Si le marché crypto est redevenu haussier, les start-up qui le représentent sont toujours dans l’attente de signaux positifs de la part des financeurs : majoritairement constitué de TPE en France (près de 69%, selon le dernier rapport de l’Association de développement des actifs numériques et KPMG), cet écosystème doit composer avec des sources de financement qui se sont considérablement taries depuis 2022 et la faillite de la plateforme de trading FTX. «[Après] la chute de FTX et consorts, le secteur avait mauvaise réputation et nous sommes un fonds qui n’a pas forcément envie de se lancer dans ces circonstances», expliquait récemment Denis Barrier, le directeur général du fonds Cathay Innovation, à Capital. Un point de vue d’investisseur largement partagé par ses pairs, qui s’est traduit concrètement par la baisse des levées de fonds des jeunes pousses du marché crypto, à l’image de l’ensemble des start-up (8,3 milliards d’euros levés par 281 start-up en 2023, soit 33% de moins qu’en 2022, d’après KPMG).
Dès lors, nombre d’entre elles n’hésitent plus à se tourner vers d’autres voies, en particulier la levée de fonds communautaire , ou crowdequity. Si le crowdfunding permet à n’importe qui de financer un produit, cette nouvelle version du financement participatif permet d’entrer au capital d’une entreprise. Dans le secteur crypto et Web3, ce fut notamment le chemin choisi par StackinSat (un million d’euros levé début 2024), Lyzi (520 000 euros) et Defit (levée en cours avec un objectif de 800 000 euros). «Il y a eu un assèchement des fonds d’investissement en 2023, qui se sont concentrés sur des séries A (après la phase d’amorçage, NDLR) et des late stages (à partir de la série B, NDLR). Il fallait trouver des alternatives, confie à Capital le fondateur de Defit, Kevin Serou. Celui-ci souligne dans le même temps qu’il s’agissait d’un souhait des utilisateurs de son application d’activités sportives récompensées : «Notre communauté l’a demandé : l’idée est venue lors d’une discussion live sur X (ex-Twitter), des membres ont proposé d’être actionnaires. Au bout du compte, c’était la meilleure solution pour que nos fans puissent faire partie de la société et cela rejoint l’esprit du Web3, selon lequel le monde peut participer, contrairement aux fonds de private equity».
Des tickets d’entrée plus accessibles aux particuliers
Dans un fonds de capital-investissement (ou private equity), le ticket d’entrée démarre généralement à 10 000 euros. Une somme conséquente pour un particulier, d’autant plus pour de l’actionnariat de start-up, société naturellement à risque. Dans le cadre d’une plateforme communautaire, il est possible d’investir dès 1 000 euros, ce qui conduit aussi à augmenter le bassin d’investisseurs potentiels. «Cela nous permet également d’élargir notre public», renchérit Kevin Serou, qui a fait appel à la plateforme d’investissement Tudigo pour la levée de fonds de Defit.
C’est également cette plateforme qu’ont choisie Damien Patureaux et ses associés pour la levée de fonds de Lyzi, une application de paiements crypto dans les commerces, pour des raisons en tout point similaires. «Depuis le départ, notre volonté était d’aller chercher une voie communautaire : puisque nous sommes en train de créer un nouveau cas d’usage, quoi de mieux que d’avoir des utilisateurs parmi nos actionnaires ? souligne le PDG de Lyzi. Idem chez StackinSat, dont le PDG Jonathan Herscovici expliquait à Capital, en mars dernier, vouloir «créer un cercle vertueux et s’appuyer sur une armée d’ambassadeurs». Sa société d’épargne en bitcoin a quant à elle fait appel à la plateforme d’investissement rennaise Soul Invest.
La phase de développement très précoce de ces entreprises semble aussi le moment idoine pour concrétiser une telle opération. «C’est la seule étape où il est possible de le faire car une fois que cette phase de financement en amorçage est passée, on ne propose plus cette possibilité.» En effet, les levées de fonds plus importantes, du stade A (pour les plus jeunes entreprises) au C (pour les sociétés plus matures), ne sont ensuite accessibles qu’aux fonds d’investissement et aux investisseurs institutionnels. Paradoxalement, les investisseurs particuliers occupent désormais le rôle des fonds de capital-risque, plus que jamais frileux en France. «C’est vraiment un financement qui nous sert pour l’amorçage, poursuit Damien Patureaux. Aujourd’hui, c’est très compliqué en France de lever des fonds auprès des financeurs, il n’y a pas d’appétence. Nous avons rencontré beaucoup plus de curiosité et d’enthousiasme du côté des fonds asiatiques ou américains.»
L’accompagnement apprécié des plateformes d’investissement
Pour ces sociétés, cette voie leur permet aussi de protéger certains de leurs actifs, en particulier leurs tokens. Defit comme Lyzi ont déjà financé leur lancement par de la vente de tokens (une récolte d’1,1 million d’euros pour la première, de 660 000 euros pour la deuxième) respectivement capitalisés à 5,9 et 2,5 millions d’euros au 25 avril. Friands de ces actifs numériques, plus liquides que des prises de participation dans le capital, les fonds d’investissement peuvent être amenés à négocier leur entrée dans l’actionnariat contre une partie en tokens, au grand dam de leurs détenteurs. «Dans des périodes d’assèchement de financement, les fonds cherchent des rendements très forts et très rapides, confirme Kevin Serou. A Defit, avec notre token utilitaire, nous ne souhaitions pas revendre ce token en négociations privées pour éviter de créer une pression vendeuse.» Et donc une baisse de cours, au détriment des utilisateurs.
Dernier avantage souligné par les deux entrepreneurs : l’accompagnement offert par ces plateformes d’investissement. «Tudigo nous a alloué des ressources énormes. Leurs équipes financières nous ont aidés à améliorer notre business plan et nos projections financières. Il y a également un soutien juridique, qui nous a permis de mettre à jour les pactes d’associés, insiste le patron de Defit. C’est une plateforme qui réalise un gros travail de vérification des projets, confirme son homologue de Lyzi. C’est très qualitatif car leur équipe ne se contente pas du budget prévisionnel qu’on leur adresse. Ils produisent trois projections, avec des comparatifs. En amont, ils placent beaucoup de ressources pour comprendre et défier votre modèle économique de façon à ce qu’une fois publié sur la plateforme, celui-ci soit le plus solide possible. Cela nous a permis de nous remettre en question en interne. C’est très structuré.» Des services qui ont un coût puisque ces plateformes prélèvent des commissions (variables selon les projets, mais annoncées entre 4 et 12% sur les fonds levés par Tudigo, sans compter des frais juridiques et administratifs).
Enfin, aussi «vertueux» soient-ils, ces financements communautaires engendrent également des devoirs, notamment celui de «la transparence totale», relève Kevin Serou. «Tout est public : il faut être en mesure de communiquer. La communauté a désormais accès à l’ensemble de nos données : chiffres d’affaires, coûts, pactes d’associés. Il faut l’accepter : à titre personnel, je trouve cela beau mais ce n’est pas forcément facile à gérer pour tout le monde.» Un point de vue partagé par Damien Patureaux : «Pour nous, c’est forcément positif : au bout du compte, que l’on réussisse ou que l’on échoue, les raisons seront connues de tous, et mieux comprises.» Une transparence qui pourrait attirer de plus en plus de particuliers et les chiffres l’attestent : en 2022, l’AMF relevait un total de 1,92 milliard levé par ces plateformes, contre 1,45 milliard l’année précédente. Avec le lancement du nouveau dispositif fiscal «Midy», qui permet également de défiscaliser 30% d’un investissement dans une de ces jeunes entreprises qualifiées d’innovantes, cette pratique dispose de surcroît d’une incitation séduisante, même si un point important ne peut être occulté : «Sans communauté, tu n’as pas de financement», rappelle à juste titre Kevin Serou.
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