Jamais le capitalisme tricolore n’a connu un tel bouleversement qu’au cours de ces trois dernières décennies, observent Elie Cohen* et Nicolas Dufourcq**. Qu’il s’agisse de nos secteurs d’excellence, du profil et du mode de management de nos chefs d’entreprise, du contexte réglementaire et fiscal, comme des mentalités. Reste à accélérer encore cette métamorphose.

Capital : Si l’on compare aujourd’hui notre tissu d’entreprises à ce qu’il était il y a trente ans, quelles grandes tendances observez-vous ?

Nicolas Dufourcq : En fait, la contribution des entreprises selon leur taille a probablement peu évolué. Aujourd’hui, les TPE réalisent 17% de la valeur ajoutée de l’économie, les PME 24%, les ETI 26% et les grands groupes 33%. C’est à peu près la même photographie qu’au début des années 1990. En revanche, à l’intérieur de chaque catégorie, il y a eu énormément de morts et de naissances.

Elie Cohen : C’est vrai en particulier de nos fleurons. Il y a trente ans, je vous aurais cité Alcatel, Framatome, Thomson, Pechiney… Autant d’entreprises nées de la reconstruction d’après-guerre. Or la plupart ont disparu, qu’elles aient été rachetées ou dépecées. Inversement, on a vu émerger d’autres géants, souvent familiaux, dans la distribution (groupe Mulliez), le BTP (Bouygues), l’agroalimentaire (Lactalis), le luxe (LVMH, Kering) ou les cosmétiques (L’Oréal). La force d’entraînement de ce nouveau capitalisme familial a été déterminante. Ensuite, même si elles ne sont pas encore assez nombreuses, nous comptons de très belles ETI d’envergure mondiale. Et enfin, depuis une dizaine d’années, une multitude de jeunes pousses de la tech ont éclos.

Le diagnostic n’est évidemment pas le même selon la taille des entreprises. Commençons par les grands groupes du CAC 40. Comment ont-ils résisté au cours de ces trois décennies ?

E.C. : Curieusement, nos ex-géants industriels avaient plutôt bien traversé la première phase de la mondialisation du début des années 1990. D’ailleurs, à l’époque, les multinationales tricolores étaient surreprésentées dans le top 500 mondial. C’est dans la deuxième phase de la mondialisation, au tournant de l’an 2000, que les choses se sont déréglées. Dans les télécoms par exemple, Alcatel avait réussi la révolution de la 2G et de la 3G, mais a raté celle de la 4G. Dans le nucléaire, Framatome a commencé à se faire distancer. Ces groupes n’ont pas su se réinventer et notre économie n’a pas su faire émerger de nouveaux champions industriels face aux Allemands ou aux Asiatiques.

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