17, rue du Nouveau-Monde. L’adresse sonne comme une promesse, mais à Roubaix, dans le département du Nord, elle prend des allures de défi. Les heures de gloire et de prospérité de cette terre du textile appartiennent en effet au passé. Pourtant, c’est bien là, dans ce centre-ville marqué par la désindustrialisation, à deux pas de l’ancienne usine Phildar et du siège rétréci de La Redoute, que le tiers-lieu Tissel a ouvert ses portes en janvier 2023.
Derrière les murs de brique rouge s’ouvre un vaste espace de 11000 mètres carrés racheté par la mairie pour accueillir l'association Les manufactures de Tissel, fondée par Matthieu Régnier et Mathieu Besème. Leur mission ? Fédérer un collectif d’entreprises autour de l’économie circulaire. Huit structures et 65 employés y sont installés. Avec pour objectif de produire en réutilisant de vieux matériaux ou des matières naturelles et en évitant au maximum d’engendrer des déchets. Vertueusement, donc.
De l'émulation entre les start-up
La start-up La Vie est Belt, spécialiste des accessoires depuis 2017, a rejoint Tissel pour fabriquer son best-seller, des ceintures à base de vieux pneus de vélos. Elle recycle aussi les cordes d’escalade et les draps pour en faire des caleçons et des tee-shirts. «Nous avons même produit des porte-clés à partir de ballons de basket usagés pour les Jeux olympiques de Paris 2024», précise Hubert Motte, son fondateur.
Ici, sa petite entreprise a aussi trouvé des synergies avec son voisin Recycle-moi, une association de réemploi des vélos qui fait travailler des personnes en réinsertion. La structure a sauvé 2000 bicyclettes de la décharge cette année. Et elle n’est pas venue uniquement pour le loyer réduit. «On échange avec les autres, on déjeune ensemble et on puise de l’énergie collective. Ça nous porte», s’enthousiasme Antoine Garandeau, cofondateur.
Construire avec des matériaux de seconde main
Un peu plus loin s’entassent les dalles, sanitaires, luminaires, carrelages et poignées de porte du Parpaing, le magasin de matériaux de construction de seconde main lancé par l’association d’architecture Zerm. Avec une difficulté: les constructeurs hésitent à utiliser des matériaux de réemploi en raison de leur responsabilité en cas de défaut ou d’accident. Mais les pratiques évoluent tout doucement.
La preuve, le BTP CFA des Hauts-de-France, qui forme les apprentis aux métiers des bâtiments et des travaux publics, a ouvert lui aussi une antenne à Tissel pour que les futurs professionnels se familiarisent avec ces matériaux recyclés. Et, bien entendu, Le Parpaing et le BTP CFA ont entamé une collaboration.
Relocaliser une partie de la production textile à Roubaix
D’un atelier à l’autre, on remarque des rectangles sombres à intervalles réguliers sur le sol. «Ce sont les machines à tisser d’autrefois qui ont laissé ces traces», nous explique Dimitri Broders, le directeur de projet du tiers-lieu. Car le site est chargé d’histoire. Il a accueilli dès 1820 la première machine à tisser à vapeur, puis, en 1840, la première usine de tissage et de filature de laine de Roubaix dont la haute cheminée domine toujours les toits. Il y a peu, il abritait encore la marque de chaussettes Tissel qui lui a légué son nom.
De nouveaux occupants reprennent le flambeau. C’est le cas de la start-up de tricot durable Les Trois Tricoteurs, fondée en 2019 par trois ingénieurs textile, Sacha Motta, Alexandre Bianchi et Victor Legrain. Elle écoule sans problème ses bonnets, pulls et chaussettes aux couleurs vives en coton bio et laine mérinos fabriqués à la demande. Tant et si bien qu’après l’ouverture d’un atelier-bar il y a quatre ans, il a fallu augmenter les capacités de production pour faire face à l’afflux de commandes émanant de clients comme Promod, Damart ou Cyrillus.
Avec 1 million d'euros de chiffres d’affaires, 17 emplois et une rentabilité atteinte en un temps record, la jeune pousse fait figure de modèle pour Juin fait le lin, l’entreprise lancée au mois de septembre dernier par Augustin Deridder, lui aussi jeune ingénieur textile. Epaté par les propriétés du lin et révolté que la majeure partie de la production française parte en Asie pour y être transformée, il entend valoriser localement cette matière première. Et rêve de se faire une place sur le marché des articles de sport avec son lin tricoté 100% made in France.
Certes, ces initiatives ne remplaceront pas les dizaines de milliers de postes supprimés dans le secteur depuis les années 1970. Mais elles prouvent qu’il est possible de relocaliser une partie de la production textile à Roubaix. C’est aussi le signe que la mairie n’a pas promu en vain l’économie circulaire auprès des habitants et des entreprises depuis une dizaine d’années. Ses efforts ont même valu à la ville d’être retenue comme site pilote par la Commission européenne et d’intégrer le réseau de coopération Circular Cities and Regions Initiative en 2022. Avec un accompagnement et des aides à la clé. A Roubaix, le nouveau monde ne se contente peut-être pas d’être une adresse, finalement.
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