
Ils sont nés la même année. En 1973 paraissaient Le guide du routard, signé par un étudiant breton nommé Philippe Gloaguen, et Across Asia on the cheap (NDLR : Traverser l’Asie sans un sou), du jeune couple anglo-irlandais Tony et Maureen Wheeler, les fondateurs, en Australie, de Lonely Planet. Alors, ne leur parlez pas de match ou même de concurrence : ces deux collections iconiques cohabitent pacifiquement sur les rayons des libraires depuis cinquante-deux ans. Dans son bureau aux murs tapissés de guides maison, Philippe Gloaguen l’annonce d’emblée : “Je suis très ami avec les Wheeler, ils m’ont invité au cinquantième anniversaire de Lonely Planet.”
Une jolie histoire a soudé leur complicité. Voilà vingt ans, le trio a obtenu la libération d’une infirmière française injustement accusée de trafic de drogue en Thaïlande. L’hôtelier français qui l’avait accablée dans un premier temps a subitement modifié son témoignage. Explication de ce soudain revirement : “On s’était mis d’accord avec Tony pour démolir la réputation de son établissement”, raconte le papa du Routard, 73 ans et l’oeil malicieux.
Sept Routard et deux Lonely Planet dans le Top 10 des ventes 2024
Le Routard et Lonely Planet, c’est un peu chacun son chemin, chacun ses lecteurs. Au premier, édité par Hachette Tourisme, 30% du marché français qu’il domine de la tête et des épaules. Consécration nationale pour Le Routard et son effigie au sac à dos en forme de globe terrestre : le film éponyme de Philippe Mechelen, sorti cette année, dans lequel Philippe Gloaguen joue (brièvement) son propre rôle. “Une promo gigantesque !” se réjouit-il.
Dans le Top 10 des ventes 2024, derrière l’inamovible Guide Michelin rouge, figurent sept livres estampillés Routard et deux Lonely Planet. À ce dernier, racheté en 2020 à BBC Worldwide par le groupe de média américain Red Ventures, 20% de l’Hexagone tout de même, mais, surtout, le grand large. “Plus internationaux, nous proposons toutes les destinations. Et nous sommes le leader des destinations longue distance, avec un gros point fort en Asie, sur le Vietnam, le Cambodge et la Chine notamment”, insiste Dominique Bovet, directeur éditorial de Lonely Planet. Ses ouvrages au sobre cercle bleu sont les préférés des Américains, des Australiens et des Britanniques. Edi8, filiale du groupe d’édition Editis, détient depuis 2019 la licence exclusive pour la France et les pays francophones.
Situation géopolitique anxiogène et conjoncture morose
Après deux belles années post-Covid, les deux marques sont confrontées à une conjoncture morose. L’an dernier, selon l’institut GfK, les Français ont acheté cinq millions de guides de voyage, soit 6% de moins que l’année précédente. Résultat : un chiffre d’affaires de 95 millions d’euros, en recul de 3% - dont 35 millions pour le Routard et 19 millions pour Lonely Planet.
“La situation géopolitique et économique est anxiogène, analyse Dominique Bovet. Les consommateurs sont très prudents sur les voyages, poste de dépense qu’il est facile de réduire. En prime, les blogs, les réseaux sociaux et, désormais, l’intelligence artificielle générative modifient leurs pratiques.” Les deux collections explorent de nouveaux marchés : les beaux livres et les guides pour enfants avec Mission Routard et Mon premier guide.
"Nous travaillons de la même manière"
Les guides Lonely Planet sont handicapés par leur prix, sensiblement plus élevé - de 20 à 30€, quand les productions du Routard se vendent entre 15 à 18€. La contrepartie d’un papier plus élégant, de photos plus nombreuses et d’un nombre de pages plus élevé. Les mises à jour, coûteuses, sont moins fréquentes, tous les deux ans pour les destinations les plus populaires, trois pour les autres. Le Routard, lui, remet ses productions à plat tous les ans ou tous les dix-huit mois. “Nous travaillons de la même manière, indique Philippe Gloaguen. Nous voyageons anonymement et nous payons nos factures d’hôtel et de restaurant.”
En revanche, le ton n’a rien à voir. Factuel et objectif côté Lonely Planet, il se revendique narquois et léger dans les pages du Routard où le mot le plus utilisé est “sympa”. Chacun ses goûts. Chacun ses fans.
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