Guide Michelin : pourquoi certains chefs abandonnent la course aux étoiles

L'angoisse qui accompagne le Guide Michelin

La fureur de Marc Veyrat, rétrogradé de trois à deux macarons en 2019, a marqué les esprits. «Il y a tant d’étoiles qui ont été perdues, sans que l’on sache pourquoi», déplore le Normand Gilles Tournadre. Cet ex-deux-étoiles a lui aussi décidé de tourner la page en 2020, en revoyant la formule de son restaurant, le Gill, à Rouen (Seine-Maritime). Comme d’autres, il raconte l’angoisse qui accompagne chaque sortie du guide rouge. Même le critique gastronomique François Simon ne s’en amuse plus, lui qui observe «des visages de personnes bouleversées par le stress, qui ont des vies ravagées et des rictus de la revanche», y compris chez les lauréats de l’année.

Les chefs jouent en effet gros avec ce classement annuel. Dans le cas du Nordiste Abdelkader Belfatmi, le coup de fil de Michelin a d’abord été salvateur, alors que son établissement était en pertes. «On n’arrivait pas à en vivre. Dix couverts, c’était une bonne journée», se souvient-il. Et puis, il y a eu l’étoile. «J’ai reçu 500 mails de réservations en une journée!» Fin 2022, il a pourtant décidé de fermer son restaurant étoilé pour ouvrir une brasserie, le Répu, à Marcq-en-Barœul. Son menu est passé de 90 à 37 euros, et les tables ont été rapprochées pour doubler la capacité d’accueil. «Nous avons gagné énormément de nouveaux clients. Dans les adresses gastronomiques, les convives ont peur de payer cher sans manger à leur faim», souligne Abdelkader Belfatmi. Dans un contexte d’inflation, plusieurs chefs étoilés ont d’ailleurs adopté la même stratégie.

Une chasse aux étoiles ruineuse

Si la hausse des prix pèse sur le budget des gourmets, elle n’épargne pas celui des établissements. Raison de plus pour rétrocéder ses macarons, qui imposent de ruineuses dépenses. «Quand j’étais étoilé, il fallait servir des amuse-bouches comme des pré-desserts. On faisait aussi le service du pain. Tout cela a un coût», détaille Gilles Tournadre. C’est qu’il faut tenir son rang… «Il se dit que pour être “étoilable”, il faut un certain standing», confirme un connaisseur du secteu

Pour son ancienne adresse, Abdelkader Belfatmi se souvient par exemple d’assiettes à 150 euros pièce, et de verres à 50 euros. «Le vin s’y aère beaucoup plus et n’a pas le même goût. Mais quand ça casse, ça fait mal», confie-t-il. Sans oublier la cave à vins. «C’est de l’argent mort», souligne Yannick Delpech, un autre cuisinier revenu de ses étoiles, à Colomiers (Haute-Garonne).

Même si Yves Bontoux, un «faiseur d’étoiles» qui conseille les chefs, met en garde contre ces superstitions : «Michelin n’impose rien. Ils sont respectueux de tous les partis pris.» Au-delà de ces dépenses de prestige, de nombreux chefs relatent aussi leur difficulté à trouver du personnel. Or, décrocher les macarons, c’est un travail d’équipe. «Des jeunes qui veulent reprendre des affaires, il y en a peu. Je continue pour montrer que même sans étoile, l’établissement peut marcher», encourage Gilles Tournadre.

À côté des tables gastronomiques, un autre monde culinaire

Ces ex-étoilés regrettent-ils leur choix? «Pas du tout, se félicite Gilles Tournadre. Alors que certaines personnes ont peur d’entrer dans un restaurant récompensé, maintenant, elles osent venir.» Même si ces chefs ayant demandé à ne plus figurer dans le «Guide» tiennent à saluer le travail de ses inspecteurs, ils mettent aussi en avant cet autre monde culinaire, fait de bistrots et de guinguettes.

Un esprit que cultive Yannick Delpech dans son restaurant, Des Roses et des Orties. «La gastronomie est assez figée. On met une semaine pour concevoir un plat qui restera à la carte pendant trois mois. Maintenant, je fais plutôt une cuisine d’instinct. Chaque matin, je reçois mes produits et j’en fais quelque chose», confie ce chef, qui, quand il parle de sa cuisine, a toujours des étoiles dans les yeux.