Le premier épisode de notre enquête a révélé la galère de jeunes cultivateurs qui peinent à acquérir leur premier lopin de terre pour démarrer leur activité. La voracité des grandes firmes pour les champs risque encore de compliquer cette difficile quête des premiers sillons. Plutôt que de contractualiser avec les agriculteurs, certaines entreprises préfèrent en effet s’accaparer directement les terres, pour maîtriser leur approvisionnement. En avril, Clarins a ainsi acquis 115 hectares de terres dans le Gard, pour 10 millions d’euros. Le groupe prévoit d’y planter dès cet automne des arbres fruitiers et des plantes, qui entreront dans la composition de ses produits cosmétiques.

Cet intérêt des géants de la beauté pour nos campagnes n’est pas nouveau. Comme l’avait révélé la journaliste Lucile Leclair dans son essai Hold-up sur la terre (Ed. Seuil), Chanel et L’Oréal ont acheté à prix d’or des parcelles près de Grasse (Alpes-Maritimes). Les géants de l’agroalimentaire sont aussi à l’offensive, à l’instar de l’italien Euricom et de ses 1 300 hectares de rizière en Camargue. Altho, le producteur des chips Brets, est propriétaire de 3 exploitations qui cultivent 135 hectares, dont 55 en location, autour de son usine de transformation de Saint-Gérand, dans le Morbihan. La grande distribution n’est pas en reste. Au travers de sa foncière Ceetrus, l’enseigne Auchan dispose par exemple de plusieurs centaines d’hectares, qu’elle compterait convertir en potagers géants pour approvisionner ses rayons fruits et légumes.

Les magouilles foncières échappent encore trop souvent aux contrôles de la Safer, le gendarme des champs

Les syndicats, Confédération paysanne en tête, dénoncent cette «agriculture de firme», guidée par la recherche de rendements au détriment des considérations écologiques ou alimentaires. «C’est une vision bien manichéenne, conteste de son côté Sylviane Jaccoux d’Eyssautier, avocate spécialiste en droit rural. Car lorsqu’il s’agit d’acheter des terres, les premiers rivaux des agriculteurs sont souvent les agriculteurs eux-mêmes

De fait, les exploitants n’hésitent pas à recourir d’eux-mêmes à des méthodes peu orthodoxes pour s’agrandir, au détriment de leurs voisins ou des néopaysans. Leur but : échapper aux contrôles du gendarme des champs, la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), censée lutter contre la concentration foncière. En principe, cette institution, dont les commissions accueillent localement aussi bien des représentants de syndicats agricoles (en particulier la toute-puissante FNSEA) que des délégués des chambres d’agriculture, des collectivités territoriales ou des banques, a un droit de préemption sur les terrains mis en vente. Afin de pouvoir les céder ensuite, en priorité, à un jeune agriculteur bio en quête de terres.

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