
«Il était très ému. Quand il a découvert que j’avais réussi à faire une référence à sa mère dans le tableau, il s’est tourné vers moi les yeux écarquillés, visiblement très touché», raconte la peintre Stefania Tejada à propos du portrait qu’elle a réalisé du sportif superstar LeBron James. Dans cette peinture, le champion de basket-ball américain est représenté vêtu d’un costume blanc, assis dans un décor qui s’apparente à une jungle luxuriante. La référence aux tableaux du Douanier Rousseau n’est pas loin. «Sa vision est une de mes plus grandes sources d’inspiration», confirme l’artiste colombienne.
Autour du «King LeBron», il y a toute une myriade de détails, des clins d’œil à sa vie : un ballon de basket, bien sûr, un livre intitulé The First Page qui fait référence, non sans humour, au défaut qu’on lui prête de ne lire que la première page des livres, une pile d’ouvrages dont celui au nom de sa mère, Gloria, des chaussons monogrammés Louis Vuitton – il est égérie Louis Vuitton Homme – qu’il arbore à ses pieds, ainsi qu’un cocktail qu’il tient à la main. Les plus observateurs peuvent deviner que ce breuvage est réalisé à partir de cognac Hennessy.
Hennessy veut accentuer sa présence sur le marché américain
En effet, il y a quelques références à cette illustre maison de spiritueux, à commencer par un énorme tonneau en bois. Il faut dire que cette dernière est la commanditaire de ce tableau, mélange détonnant et outrancier. Une œuvre inédite reproduite en deux exemplaires – un pour LeBron James, l’autre pour la maison – qui vient sceller la collaboration réalisée cet automne entre ces deux géants, associés pour réaliser une édition limitée de cognacs VS et VSOP, vendue pour l’occasion dans un coffret spécial. Invisible en France pour cause de loi Evin, ce tableau a été reproduit format affichage sur un mur de Los Angeles et vient conforter la position statutaire de cette eau-de-vie auprès de la communauté noire américaine, notamment auprès des stars du rap et du R’n’B comme Alicia Keys, Jay-Z ou Snoop Dogg, qui l’envisage comme un signe extérieur de richesse au même titre qu’un sac Hermès ou qu’une voiture de sport.

Ce tableau de l’artiste colombienne Stefania Tejada a été offert par Hennessy à la star du basket-ball LeBron James, en remerciement de leur collaboration.
Si la rencontre entre le plus grand marqueur de points de la NBA et Laurent Boillot, PDG de Hennessy avant l’arrivée de Charles Delapalme (annoncée mi-novembre), semble fortuite, elle fait en réalité partie d’un grand plan pour nourrir des récits culturels autour de la maison, propriété du groupe LVMH. Aux Etats-Unis, la marque a mis en place cet été une grande campagne baptisée «Made for More», incarnée par l’actrice et chorégraphe Teyana Taylor et le comédien britannique Damson Idris, afin de montrer que le cognac peut aussi se consommer en cocktails. Opération à laquelle s’agrège le partenariat avec LeBron James, grand fan de Henny-rita, cocktail à base de liqueur d’orange et de jus de citron, inspiré du fameux margarita.

Inspiré de la margarita, le Henny-Rita, à base de liqueur d’orange et de jus de citron, est l’un des cocktails mis en avant à travers la campagne «Made for More».
La NBA et LeBron James au coeur de la stratégie
Dans un marché des spiritueux de plus en plus challengé, notamment par la montée en puissance des boissons sans alcool, la notion de culture est un des leviers de progression incontournable. «C’est la grosse tendance du marché. Il y a un véritable renforcement de l’expertise des consommateurs, qui affichent un intérêt culturel très fort», abonde Françoise Hernaez, directrice secteur luxe chez Kantar. On pourrait penser qu’avec une histoire remontant à 1765 et qui célèbre cette année les 300 ans de son fondateur, le négociant irlandais Richard Hennessy, la société du même nom ne manque pas d'aura patrimoniale.
Pour autant, comment continuer à tisser des liens entre cette maison traditionnelle, dont le savoir-faire se perpétue à travers huit générations d’une même famille de maîtres assembleurs, les Fillioux, qui continue de se réunir tous les jours à 11 heures précises pour goûter les eaux-de-vie, et une population globalisée ? Un lien d’autant plus nécessaire quand on sait que Hennessy réalise 97% de son chiffre d’affaires à l’export, surtout avec les marchés américain et chinois. Pour Françoise Hernaez, l’urgence est là : «Il faut réussir à faire vivre ce patrimoine, ce terreau culturel, en trouvant un compromis entre se moderniser tout en restant fidèle à sa culture.»

A l’occasion du Nouvel An chinois, l’artiste Yang Yongliang a customisé trois cuvées différentes – VSOP, X.O et Paradis –, vendues en édition limitée.
Depuis 2020, date de l’arrivée du précédent président, Laurent Boillot, transfuge de Guerlain, également dans le giron de LVMH, la maison a opté pour le basket-ball comme source de storytelling. Choix stratégique qui à la fois englobe et dépasse le cœur important de sa clientèle afro-américaine. «Il y a 1 milliard de fans de la NBA dans le monde et 200 millions en Chine», s’enthousiasme-t-on en interne. La maison est partenaire de quelques équipes de la NBA, jusqu’à cette rencontre avec LeBron James il y a deux ans à Salt Lake City qui a débouché par une venue de la star dans la capitale française de l’élixir charentais en juillet 2023. Profitant de la visite guidée privée réservée à tous les passionnés, «King James» a déployé ses 2,06 mètres sur le bateau permettant d'accéder, sur l'autre rive de la Charente, aux chais traditionnels de la manufacture.
Dans la pénombre des lieux, il a pu sentir cette fameuse part des anges, l’alcool qui s’évapore et dont l’air est imprégné. En visiteur privilégié, il a pu pénétrer dans le prestigieux Chai du fondateur, le plus ancien, celui qui abrite les liqueurs les plus rares et où trône une photo de la reine mère britannique, consommatrice passionnée, en visite elle aussi. Avant de terminer par la tonnellerie, clou de ce tour et fierté de Hennessy qui est la seule maison de cognac à en posséder une. De quoi largement donner envie à cet influenceur cinq étoiles de partager ces savoir-faire ancestraux made in Cognac avec sa communauté d’une centaine de millions d’abonnés sur Instagram. Rien que ça.

Reconquérir la France et les amateurs de cognac
Un dépoussiérage d’image qui a sans doute inspiré Hennessy pour s’attaquer au marché français, nouvel objectif de la maison alors que ses deux derniers exercices connaissent une forme d’érosion : -4% des ventes entre 2022 et 2023 après une forte période de croissance, contrecoup d’un ralentissement des marchés leaders américain et chinois. L’occasion, donc, de se concentrer sur le pays d’origine. Un véritable challenge, mais que la maison trois fois centenaire est prête à prendre le temps de relever.

Le vignoble de la Bataille est le domaine expérimental de la maison, où sont testées les nouvelles pratiques viticoles.
«Ça mettra sans doute du temps, dix ans, quinze ans, qu’importe, l’idée, c’est moins de restaurer le marché que de développer l’image», abonde-t-on en interne. Tout pour faire oublier ce cliché suranné de «vieux tonton avec son labrador devant son feu de bois», et s’adresser à une jeunesse habituée à consommer moins alcoolisé puisque les cocktails sont des propositions diluées. Se recentrer vers le cœur, une sage décision ? Ça ne coûte en tout cas rien d’essayer, dans une période où se profile la menace de mesures antidumping en Chine et qui voit l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et de sa politique économique protectionniste. Alors, haut les cœurs et servons-nous un verre de Henny-rita (à consommer bien sûr avec modération).
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