Un homme se tortille sur son fauteuil, se lève subitement et prend la parole. «Je suis très inquiet, les résultats ne sont pas bons», lâche-t-il devant une assemblée médusée. Les produits bio à base de fruits marchent bien, dit-il en substance, mais notre activité historique de fromages s’effondre. En face, Antoine Fiévet, excédé, refuse de répondre à la nouvelle provocation de son cousin Stéphane Dufort. Le président du groupe fromager Bel lève les yeux au ciel et surjoue cette énième dispute familiale. Il se tourne alors vers sa directrice générale, Cécile Béliot, et lui passe la patate chaude.

«Que peut-on faire pour rassurer monsieur Dufort?», lui demande-t-il en soupirant d’autant plus qu’il ne peut s’empêcher de deviner, dans l’ombre de son cousin, son pire ennemi: Emmanuel Besnier, le patron du groupe Lactalis. Même discours, même critique, mêmes angles d’attaque. Après un échange ping-pong de quelques minutes, l’assemblée générale vote. Comme tous les ans, Stéphane Dufort s’oppose aux propositions de son cousin, en vain. Il est actionnaire minoritaire et n’a droit qu’à la parole.

Ainsi va la vie du groupe Bel, l’un des plus vieux empires français du fromage. «Ses assemblées générales ressemblent toujours à un dîner de Noël qui dérape», moque un des participants. Cette guérilla dure depuis deux décennies. Bel est une histoire familiale vieille de 150 ans. Née dans le négoce de comté dans le Jura, elle a traversé deux siècles. Les héritiers actuels, neuf cousins issus de trois branches, passeront bientôt la main à leurs enfants. La sixième génération s’éparpille. Comme dans toutes les grandes familles industrielles, Peugeot, Hermès ou Ricard, les descendants se multiplient et leur intérêt pour l’entreprise s’érode. Son président Antoine Fiévet tâche de conserver la main alors que son empire souffre.

Connu pour ses marques phares, La Vache qui rit, Babybel ou Kiri, Bel réalise 3,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Le groupe subit de plein fouet la hausse des prix du lait et, depuis un an, l’inévitable inflation. Son bénéfice a été divisé par deux au premier semestre 2022, à seulement 34 millions d’euros. Et la situation ne s’améliorera pas avant un an. «Nous faisons face à un tsunami de hausses de prix: 30% sur les matières premières, 30% sur le packaging, 70% sur l’énergie, explique Cécile Béliot, la directrice générale. Et cette vague continue à monter.»

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