passion qui a fini par me faire quitter ma pratique musicale pour ouvrir un showroom, où je louais et vendais des vêtements vintage aux marques comme source d’inspiration.
Quel est votre objectif avec le magazine bi-annuel “L’étiquette” ?
M.B. : On veut raconter le vêtement comme un objet culturel, aussi noble et signifiant qu’un disque, un livre ou un film. Grâce à lui, on relate l’époque, les gens, la société, l’histoire, l’économie, etc.
G.B. : Hormis manger et dormir, s’habiller est la seule chose qu’on fait tous quotidiennement. Avec L’étiquette, on entend aussi s’adresser à ceux qui n’y connaissent rien, pour qu’ils puissent le lire en se disant qu’il y a de la profondeur derrière un vêtement, qu’il raconte une histoire.
Dans cette bible du look, que voulez-vous dire de la façon de s’habiller aujourd’hui ?
G.B. : On a un rapport majeur au vintage.
M.B. : Même si on ne conseille pas d’en acheter dans l’espoir de sauver la planète, plutôt parce que ça a du sens culturellement.
G.B. : Et puis, on ne fait pas des images de mode incompréhensibles. On crée des tenues destinées à être portées, comme on créerait des personnages. Le lecteur comprend les références et intègre dans son vestiaire les détails qui lui conviennent.
Dans cette époque post-Covid, on semble avoir un peu perdu les codes du dressing formel au bureau. Qu’en pensez-vous ?
G.B. : Un constat s’impose. Il y a quelques années encore, il y avait, d’un côté, les jeunes fans de streetwear et, de l’autre, les gens des bureaux adeptes de codes plus formels. Aujourd’hui, j’observe une inversion, des jeunes qui adoptent les codes du bureau avec un retour de la cravate, port du mocassin et de la chemise dans la rue, tandis que le vêtement de bureau est en train de se déconstruire. En entreprise, on tombe la cravate, la chemise et on troque les souliers pour les baskets.
La cravate semble être toujours un sujet de débat…
G.B. : C’est un accessoire qui fascine. C’est à la fois le premier à tomber et le premier à revenir dès qu’on évoque une forme de solennité dans la manière de s’habiller.
M.B. : C’est une pièce statutaire qui n’est plus tellement valorisée. Pourtant, ça fait partie des messages qu’on porte chez L’étiquette, cette idée qu’en costume-cravate, non seulement on est élégant, mais on est plus crédible. Dans son podcast, le critique gastronomique François Simon raconte que, lorsqu’il va au restaurant, il fait toujours un effort parce qu’il arrive que la table d’à côté célèbre un anniversaire et qu’il ne veut pas gâcher la photo.
G.B. : C’est une vraie politesse envers l’autre.
Le rose vu sur les podiums des collections masculines, est-il adoptable au quotidien ?
G.B. : Je trouve que le rose pâle porté sur une chemise, c’est la première fantaisie qu’on peut facilement s’autoriser dans un vestiaire classique. Pour la porter, rien de plus simple, il suffit de la marier avec un costume bleu marine et une cravate tricot. Ou bien, pour un look plus casual, on peut l’adopter rentrée dans un jean avec un blazer à boutons dorés.
Est-ce qu’il y a quelques préceptes que tous les hommes peuvent adopter pour s’habiller ?
M.B. : Quand je me trouve trop gros, j’essaie de porter des pièces qui vont m’aider à avoir une ligne plus nette : une veste avec des épaules carrées, un pantalon taille haute, moins resserré en bas, avec une ouverture à 23 centimètres plutôt qu’à 18. Et je choisis des matières qui ont de l’aplomb.
G.B. : J’ai tendance à penser qu’il n’y a pas de règle absolue. Mais si, toutefois, vous avez besoin de conseils, je pense qu’il faut miser sur la sobriété : un costume bleu marine et l’autre gris anthracite, les deux en laine Fresco (une laine froide, NDLR), des chemises en popeline, peu importe la couleur, des cravates club (rayées, NDLR) noir et bleu marine. Ce sont des classiques qui ont fait leurs preuves.
M.B. : On prend moins de risques en s’habillant en costume, en trouvant sa coupe et sa hauteur de col, et en affinant ça au fur et à mesure, qu’en faisant de grandes extravagances. Il faut résister à l'envie de vouloir montrer sa richesse ou sa réussite.
Qu’en est-il des hommes politiques ?
M.B. : Il y a deux tropismes, celui de l’exemplarité qui consiste à dire «je m’habille bien parce que je représente les Français» et l’autre, celui de la représentativité, qui signifie «je m’habille comme les Français parce que j’en suis un, je suis comme eux». Je ne suis ni politique, ni stratège, mais je préfère qu’on fasse un effort plutôt que de se laisser aller à une certaine hypocrisie qui consiste à considérer qu’on est aussi mal habillé que les Français.
G.B. : Je pense effectivement que les Français sont assez attachés au fait que les hommes politiques soient bien habillés. Ce qui peut expliquer l’attrait pour un Jordan Bardella, qui est toujours très chic. Je pense que les Français seraient aussi sensibles à un homme de gauche élégant. Après tout, le fait de respecter l’autre en s’habillant bien, ça appartient à toutes les classes sociales.
Gauthier, vous travaillez, avec Fursac, au plus près des consommateurs. Quelles demandes vous font-ils ?
G.B. : Une grande partie d'entre eux veut une panoplie qui comporte toujours un blouson K-Way, une paire de baskets Autry ou Veja, et un costume étriqué. Et même si la pandémie a permis de détendre davantage le vestiaire, à part une jeune génération, la majorité de ma clientèle, qui a entre 35 et 45 ans, est encore habituée au modèle plus étroit et près du corps. Pourtant, s’il est certain qu’on s’habille toujours en costume – c’est le cœur de notre business et on fait toujours beaucoup de chiffre d’affaires avec –, l’homme est devenu ultra-pluriel.
M.B. : La plupart des hommes ont un rapport aux vêtements basé sur les interdits qu’ils se fixent eux-mêmes – des couleurs, pièces ou formes qu’ils ne peuvent pas porter. Alors que, plus on se cultive, plus on fait tomber ces barrières, on ose des coupes, des accessoires… et on peut exprimer sa personnalité.

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