«J’ai donné 30 ans de ma vie à GiFi». Véronique* exploite depuis une dizaine d’années deux magasins de l'enseigne de bazar en tant que mandataire, après avoir géré des points de vente en intégré durant de nombreuses années. Mais avec le Covid, patatras ! «Depuis six ans, les ventes de mes magasins baissent (-5% en 2023, -10% en 2024 et -2% pour l’exercice en cours, ndlr). Nous ne cessons de demander des aides à la direction», confie-t-elle en exclusivité à Capital. En vain. Une de ses boutiques vient d’ailleurs d’être placée en procédure de redressement judiciaire il y a quelques semaines.

Sur les 600 magasins GiFi en France, environ 200 sont exploités par des mandataires (travailleurs indépendants/chefs d’entreprise), comme Véronique. Un système qui permet à GiFi de sous-traiter la gestion de certains de ses points de vente sans en céder les rênes. Le groupe reste propriétaire de la marque, des stocks et des fonds de commerce. Selon les termes utilisés par GiFi dans un contrat de gérance-mandat que Capital a pu se procurer, «l’organisation de magasins exploités dans le cadre d’un contrat de gérance-mandat (d’une durée de douze mois et reconductible, ndlr) a été mise en place par GiFi pour répondre aux deux objectifs : favoriser le développement des magasins existants ainsi que l’implantation de nouveaux points de vente dans le but d’assurer un bon maillage territorial de l’enseigne et favoriser la promotion sociale au moyen d’une évolution des carrières».

Un taux de commission trop faible

En guise de rétribution pour les mandataires : un taux de commission (de 11 à 16%), calculé sur le montant des recettes et la surface du magasin. «Les ventes sont versées sur un compte bancaire spécialement affecté à cet effet. GiFi garde 85% de mon chiffre d’affaires et me rémunère via une commission, qui s’élève à 15%. Ce qui doit me permettre de payer les salariés, les impôts, les charges et les frais divers», ajoute Véronique. Les ventes étant en berne depuis plusieurs années, «nous leur avons demandé d’augmenter ce taux de commission, inchangé depuis 10 ans, mais ils ne veulent rien entendre», regrette-t-elle. Ne pouvant plus payer ses factures, Véronique a mis 30 000 euros de sa poche au cours des douze dernières années.

Depuis mai 2023, la santé économique de GiFi (1,3 milliard d’euros de chiffre d'affaires), est mise à mal, notamment suite à un changement de système informatique qui a paralysé pendant de nombreux mois la visibilité sur les stocks, les approvisionnements et la gestion. S’ajoute à cela la forte concurrence des autres enseignes de discount comme Action, MaxiBazar ou encore La Foir’Fouille et les plateformes chinoises de vente en ligne comme Temu. En janvier 2025, le groupe avait arraché à ses banques un plan de soutien financier, moyennant la mise en place d'une nouvelle gouvernance. Le fondateur de l’enseigne Philippe Ginestet avait été contraint de se mettre en retrait des commandes opérationnelles de l'entreprise, désormais confiées à un directoire. Un plan de transformation de l’enseigne a été annoncé en avril conduisant à la fermeture de onze magasins et à la suppression de 302 postes, soit 5% des effectifs (186 emplois au siège de Villeneuve-sur-Lot et 116 pour les magasins concernés par les fermetures).

11 000 euros de malus à rembourser

Même si Véronique réussit à se dégager un salaire de 3 000 euros net par mois, moyennant 55 heures de travail hebdomadaire, elle ne peut plus joindre les deux bouts. «Tous les ans, la maison-mère GiFi nous fait signer des objectifs de ventes colossaux. Pour l’année 2025, ils nous demandent +15%. Impossible à tenir étant donné le contexte actuel», déplore-t-elle. Après de nombreuses négociations, elle obtient un objectif de -4%. Ce qui en dit long sur la santé financière des magasins…

Et cette bataille sur les objectifs n’est pas dénuée de sens. Car chez GiFi, on fonctionne sur un système de bonus/malus. Si les résultats annuels dépassent les objectifs, le mandataire obtient un bonus, entre 0,25% et 1,5%, sur les ventes supplémentaires réalisées. Le cas contraire, il faut passer à la caisse et payer un malus à GiFi, basé sur la même grille tarifaire. «Ça fait onze ans qu’il n’y a pas eu de bonus et les objectifs fixés par la direction sont inatteignables», indique-t-elle. Elle n’a toujours pas fini de rembourser à GiFi son malus de 2022 qui s’élève à 11 000 euros...

Un nouveau directeur général attendu en septembre

Alors aujourd'hui, avec plus de 50 000 euros de dettes accumulées (Urssaf, assurances, impôts, charges…), Véronique craint pour son entreprise. Seul coup de pouce consenti par la maison-mère, une aide financière de 2 300 euros pour l’aider à remonter la pente… Rien de plus. «J’ai vu leur vrai visage, je suis écœurée», assure-t-elle. Le rêve d’indépendance vendu aux mandataires a viré au cauchemar financier. Et pendant que GiFi tente de sauver la façade, ceux qui font tourner les magasins, eux, s’épuisent en silence.

Si Véronique peine à croire au redressement de GiFi, le groupe a annoncé l'arrivée de Christophe Mistou (actuel directeur général du groupe Mr Bricolage), en tant que président du directoire de l'enseigne, à partir du 1er septembre.

Aujourd’hui, c’est Rémy Lecomte, ancien directeur juridique de GiFi, qui assure ce poste par intérim depuis le mois de mai. Il a pris la suite de Philippe Brochard (ex-directeur général d'Auchan France), lui aussi mandaté pour assurer l'intérim, qui avait claqué la porte en raison des tensions avec le fondateur Philippe Ginestet, réticent à abandonner complètement les manettes de l’entreprise.

(*) le prénom a été modifié