
Il est loin le temps où l’on ne parlait que de SUV. Sur le Vieux Continent, à l’heure de passer à l’électrique, ces véhicules lourds et coûteux sont désormais relégués au second plan. Et leurs remplaçants semblent tout trouvés, de la Twingo à la Citroën C1, en passant par la Peugeot 108 ou la Smart. Autant de modèles légers et pas chers, qui ont fait la gloire de l’industrie automobile européenne avant d’être sacrifiés sur l’autel de la rentabilité, et qui pourraient faire leur retour, en version avec batterie. A l’image de la petite citadine de Renault, qui arrive dès le printemps prochain. Ces mini voitures électriques emboîteraient le pas aux "kei cars" japonaises, qui permettent depuis 75 ans d’offrir une mobilité individuelle aux ménages des zones périurbaines et rurales du pays. Là-bas, leur succès n’est plus à démontrer, avec encore 1,55 million d’unités vendues en 2024 (38% du marché). Ce système bien huilé, certains imaginent désormais le copier, pour relancer la difficile transition écologique du secteur en Europe. Mais, ne fabrique pas des kei cars qui veut. Pour mériter cette appellation, il faut en effet que le véhicule respecte des dimensions réduites, de moins de 3,40 mètres de long. Et il ne doit pas peser plus lourd qu’une tonne. Ce qui ne correspond pas vraiment au pedigree des voitures sortant actuellement des chaînes européennes.
L'Europe, capable de produire sa petite voiture électrique pas chère ?
Et pourtant, pour barrer la route aux constructeurs asiatiques, Stellantis et Renault ambitionnent à leur tour d’occuper ce créneau. Luca de Meo, l’ex-patron de la marque au losange, décrivait lui-même le concept des kei cars comme l’exemple à suivre, et affirmait être capable de le reproduire. Pour appuyer leur discours, ces constructeurs peuvent il est vrai mettre en avant le succès commercial de leurs modèles d’entrée de gamme actuels, qu’il s’agisse du quadricycle Ami et de l’ë-C3 pour Stellantis, ou de la R5 E-Tech pour Renault. Seule condition pour réussir ce pari, selon eux : que les contraintes de production imposées par l’Europe se desserrent enfin. John Elkann, à la tête de Stellantis, pointait il y a peu cette réglementation qui rend les voitures européennes toujours plus complexes, lourdes, et chères. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen elle-même s’est emparée du sujet. Dans un discours prononcé début septembre, elle a déclaré vouloir des kei cars made in Europe, rebaptisées e-car, qui seraient vendues à moins de 15 000 euros. Pour l’heure, rares sont les modèles en catalogue à ce prix-là, alors qu’on en comptait une cinquantaine il y a quelques années. «Nous collaborerons avec l'industrie sur une nouvelle initiative. L'Europe devrait avoir sa propre voiture électrique abordable», avait alors confirmé la dirigeante européenne.
Et il faudra, pour cela, enclencher une sacrée révolution en matière d’homologation des modèles. Aujourd’hui, les voitures, même les plus petites, sont en effet soumises à un cahier des charges drastique, les obligeant à embarquer des systèmes de dépollution et/ou d’électrification, ainsi que des équipements de sécurité active. Elles doivent aussi répondre à des exigences de crash tests identiques, que les modèles soient imposants ou non. Autant de coûts supplémentaires, en termes de développement comme de production, pour les petits modèles. Xavier Chardon, nouveau boss de Citroën, souligne ce paradoxe. «Nous avons 20% de nos ingénieurs qui travaillent sur ces technologies dont la plupart des clients se contrefichent, et qu’ils désactivent. Je ne dis pas que c’est mal, mais force est de constater que de telles intégrations ont de fortes implications. Résultat : le marché européen est le seul qui a perdu en niveau de ventes car nos prix augmentent et les clients gardent leurs voitures plus longtemps», insiste-t-il. Le patron se dit toutefois «légitime pour proposer un projet e-car», en faisant référence à la possible création d’une mini auto de type C1 ou même d’une 2CV.
Une chose est sûre : créer ces nouveaux standards de taille, de poids, et de batterie ne sera pas simple. Le chantier passera sûrement par la création de plateformes de production communes entre constructeurs, pour amortir les coûts de développement, et passer sous la barre des 15 000 euros. Un modèle déjà adopté pour les petites citadines produites entre 2000 et 2010. Renault avait ainsi partagé sa plateforme dédiée à la Twingo avec la Smart de Mercedes, tandis que PSA avait ouvert les lignes de sa Peugeot 108 à Toyota. Pas sûr toutefois que les constructeurs acceptent à nouveau de coopérer. D’autant que certains pourraient craindre pour leur compétitivité à terme, comme le souligne Athina Argyriou, à la tête de la Chambre syndicale internationale de l'automobile et du motocycle (CSIAM). «Se limiter à l'entrée de gamme, c'est laisser à la concurrence internationale les segments à forte valeur ajoutée, ceux qui portent les marges nécessaires pour financer l’innovation avant qu'elle ne redescende vers les modèles accessibles. Sans diversité de gamme, les coûts explosent.»



















