
A Saint-Pierre du Mont, dans les Landes, le maire Joël Bonnet (Divers droite) se félicite chaque jour d’avoir mis au rebut sa vieille chaudière à gaz au profit d’une nouvelle énergie, plus écolo et rentable à long terme. «Nous avons désormais recours à la géothermie pour chauffer notre complexe sportif de 6 000 m2. Cette installation nous a coûté 1,3 millions d’euros, soit 400 000 euros de plus qu’un système traditionnel, mais elle nous fait économiser chaque année 97 000 euros sur notre facture énergétique», s’ennorgueillit l’élu de cette commune de 10 000 âmes. Les usagers de la piscine peuvent ainsi savourer une eau à 28 degrés toute l’année, sans faire les frais de la hausse du gaz. «Avec notre ancienne chaudière, poursuit l’édile, nous aurions répercuté l’inflation de cette énergie sur le coût du billet d’entrée, qui aurait flambé à 8,65 euros». Au lieu de quoi ses administrés Saint-Pierrois continuent de barboter dans le bassin pour moins de 3 euros.
A 1 500 mètres sous nos pieds, de l'eau à 60 degrés
La géothermie, l’énergie renouvelable qu’il exploite, consiste à profiter de la chaleur naturelle de notre planète. En son centre, les températures dépassent les 5 000 degrés, et cette énergie remonte en partie vers la croûte terrestre. D’où l’idée de la capter, soit directement dans les roches au moyen de sondes, soit en allant la puiser dans les nappes phréatiques. Ensuite, on l’utilise pour chauffer une maison individuelle, un quartier ou même, produire de l’électricité.
«Pour chauffer une maison ou un immeuble, on fore à moins de 200 mètres, c’est ce qu’on appelle la géothermie de surface. Alimenter tout un quartier nécessite de s’enfoncer plus profondément sous terre pour capter plus de chaleur. C’est la géothermie profonde, notre spécialité», résume Nicolas Monneyron, qui dirige depuis six ans le centre d’expertise d’Engie dans ce domaine. Piloté par son entreprise, le chantier de centrale géothermique en cours de réalisation au Chesnay-Roquencourt (Yvelines) par exemple, prévoit de puiser de l’eau à 60 degrés à 1 500 m pour chauffer, à compter de 2027, l’équivalent de 9000 logements. Et pour produire de l’électricité, il faut descendre encore. A Soultz-sous-Forêts (Bas-Rhin), où est implantée l’une des deux centrales françaises géothermoélectriques – l’autre est installée en Guadeloupe, dans la bien nommée commune de Bouillante - il a fallu creuser jusqu’à 5 000 mètres pour satisfaire les besoins de quelque 3 300 foyers.
Quatre fois plus performant qu'une chaudière à gaz
L’intérêt de la géothermie, c’est qu’elle ne produit pas de combustion, elle n’émet donc aucun polluant ni gaz à effet de serre. Comparée à d’autres alternatives renouvelables, comme les éoliennes ou les panneaux photovoltaïques, par exemple, elle reste disponible de jour comme de nuit, quelles que soient les conditions climatiques. Et reste bien plus efficace qu’une chaudière à gaz. «Avec 1 kwh d’électricité, elle produit à peu près 4 fois plus de chauffage», confie Jean-Loup Lacroix, président-fondateur du cabinet Stratégéo Conseil. Bientôt, selon lui, la géothermie pourrait aussi ringardiser les climatisations traditionnelles, réputées grandes consommatrices d’électricité. «Avec une même installation, la géothermie peut à la fois produire du chaud l’hiver et du froid l’été», résume l’expert, qui a adopté cette innovation dans sa maison.
«C’est une source inépuisable d’énergie éternelle, une mine d’or», s’est même enflammé François Bayrou à Biarritz le 19 juin, lors des journées internationales de la Géothermie. Le Premier ministre est si engagé sur ce levier de transition écologique qu’il n’a pas hésité à faire un saut sur la côte basque - en Falcon 900, un jet privé qui émet 14 fois plus de gaz à effet de serre qu’un banal avion de ligne – pour encenser cette source d’énergie alternative, trop peu exploitée chez nous.
La géothermie ne couvre encore que 1,5% de nos besoins en chauffage
Un comble. Alors que la production de chaleur représente la moitié de notre consommation d’énergie, plus des deux tiers de nos besoins en chauffage restent encore couverts par des ressources fossiles et importées. «La géothermie peut changer cette donne», estime Pierre Le Runigo, ingénieur chez Equans, une filiale du groupe Bouygues spécialisée dans les services aux énergies. Las, en dépit des développements de la géothermie profonde en Ile de France, qui exploite aujourd’hui une soixantaine de réseaux de chaleur urbains, cette source d’énergie peine à décoller. Selon l’Association française des professionnels de la géothermie, la manne énergétique qu’elle représente ne fournit encore qu’un peu moins de 7 TWh, soit à peu près 1,5 % du chauffage consommé dans l’hexagone. Et les particuliers rechignent à remplacer leurs bonnes vieilles chaudières par des pompes à chaleur géothermiques. En 2023, d’après les dernières statistiques de l’Observatoire des énergies renouvelables en Europe, notre parc fonctionnel de 166 000 pompes à chaleur géothermiques était déjà inférieur de près de trois fois à celui de l’Allemagne et de plus de trois fois à celui de la Suède. Sachant que la France en a mis en service moins de 3000 l’an dernier, quand nos voisins scandinaves et d’outre-Rhin en ont dans le même temps installé des dizaines de milliers, l’écart s’est encore creusé depuis.
Mais la France est décidée à accélérer la manœuvre, dans les administrations, les entreprises et chez les particuliers. L’an dernier, Emmanuel Macron a même montré l’exemple en faisant forer un puits de 60 m dans les jardins de l’Elysée pour couvrir les deux tiers des besoins de chauffage du palais. Et en avril, François Bayrou a lancé une mission commando pour développer cette filière énergétique. «Nous ambitionnons, d’ici une vingtaine d’années, de produire annuellement 100 TWh de chaleur géothermique, une quantité d’énergie équivalente à nos importations de gaz russe avant l’invasion de l’Ukraine», confie à Capital Vincent Thiébaut, le député (Horizon & Indépendants) du Bas-Rhin qui pilote cette mission.
La pompe à chaleur géothermique est encore trois fois trop chère
Pour y parvenir, François Bayrou compte d’ici-là convaincre au moins la moitié des Français de remplacer leur chaudière à gaz par une pompe à chaleur de géothermie. Il lui faudra donc lever l’obstacle financier. En incluant le forage et l’installation, le coût d’une pompe à chaleur géothermique peut allègrement dépasser les 30 000 euros, soit trois fois celui d’une chaudière à gaz pour un particulier. Malgré le coup de pouce financier de 5 000 euros concédé par l’Etat, l’addition reste salée. De nouvelles mesures pourraient être annoncées en septembre.
Pour développer une filière fiable, il lui faudra aussi pallier le manque de foreurs. Les ambitions françaises nécessiteraient 2 000 experts dans ce domaine, quand la main-d'œuvre plafonne aujourd’hui à une centaine. Depuis 2 ans, l’Ecole française du forage, basée à Lescar (Pyrénées Atlantiques), a donc lancé une nouvelle formation spécialisée dans la géothermie. Deux autres écoles devraient ouvrir à Beauvais (Oise) et Marseille (Bouches du Rhône). Mais les professionnels déplorent aussi un carcan administratif et règlementaire. Dès qu’un projet ambitionne de dépasser une puissance de 500 kW, soit à peu près l'équivalent des besoins annuels en chauffage d’un lotissement de 300 à 400 maisons, sa mise en œuvre nécessite l’autorisation de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal). «Ces démarches, qui tombent dès lors sous le régime complexe du code minier, nous font perdre beaucoup de temps, au moins deux ans par projet», déplore-t-on chez Engie.
En Alsace, des tremblements de terre inquiètent les habitants
Pour réduire ce goulet d’étranglement, François Bayrou pourrait relever le seuil de 500 kW à 2 mW d’ici quelques mois. La vigilance restera toutefois de mise, en particulier pour les projets de géothermie profonde, parfois soupçonnés de perturber la mécanique des roches et favoriser les tremblements de terre. En 2020, la centrale géothermique de Vendeheim, en Alsace, avait été fermée après avoir été mise en cause dans une série de séismes. L’an dernier dans cette région, d’autres secousses ont été imputées à l’activité de la centrale de Rittershoffen, qui exploite les eaux chaudes à 2,5 kilomètres de profondeur pour alimenter une usine d’amidon. Les tremblements de faible magnitude n’ont certes pas provoqué de dégât majeur. Mais ils n’ont pas non plus rassuré les habitants.
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