
Le débat sur les logements classés G dans l’échelle du diagnostic de performance énergétique clive entre deux parties de la filière du logement, et sans doute même entre deux France. Les premières objectent quand les secondes apportent des solutions, sans s’empêcher de rester critiques envers les obligations qui s’imposent désormais aux propriétaires immobiliers. Les discours de celles et ceux que la mutation concernée plonge dans une profonde souffrance témoignent de la conviction que la rénovation énergétique, mais même la construction neuve plus vertueuse, au moins tombent au plus mauvais moment et au plus relèvent de l’irréalisme politique le plus fou. Ces sentiments et ces appréciations sont partagées par des professionnels, des experts, des chercheurs, des essayistes, et une grande partie de la population profane. La majorité? Oui, sans doute, mais parce ce qu’il est fréquent et au fond normal que la changement effraie et qu’on ne s’y sente pas prêt. Dans ces cas-là, on va jusqu’à négliger deux constats: on aurait pu se soucier plus tôt d’échéances qui finissent par être pressantes, et ensuite il existe bel et bien des solutions.
S’agissant des échéances, il n’est pas question de nier leur exigence: le calendrier des rénovations énergétiques de la loi Climat résilience concernant le parc locatif, avec ses repères de 2025, 2028 et 2034, ou encore l’échéancier du renforcement de la norme de construction RE 2020 qui va de 2025 à 2031 en passant par 2028, contraignent en effet à des efforts d’adaptation sévères. Impossibles? Non. Car enfin, on voit apparaître des acteurs dans la chaîne de valeur dont le métier est de simplifier, de décoder et de résoudre les problèmes. De quelle nature ces problèmes sont-ils? Ils sont techniques et financiers.
Des devis de 800 000 euros
On comprend d’abord le désarroi des propriétaires, et même des gestionnaires professionnels, face à des biens dont il faut sans délai redresser la performance écologique. Que peut-on faire dans les parties privatives en copropriété, dès lors que l’assemblée générale n’a pas voté d’intervention sur l’enveloppe, c’est-à-dire l’immeuble, qu’on parle de mode de chauffage, de façade ou de couverture? Comment le syndic peut-il faire basculer pour l’avenir la communauté des copropriétaires, face à des devis couramment de 800 000 euros, un million ou un million et demi pour un immeuble d’une taille moyenne de 20 ou 25 appartements?
Comment même s’assurer que le DPE ou l’audit énergétique -pour les biens en monopropriété, a été réalisé dans les règles de l’art et que ses préconisations de travaux sont fondées? Comment séquencer les travaux pour les rendre conforme aux capacités contributives évolutives des ménages, sans renoncer à l’idéal de la rénovation globale, seul gage d’efficacité? Comment enfin financer les travaux, singulièrement dans une maison dans laquelle leur montant constitue une part significative de la valeur du bien? Quelles aides publiques -MaPrimeRénov notamment- ou privées -les certificats d’économie d’énergie- mobiliser par rapport à la situation du propriétaire, ou pour la copropriété? Quels crédits solliciter? C’est bel et bien d’ingénierie financière qu’il est question.
Vers une banque de la transition énergétique
L’heure des assistants à maîtrise d’ouvrage a sonné, les fameux AMO, techniques ou financiers. La transition environnementale est vertigineuse, sans conteste, mais elle a désormais ses facilitateurs. Certes, les pouvoirs publics ne couperont pas à deux missions urgentes, et la ministre du logement en a conscience: simplifier et stabiliser les règles comme les aides en premier lieu, et prendre des mesures de nature à atténuer et amortir la soudaineté (pour ceux qui n’ont pu anticiper) et les conséquences des contraintes. Ainsi, la proposition de loi transpartisane qui vient d’être déposée, «visant à prévenir les litiges relatifs aux obligations de décence énergétique et à sécuriser leur application en copropriété», tend à introduire de la souplesse où le législateur a édicté en 2021 des règles intransigeantes.
Quant au chantier de la simplification, il s’ouvrira, en particulier avec le modèle des lois spéciales que l’État a su écrire quand la nécessité était là, pour la construction du Village olympique ou la reconstruction de Mayotte. Le gouvernement vient également de confier à la Sénatrice Amel Gacquerre la mission de préfigurer une banque de la transition énergétique, appelée à financer les ménages ayant un accès difficile aux établissements financiers de marché, à cause de revenus faibles ou de situations mal stabilisées. Adossée à la Banque des territoires, elle permettra à ces familles et à ces individus d’absorber le reste à charge des travaux indispensables à la modernisation environnementale de leur logement. En dépit de ces efforts, la transition énergétique demeurera complexe et la tache des AMO se place à cet endroit de la chaine.
Une impérieuse urgence
Les unes après les autres, les parties prenantes de cette mutation comprennent qu’au-delà de leur métier fondamental elles doivent apporter ce service d’accompagnement et que la responsabilité de rendre digeste de qui inquiète et rebute leur incombe. On voit même des acteurs spécialisés dans la mise en œuvre d'un geste spécifique entrer dans cette logique. Une enseigne leader national de la fourniture et de la pose de menuiseries intérieures et extérieures, Caséo, est en train de se doter d’un outil d’AMO pour ses clients, en sorte de favoriser une approche globale de la rénovation, dont le remplacement d’ouvrants ne sera qu’une séquence intégrée à une démarche complète. S’inventer un deuxième métier pour favoriser la continuité du premier en quelque sorte, en se montrant agile et innovant. Dans le même ordre d’idée, une association vient de se créer pour favoriser et promouvoir l’assistance à maîtrise d’ouvrage, sous le nom d’AFAST (association des assistants à maîtrise d’ouvrage), avec aussi le rôle de séparer le bon grain de l’ivraie… Quand s’ouvre un marché, le meilleur côtoie vite le pire et il est d’ores et déjà vital d’éclairer le choix des professionnels recourant aux AMO comme des particuliers pour prévenir les risques que les conseils manquent d’indépendance, de compétence ou d’intégrité.
Réconcilier les deux France, celle qui croit inaccessible la transition énergétique des logements et celle qui la met à sa portée, relève de l’impérieuse urgence. C’est un enjeu majeur: les dégâts liés au dérèglement climatique sont à nos portes et ils menacent d’ailleurs d’abord le patrimoine bâti. Différer pour cause d’états d’âme ou d’incapacité à trouver les solutions n’est plus tenable. Et s’accommoder d’une France à la traîne n’est pas non plus démocratiquement supportable. Elle favorise les extrémismes aveugles et nuit à la paix sociale.



















