
La voix de Christopher Pelkey a résonné dans la salle d'audience de Chandler, en Arizona, lors du procès de son tueur le mois dernier. Pourtant, voilà trois ans que ce vétéran de l'armée américaine a perdu la vie, tué par balles lors d'une altercation au volant, rapporte Fox 10 Phoenix. Si l'intelligence artificielle générative séduit un nombre croissant de particuliers, ce cas d'utilisation dans la sphère judiciaire est une première.
Un « Frankenstein d'amour »
« C'est dommage que nous nous soyons rencontrés ce jour-là dans de telles circonstances. Dans une autre vie, nous aurions probablement pu être amis. Je crois au pardon et en Dieu qui pardonne. J'y ai toujours cru et j'y crois toujours » a lancé le double virtuel de Christopher Pelkey à son meurtrier.
L'idée d'utiliser l'IA est venue de la sœur de la victime, Stacey Wales. « Nous avons reçu 49 lettres que le juge a pu lire avant de prononcer la sentence ce jour-là. Mais il manquait une chose essentielle. Une voix était absente de ces lettres », confie-t-elle. Avec son mari et un ami expert en intelligence artificielle, elle entreprend alors de recréer virtuellement Christopher.
Une tâche loin d'être simple malgré l'avénement récent des deepfakes. Il a fallu assembler minutieusement des images, des vidéos et des enregistrements sonores existants pour alimenter un modèle d'IA, et ainsi recréer virtuellement la voix et l'image de son frère. Stacey qualifie affectueusement cette création de « Frankenstein d'amour » au micro de Fox 10. Plus complexe encore, il fallait déterminer précisément les mots que Christopher lui-même aurait prononcés, et non les pensées de la famille endeuillée. « Il fallait absolument que ce soit sa voix, pas la mienne », insiste Stacey, qui avoue ne pas être elle-même prête à pardonner à l'assassin.
Une initiative bouleversante pour la cour
Le frère de Christopher, John a déclaré avoir ressenti des « vagues de guérison » en voyant le visage de son frère et pense que Chris aurait en effet pardonné à son meurtrier. Un des enfants de Stacey a également exprimé sa reconnaissance d'avoir pu entendre une dernière fois son oncle.
Lors de l'audience, la vidéo a non seulement bouleversé la famille de la victime, mais également le juge, Todd Lang, qui a évoqué la vidéo lors de son verdict : « J'ai eu l'impression que c'était sincère, que son pardon évident envers M. Horcasitas reflète le personnage dont j'ai entendu parler aujourd'hui ». Alors que l'accusation réclamait neuf ans et demi de prison, le magistrat a finalement condamné Gabriel Horcasitas à dix ans et demi d'incarcération pour homicide involontaire.
Vers une révolution judiciaire ou un dangereux précédent ?
Si cette expérience inédite a clairement ému, elle n'en soulève pas moins des interrogations fondamentales sur l'avenir de l'intelligence artificielle dans les tribunaux. Le comité consultatif des tribunaux américains se penche d'ailleurs actuellement sur les limites éthiques et juridiques d'un tel procédé. « Si l'on examine les faits de cette affaire, je dirais que son intérêt l'emporte sur son effet préjudiciable, mais si l'on examine d'autres cas, on peut facilement imaginer des situations où [cet usage de l'IA] serait très préjudiciable. », estime ainsi Gary Marchant, professeur de droit à l'université d'Arizona, interrogé par Arizona News. Et d'ajouter : « Nous essayons de déterminer comment modifier les règles concernant les preuves générées par l'IA (...) Il sera très difficile de déterminer où placer la limite, mais il est clair que les tribunaux avancent pour tenter de traiter cette question. »



















