La banque Delubac et sa filiale Delupay à l’assaut de Visa et Mastercard et au service des cryptos

Pour gagner du territoire, Delupay cible en priorité les commerçants : 2 700 d’entre eux ont été convaincus depuis le premier déploiement il y a six mois. Le service en espère 30 000 à la fin de cette année civile. «Nous avons une conviction sur les petits commerçants. Nous pensons que le succès viendra d’eux : sans chauffeur, Uber ne fonctionne pas», observe Joël-Alexis Bialkiewicz, qui reconnaît cependant que «le chantier» pour concurrencer les mastodontes du paiement «est titanesque». Il en est cependant persuadé : «Si ça n’est pas Delupay, ce sera quelqu’un d’autre. La carte est finie.» Pour appuyer les ambitions de Delupay, le financement sera primordial : l’entreprise, dont l’actionnariat est composé à 95% de la banque Delubac et les 5% restants de Joël-Alexis Bialkiewciz à titre personnel, cherche à lever 50 millions d’euros. Une quête entamée depuis plusieurs mois désormais et compliquée par «la frilosité» des investisseurs européens, loin de «l’enthousiasme» de leurs homologues américains, selon le dirigeant.

Celui-ci promet aussi, sans en dire davantage, l’arrivée des paiements en cryptomonnaie sur l’interface de Delupay. Un service qui tient à cœur au président de la filiale puisque celui-ci se revendique parmi «les premiers en France à avoir miné du bitcoin quand il était encore possible de le faire avec des cartes graphiques». Un statut qui explique pourquoi Delubac, malgré son âge avancé, est la première institution bancaire à avoir adopté les cryptomonnaies et les acteurs de ces technologies, souvent repoussés par les autres banques.

Capital : Vous avez miné du bitcoin en 2011. Pouvez-vous confier vos motivations lors de cette période ?

Joël-Alexis Bialkiewicz : Il y a eu trois époques pour le minage. L'époque CPU (carte mère), l'époque GPU (carte graphique) et l'époque ASIC (puce spécialisée, NDLR). Je me suis intéressé à la problématique du consensus plusieurs années avant parce que j'étais dans un monde qui s'intéressait au sujet (l’université Pierre et Marie Curie, en spécialité algorithmique, NDLR), et on a vu la sortie du Bitcoin avec un grand intérêt en tant qu'objet mathématique. Miner était une façon d’y participer. Ce qu'il faut savoir, c'est que le minage dépasse le principe de la récompense que l’on reçoit : c’est une façon de participer à la sécurité du réseau.

Pour autant, je ne suis pas un maximaliste du bitcoin. J'ai certes tendance à considérer qu'effectivement, dans la crypto, comme dans beaucoup de domaines, il y a beaucoup de challengers qui sont très limités mais il existe peut-être cinq cryptos qui ont un sens. Nous pouvons dire qu’il existe deux catégories de cryptos : celles installées, qui ont fait leurs preuves, et les expériences. Beaucoup de gens créent des expériences car c’est un moyen simple et rapide de faire de l’argent et ça, c'est beaucoup moins sympa.

Faites-vous partie de ceux qui considèrent le Bitcoin comme un instrument monétaire supérieur à la monnaie fiduciaire ?

Pour répondre de manière très claire, et je ne vais pas me faire aimer, la monnaie qui existe aujourd'hui dans le monde repose sur une croyance relativement simple : la croyance en la capacité du gouvernement à extraire du travail de ses citoyens. Ce qui a une valeur réelle, c’est le travail humain, c’est l’inventivité. Et c’est donc là-dessus que repose la monnaie fiduciaire. Cela fonctionne tant que les gens acceptent de la recevoir pour leur travail. Pour autant, je ne suis pas un promoteur, contrairement à certains de mes amis qui ne jurent que par Bitcoin, Ethereum ou Solana pour des raisons qui leur appartiennent. Moi, je n’en sais rien. Ce que je peux dire, c’est que l’essence d’une monnaie solide ne repose pas sur les décisions d’une Banque centrale. Cela repose sur du concret. Qu’est-ce qui donne sa valeur à l’or ? Sa rareté, la difficulté et le coût énergétique nécessaires à son extraction. La monnaie repose sur une réalité : ce qui est important est qu’il ne doit pas être possible de l'émettre de façon arbitraire. Plus exactement, ceux qui pourraient décider de l’émettre doivent être ceux à qui cette émission nuit le plus, de façon à ce qu’il y ait un alignement des intérêts.

"J'ai le sentiment que l'AMF punit Delubac pour sa parole un peu trop libre"

Vous êtes l’un des membres des deux familles à la tête de Delubac. De fait, est-ce vous qui avez insufflé cette stratégie d’offre associée aux cryptomonnaies et ses acteurs ?

Evidemment. En réalité, je voulais même le faire plus tôt. Mes premiers contacts à ce sujet avec les autorités remontent à 2014. A cette époque, l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, NDLR) nous l’avait déconseillé. Nous avons donc attendu la loi PACTE de 2019. Il faut savoir qu’au sein de la banque Delubac, il y a une tradition d’être l’établissement au service des entreprises en difficulté, des entreprises qui réalisent des transactions avec des pays dans un contexte compliqué (l’Iran notamment, NDLR). Nous avons fait mentir tout le monde : on nous prédisait la perte de l’accès au dollar et, au bout du compte, cela se passe très bien. Nous y avons accès par l’intermédiaire de deux banques américaines. Nos opérations en Iran sont cadrées et nous faisons même nos petites déclarations à l’OFAC (organisme américain de contrôle des opérations étrangères de fonds, NDLR).

En quoi consistent les services crypto de la Banque Delubac ?

Nous avons une offre à destination des entreprises du secteur crypto qui consiste pour l’essentiel à la fourniture de services bancaires de base puisque, très honnêtement, elles n’ont pas accès aux autres banques. Je tiens à rappeler que nous avons été fondés en 1924, nous sommes donc l’une des plus anciennes, et nous avons un agrément complet, contrairement à certains établissements qui se revendiquent comme banques et ne le sont pas.

Comptez-vous également dans votre clientèle des entreprises qui détiennent de la cryptomonnaie dans leur trésorerie ?

Nous en avons. Nous connaissons des situations assez cocasses avec des clients dont les bitcoins proviennent, comme moi, de l’activité de minage. Aujourd’hui, et contrairement à la concurrence de certaines plateformes spécialisées très méfiantes vis-à-vis des bitcoins créés par le minage, nous comprenons très bien cette activité : nous avons des procédures très simples de vérification des fonds. Il y a des établissements qui coupent la commercialisation des cryptomonnaies dont la vocation est de dissimuler l’identité des utilisateurs, comme Monero, mais c’est très exagéré : il est tout à fait possible de les traiter dans le respect de la législation. Je le précise, même si nous n’acceptons pas Monero, faute de demande.

Quel service utilisez-vous pour la conservation des cryptoactifs ?

Aujourd’hui, nous utilisons Taurus, une solution suisse. Elle nous permet de disposer des HSM (les modules matériels de chiffrement, NDLR) chez nous, et donc d’avoir le contrôle complet du processus et, si nécessaire, nous pouvons interchanger demain cette solution pour un autre tiers. Nous nous sommes portés sur cette solution pour des considérations de sécurité, après avoir étudié en profondeur les autres services du marché.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur l’intégration des paiements en crypto dans Delupay ?

Ce n’est pas encore finalisé mais je peux dire que Delupay n’a pas vocation à conserver vos cryptos mais à vous permettre d’effectuer des transactions avec. Evidemment, nous proposerons le portefeuille Delubac aux personnes qui n’en ont pas mais ce que l’on veut faire avec Delupay, c’est offrir la possibilité de payer sans avoir à déposer de crypto chez nous, depuis le wallet en votre possession.

La mise en application du règlement européen sur le marché des cryptoactifs interviendra le 30 juin. Avez-vous déposé votre demande d’agrément PSAN auprès de l’AMF, qui permettra la conversion avec le régime CASP nécessaire pour exercer ?

Cela fait un an que notre dossier traîne. Nous n’avons pas eu de questions pendant six mois. J’ai le sentiment que l’on punit Delubac pour sa parole un peu trop libre mais ce n’est pas grave, nous finirons par l’avoir. Il y a un processus de transition de 18 mois. Et si nous ne l’avons pas, vous savez quoi ? Delubac émettra un communiqué expliquant qu’elle cesse son offre associée aux cryptoactifs pour une raison qui ne lui appartient pas. C’est une part infime de notre activité. Je n’imagine cependant pas une chose pareille puisque nous respectons tous les critères.

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Parmi vos clients, nombreux sont ceux qui sont également dans l’attente. Pensez-vous que cette étape de l’agrément sera trop haute pour certains d’entre eux ?

Nous allons voir si les pouvoirs publics sont intelligents. Je ne me prononcerai pas sur la pertinence des critères des pouvoirs publics. Cependant, je peux dire certaines choses. C’est comme pour les notes du baccalauréat : s’il n’y a pas assez d’élèves qui passent, c’est qu’il faut baisser les exigences, sinon il y a un problème social. Dans le cas contraire, si trop d’élèves passent, il faut les relever. Voilà ce qu’il va se produire : si, à l’approche de la date couperet, trop d’entreprises sont toujours dans l’attente, elles délocaliseront et continueront d’offrir leurs services en toute illégalité. Rappelons qu’en dépit de notre système d’enregistrement PSAN, certaines entreprises continuent d’opérer de Dubaï, de la Chine, de nombreuses juridictions. Va-t-on les envahir ? On ne se rend pas compte qu’il y a un sujet sur les dossiers qui ne sont pas traités, ou, tout du moins, que le niveau d’exigence vis-à-vis des entreprises n’est pas suffisamment proportionné à leur taille ou pas suffisamment progressif.