Quasiment inexistant au début des années 2020, le marché des stablecoins est en pleine croissance, avec une capitalisation qui dépasse désormais 260 milliards de dollars, en hausse de 33% depuis le début de l’année. Ce mouvement s’est accéléré avec le soutien affiché de l’administration Trump au secteur et l’adoption (bipartisane) du Genius Act cet été, un projet de loi pour encadrer le marché des stablecoins et soutenir son développement aux Etats-Unis.

Pourquoi un tel engouement ? Les stablecoins, ou jetons stables, sont conçus pour répliquer la valeur d’un actif, comme l’or ou une devise forte. En pratique, l’immense majorité des stablecoins répliquent le dollar et servent de pont entre le monde des cryptos et la monnaie traditionnelle. Par exemple, un particulier investissant dans les cryptos se servira d’un stablecoin pour sécuriser ses gains et éviter la volatilité intrinsèque aux autres cryptos (Bitcoin, Ethereum…). Les stablecoins intéressent tout particulièrement les institutions financières car ils leur permettent de disposer d’un instrument jugé stable pour effectuer des transactions sur la blockchain. Cette technologie permet de réduire le coût et le temps de nombreuses opérations (émission, achat ou vente d’une action ou d’une obligation par exemple) mais nécessite de disposer d’un actif numérique. Là aussi, les stablecoins servent de passerelle entre la blockchain et la finance traditionnelle. Enfin, les stablecoins intéressent aussi le monde des paiements, notamment pour les transactions internationales, car ils pourraient offrir une alternative aux systèmes classiques (Visa, Mastercard…) avec des frais réduits et une exécution plus rapide. La plateforme Shopify a déjà franchi le pas et accepte désormais l’USDC (le deuxième plus important stablecoin adossé au dollar) comme moyen de paiement. D’autres géants de l’e-commerce ont déjà annoncé leur intention de suivre le mouvement, que ce soit en émettant leur propre stablecoin ou en utilisant ceux déjà existants. Les stablecoins offrent donc de réelles perspectives et sont déjà au cœur du monde crypto : ils représentent moins de 10% de la valorisation totale des cryptoactifs mais plus de 80% du volume de transaction.

Les stablecoins, «un risque majeur de souveraineté» pour l’Europe

Si les Etats-Unis ont été si prompts à soutenir le secteur, c’est à la fois parce qu’ils perçoivent le potentiel des stablecoins et parce qu’ils y trouvent un intérêt stratégique : le financement de leur dette. Plus de 90% du marché est constitué de stablecoins adossés au dollar. Pour garantir la parité entre leur stablecoin et le dollar, les sociétés émettrices doivent acheter des titres libellés en dollar, le plus généralement de la dette d’Etat à court terme. Alors que les tensions géopolitiques et la guerre commerciale ont accéléré le processus de dédollarisation (les Banques centrales, notamment émergentes, réduisent leurs avoirs en dollar), les Etats-Unis profitent d’une source complémentaire de financement qui maintient leurs taux bas.

Mais le rapide développement des stablecoins n’est pas sans risque, notamment pour l’Europe. Tout d’abord, stabilité n’est pas synonyme de sécurité. Même si la réglementation a été renforcée, les stablecoins restent exposés à une crise de confiance et donc au risque de «panique bancaire» : un mouvement massif de retraits pourrait déstabiliser non seulement les sociétés émettrices, mais aussi la sphère de la finance traditionnelle au vu des liens renforcés entre les deux mondes. Pour l’Europe, l’essor des stablecoins, quasiment uniquement libellés en dollars et émis par des sociétés américaines, fait peser un risque majeur de souveraineté. S’ils devenaient très utilisés en Europe, ils pourraient affaiblir le rôle de l’euro, éroder l’efficacité de la politique monétaire et menacer la stabilité financière.

Les actifs numériques pourraient s’imposer comme un pilier de la finance de demain. Alors que les Etats-Unis ont choisi d’abandonner le projet de dollar numérique pour favoriser l’essor des stablecoins, l’Europe mise plutôt sur la monnaie numérique de banque centrale, avec son projet d’euro numérique. Elle doit faire vite, avant que le marché américain ne devienne impossible à concurrencer.