
«De tous les endroits du monde où je suis allé travailler, c’est ici où j’ai été le plus frappé par le volontarisme économique des pouvoirs publics.» En cette fin janvier, alors que toute la Chine se repose pour célébrer les fêtes du Nouvel An et passer du dragon de feu au serpent de bois, le consul général de France à Wuhan, Jean-Yves Roux, prend un peu de temps pour évoquer avec Capital sa dernière mission. A presque 67 ans, ce diplomate chevronné, sur le point de prendre sa retraite, a longuement arpenté les provinces relevant de sa circonscription depuis son arrivée en 2022 dans la capitale de la province du Hubei. «Cette Chine centrale est certes moins connue que les grands centres d’affaires plus à l’est et au sud-est comme Shanghai, Canton ou Shenzen. Mais nous avons tout intérêt à miser aussi dessus.»
Wuhan ? Il y a pile cinq ans, les Français se confinaient - comme le reste de la planète- face à la menace du Covid-19 et apprenaient en même temps l’existence de cette ville, presque aussi peuplée que la région parisienne, d’où était partie la maladie. Autre révélation : la présence d’un millier d’expatriés et d’une centaine d’entreprises tricolores, concentrant un bon tiers de nos investissements locaux. Hormis les spécialistes, peu de monde était au courant des liens en réalité anciens avec la France.
Les Français historiquement présents...
Sans remonter loin dans l’Histoire et ses soubresauts (le premier consulat date de 1863), on notera que les relations ont pris de l’ampleur d’abord sur le plan universitaire et médical dans les années 1980 puis économique par la suite. Passé industriel important, carrefour logistique situé sur le fleuve Yangtsé, au centre d’un axe nord-sud (Pékin-Canton) et ouest-est (Chengdu-Shanghai), main d’œuvre nombreuse et bien formée avec un pôle d’enseignement supérieur réputé, salaires moins élevés que sur la côte Est plus développée et… gros encouragement des autorités publiques pour venir dans cette région moins développée : les causes ne manquent pas pour expliquer l'intérêt de nos entreprises.
A commencer par l’automobile, point fort de Wuhan. Dès 1992, le précurseur PSA Peugeot Citroën créait une joint-venture entre Citroën et le constructeur Dongfeng Motor pour produire des voitures sur place, Peugeot n’entrant dans la danse que plus tard. Puis, à leur demande, leurs équipementiers ont logiquement suivi. «Nous sommes arrivés dès 1995», confirme ainsi Cédric Gilliouard, le DG à Wuhan de Sacred, un fabricant de joints pour colonne de direction dans l’Eure-et-Loir (28).
... mais certains quittent la région
Banque, distribution, environnement, énergie mais aussi aménagement urbain, on ne fera pas la liste de toutes les entreprises françaises qui ont peu à peu investi sur place. En revanche, retrouvons Jean-Yves Roux pour faire un bilan en 2025. Car il y a du changement. D’abord, même si le mouvement avait démarré avant le Covid, bien des expatriés rapatriés lors de la pandémie ne sont pas revenus. «Sans compter les étudiants, il y a désormais un peu moins de 300 Français, la plupart ayant fait leur vie sur place.» Comme Sébastien Clément, arrivé en 2006 pour réaliser du contrôle qualité et qui a fini par lancer sa société dans ce domaine mais aussi recruter pour le compte de ses clients. «Les groupes n’envoient plus guère d’expatriés car cela devient trop coûteux.» Tout un symbole ? Air France, qui avait suspendu en 2020 sa desserte directe lancée en 2012, ne l’a plus réouverte. Ce n’est d’ailleurs pas la seule société à s’être retirée.
Nos constructeurs automobiles aussi ont plié bagage, incapables de proposer des modèles satisfaisant la demande ni de faire face à la montée en puissance des acteurs locaux sur l'électrique. Les trois usines de l’ex-PSA devenu Stellantis ont été cédées en 2023, l’une d’elles continuant à produire encore quelques modèles thermiques. Quant à Renault, arrivée en 2016, la marque au losange a stoppé dès 2020 sa fabrication de SUV. Un ratage, en partie compensé par le succès de son petit modèle électrique, Spring, construit à 400 kilomètres de Wuhan. Dur, dur quand même pour tous les sous-traitants, contraints de diversifier leur clientèle. "Cela n'a pas été simple, d'autant que la maîtrise technologique des Chinois est devenue impressionnante", confirme Julien Adillon, DG Chine du fabricant de câbles Acome.
Des opportunités à saisir
Paradoxalement, la plupart résistent pour le moment, à condition d'être sur des créneaux à forte valeur ajoutée, à l’image de Valeo et de ses deux centres de R&D dans l’éclairage et les logiciels embarqués. Plus généralement, nos entreprises encore bien implantées (TotalEnergies, Schneider Electric, Decathlon, Arte Charpentier…) doivent composer comme les autres avec une conjoncture locale difficile, sans parler du Covid qui pèse encore sur la réputation de la ville. Le sujet reste sensible, notamment la question toujours irrésolue de son origine : fuite de laboratoire (à l’origine français d’ailleurs) ou maladie passée de l’animal à l’homme. Reste qu’après 5,5% de croissance l’an dernier, la métropole veut poursuivre son expansion. Des investissements nombreux ont été réalisés dans les infrastructures et l’immobilier pour la moderniser et la rendre plus agréable à vivre. Outre la mobilité électrique, les autorités investissent aussi dans d’autres spécialités d’avenir comme l’opto-électronique, la bio-santé ou l’IA. Et là, les Français manquent encore à l’appel. De quoi donner du travail au prochain consul…



















