
Camaïeu, Minelli, Habitat, ou encore Esprit… Les produits de ces différentes marques n’ont pas tous été emportés avec les liquidations judiciaires qui ont successivement frappé ces enseignes, lors de ces derniers mois. Car des petits malins se sont débrouillés pour racheter ces stocks aux enchères auprès des tribunaux de commerce, et les proposer ensuite dans leurs propres rayons. Leurs noms ? Noz et Stokomani, les deux leaders du secteur du déstockage. Un business qui a de l’avenir, tant les ménages, malmenés par l’inflation, surveillent toujours leur budget. «Avec la crise, les consommateurs sont frustrés de ne pas pouvoir s’offrir ce qu’ils veulent. Le déstockage, qui propose des produits de marque à petit prix, constitue donc le comble de la bonne affaire», détaille Cédric Ducrocq, PDG de Diamart Group, une société de conseil en grande distribution. Mais les chaussures et vêtements bradés à -50, voire -70%, ne séduisent pas que les clients les plus modestes. «Cette tendance à l'achat totalement décomplexé se retrouve au sein de toutes les catégories socio-professionnelles», assure Frédéric Fessart, associé chez EY-Parthénon et expert de la grande consommation.
Concurrentes, ces deux enseignes dont le chiffre d’affaires avoisine les 700 à 800 millions d’euros n’en diffèrent pas moins dans leur stratégie. Du côté de Noz, c’est priorité aux bons coups, histoire de créer en permanence l’excitation commerciale, dans une ambiance de bazar, où les bacs débordent de produits. Toujours pilotée, à 72 ans, par son fondateur Rémy Adrion, l'enseigne créée en 1976 s’est par exemple successivement emparée des stocks d’Habitat (à hauteur de 130 000 pièces), de Minelli (près de 200 000 chaussures et accessoires), de Made.com (141 000 meubles et pièces de décoration), d’Esprit (un million de vêtements), et plus récemment de la marque de prêt-à-porter masculin Olly Gan (180 000 pièces). En mettant de la sorte la main sur des centaines de milliers d’articles, cette enseigne assure la disponibilité de l’offre dans l’ensemble de ses 315 magasins, surtout situés dans des zones de chalandise modeste.
Doudoune Jott à 59 euros, sacs Eastpak à 19 euros...
Alors que les faillites se multiplient dans le secteur textile, Stokomani ne s’interdit bien sûr pas de dénicher de tels coups. L’enseigne, rachetée en 2022 par Moez-Alexandre Zouari (propriétaire de l’enseigne de discount Maxi-Bazar, mais aussi de Picard, et de nombreuses franchises Franprix), à son fondateur Jean-Jacques Namani (associé aux fonds d'investissement Sagard), a par exemple repris une partie des stocks de Camaïeu, au printemps 2023. Plus récemment, elle s’est aussi arrogée une partie des stocks d’Esprit (600 000 pièces). L’exercice a cependant ses limites, pour un réseau créé en 1961, et comptant déjà 156 magasins. «Si on a moins de 10 000 pièces, on ne cible que certains points de vente», explique Philippe Thirache, président de Stokomani depuis mi 2024.
La stratégie d’approvisionnement repose plutôt sur des collaborations de long terme. «Nous comptons 700 fournisseurs et 200 grandes marques partenaires, ce qui permet d’avoir des opérations régulières, tout au long de l’année», poursuit le dirigeant. De nouveaux arrivages débarquent donc en rayon chaque semaine, depuis les doudounes Jott à 59 euros (contre 180 euros dans les magasins de la marque), jusqu’aux sacs Eastpak bradés à 19 euros (contre 59 euros de prix de départ) ou les lisseurs Dyson à 200 euros (au lieu de 499 euros). «Stokomani couvre toutes les unités de besoins. Les consommateurs savent qu’ils vont pouvoir trouver des jeans, des tee-shirts, des chaussures… En revanche, les marques tournent. Vous pouvez avoir une semaine des pantalons Lee Cooper et celle d'après du Ralph Lauren», décrit Cédric Ducrocq. Chez «Stoko», par ailleurs, déstockage ne rime pas avec tapage. Les produits, soigneusement rangés, sont présentés au long d’un parcours client bien pensé.
En chiffres
Stokomani
- 800 millions d’euros de chiffre d‘affaires en 2023
- 156, le nombre de magasins
- 25 millions de clients par an
Noz
- 712 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023
- 315, le nombre de magasins
- 3 millions de clients par mois
Réorganisation en vue chez Stokomani
Pour l’heure, la stratégie plus agressive de Noz semble jouer en sa faveur : après un passage à vide en 2022, qui avait vu l’enseigne fermer une vingtaine de ses boutiques, la croissance de ses ventes a atteint 30% en 2023, et pourrait encore avoisiner +13% au titre de 2024. Tandis que Stokomani n’affiche qu’un modeste +8%, pour 2023. «Noz est un pur déstockeur, là où Stokomani divise son activité entre déstockage et discount (produits sans marque à petits prix, comme chez Action, ndlr). Résultat : Noz parle mieux à sa clientèle, tandis que Stokomani peine parfois à clarifier son positionnement», analyse Olivier Salomon, associé et directeur général chez AlixPartners. Autre point fort de Noz : sa capacité à diversifier son offre, vers la décoration et le mobilier, tandis que Stokomani reste très dépendant du textile (40% de ses ventes). Mais l’enseigne de Moez-Alexandre Zouari n’a pas dit son dernier mot. «Les emplacements des boutiques sont bons et les magasins sont bien agencés, il faut juste remettre de l’énergie», avance Cédric Ducrocq. C'est d'ailleurs le projet du président de Stokomani, qui a annoncé fin janvier un plan de réorganisation pour alléger sa structure de coûts et réaliser des baisses de prix. Ce plan, qui n'entraînera ni fermeture de magasins, ni licenciements secs, se traduit tout de même par la suppression, par le biais d’une rupture conventionnelle collective (RCC), d'une cinquantaine de postes au siège, sur les 240 recensés.
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