Armando Pereira a contribué aux succès les plus éclatants de son associé Patrick Drahi, propriétaire du groupe Altice et magnat des télécoms et des médias, qui sera l'objet du prochain numéro de l'émission télévisée Complément d'enquête de France 2, jeudi 20 juin. Mais depuis l'été dernier, il est devenu son pire cauchemar : il a été mis en examen pour corruption et blanchiment d'argent en juillet 2023 par la justice portugaise. Et fait également l'objet d'une enquête préliminaire pour corruption, blanchiment et recel de ces délits depuis septembre par le Parquet National Financier en France. Un scandale qui a largement écorné la réputation d'Altice et compliqué la situation financière du groupe, déjà lourdement endetté, à hauteur de 60 milliards d'euros au niveau international et 24 milliards en France.
Patrick Drahi s'est déclaré «trahi et trompé» et s'est présenté comme une victime de celui qu'il considérait comme «un frère de sang». Mais il n'a pas porté plainte contre lui. Un mystère. Car les faits reprochés sont graves. Armando Pereira est soupçonné d'avoir détourné de l'argent du groupe Altice via un système de surfacturation des achats mais aussi d'avoir floué le fisc portugais. De quoi sérieusement émousser la confiance des créanciers de Patrick Drahi. Pour refinancer sa dette, il a du accepter des taux plus élevés, déjà en hausse à cause de l’inflation. Et se séparer de certains actifs pour faire rentrer du cash. Il a notamment vendu des centres de données à un fonds d’infrastructures de la banque américaine Morgan Stanley en novembre 2023 et cédé NextRadio TV à l'armateur CMA CGM au mois de mars dernier.
De Numericable à la bourse de New-York : une irrésistible ascension
Les deux hommes s'étaient rencontrés au début des années 90 et avait fondé ensemble le groupe Altice en 2001. Pereira avait ensuite participé discrètement à l'irrésistible ascension de la société, qui s'est d'abord faite sur le marché des câblo-opérateurs et sous la marque Numericable. Armando est là, dans l'ombre, quand Patrick Drahi rafle SFR au nez et à la barbe de Bouygues Telecom en 2014. Là, aussi, lors du rachat de la puissante chaîne de télévision BFMTV et du groupe de médias NextradioTV en 2015. Et encore là au moment de l'introduction en bourse d'Altice USA en 2017.
Mais son rôle opérationnel est toujours resté flou. Notamment concernant l'opérateur SFR. Directeur général délégué de 2017 à 2018 et directeur opérationnel d’Altice Europe de 2017 à 2021, Armando Pereira semble avoir dirigé officieusement l’opérateur SFR la plupart du temps. «Il y a eu des périodes où il était davantage présent au Portugal ou aux Etats-Unis. Mais pour les salariés, c’était toujours Patrick et Armando qui dirigeaient. Patrick pour l’aspect financier, Armando pour l’opérationnel, dans les achats et le commerce», nous avait confié une source syndicale à l'automne dernier. Depuis l’éviction du PDG Grégory Rabuel à l’été 2022, Armando Pereira était même revenu serrer la vis, porte de Balard, validant personnellement chaque dépense supérieure à 200 euros.
Un problème de gouvernance
La méthode de «Patrick et Armando» était connue : acheter des sociétés à crédit, puis réduire les coûts jusqu’à l’os. Les fournisseurs aussi en ont fait les frais. Comme l’a révélé le site L’Informé, SFR a menacé ses partenaires historiques pour obtenir de grosses remises. Il s’est aussi fait une spécialité des factures impayées. Ce qui lui a valu de nombreuses condamnations en justice. Dans le même temps, il a favorisé l’arrivée de nouveaux fournisseurs aux prestations parfois plus élevées. Ces sociétés étaient en fait liées à Armando Pereira ou ses proches. Certaines ont joué les intermédiaires avec des équipementiers comme Huawei et Cisco, touchant une commission au passage.
Des rapports d’audit avaient alerté la direction sur des défaillances manifestes dans le système de contrôle interne. De même, les représentants du personnel ont interpellé la direction à de multiples reprises sur des conflits d’intérêts entre SFR et ses prestataires. Des signaux d’alarme qui sont restés lettre morte et qui prouvent aujourd’hui que l’opérateur souffrait d’un problème de gouvernance.
Le train de vie luxueux d'Armando Pereira et ses proches
Armando Pereira a été assigné à résidence du mois de juillet à octobre 2023 au Portugal. Il n'a pas dû souffrir trop de son sort dans sa villa de Vieira do Minho dans le nord du pays. Dotée d’une piscine, de courts de tennis, de terrains de golf et d’un héliport, c'est une résidence de haut standing. La presse locale rapporte que les enquêteurs y ont trouvé 14 véhicules de luxe évalués à 20 millions d’euros lors de leur perquisition. Dans cette flotte, une Bugatti Centodieci de 8 millions d’euros. Seuls deux autres Portugais posséderaient ce modèle : le footballeur Cristiano Ronaldo et… Hernani Vaz Antunes, acolyte d’Armando Pereira et fournisseur d’Altice. L’homme d’affaires aimait aussi faire profiter son entourage de ses largesses.
D’après les écoutes téléphoniques de la justice portugaise, il aurait couvert de cadeaux plusieurs femmes avec qui il entretenait des relations intimes : appartements, voyages, articles de luxe et même valises avec des billets de banque. L’ancienne directrice exécutive des contenus d’Altice France, Tatiana Agova-Brégou, pourrait figurer parmi les bénéficiaires.
Par ailleurs, Armando Pereira avait placé tout un clan de fidèles à des postes clés. Parmi eux, Yossi Benchetrit, époux de sa fille Gaëlle et directeur des achats d’Altice USA – après avoir chapeauté ceux de SFR. Mais aussi Alexandre Fonseca, président du conseil d’administration d’Altice Etats-Unis. Quinze personnes ont été suspendues par Altice depuis les révélations de la justice portugaise. Toutes sont soupçonnées d’avoir participé au système d’achats frauduleux de Pereira et d’avoir touché en retour des avantages en cash ou en nature.
Droit de réponse de Tatiana Agova-Brégou :
«Contrairement aux allégations faites dans votre publication du 19 juin dernier, madame Tatiana Agova-Brégou n'a jamais participé, ni directement ni indirectement, au moindre système "d'achat frauduleux", ni même été bénéficiaire d'avantages en cash ou en nature, qu'il s'agisse d'"appartement" ou encore de "valise de billets de banque". Madame Tatiana Agova-Brégou, qui n'a jamais été mise en cause ni même "soupçonnée" par la justice dans l'affaire Altice, est déterminée à défendre sa réputation, son honneur et son intégrité à chaque fois que ceux-ci seront fragilisés par ce type d'accusations, qui sont non seulement infondées mais aussi calomnieuses».
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