Ah, ne faites pas les dégoûtés ! A la différence du caméléon, qui projette sa langue gluante à l’autre bout de la branche à la vitesse de l’éclair pour attraper les sauterelles, et qui les dévore dans le même geste en faisant «scrouitch-scrouitch», on ne vous demandera pas de gober des insectes encore gigotants. Vous ferez ça très proprement, dans une assiette, avec une fourchette et un couteau, accompagné d’un petit vin blanc et d’une sauce persillade. La plupart du temps, du reste, vous ne vous rendrez même pas compte de ce que vous mangez, car nos petits amis auront été préalablement pilés et transformés en steak haché, ou, plus sûrement encore, donnés en granulés comme nourriture au cochon dont vous savourerez le jambon, si bien que votre consommation de mouches et de scarabées sera très indirecte. Mais vous en mangerez quand même.

Si vous pensez que tout ça c’est de la rigolade, jetez donc un coup d’œil à ces chiffres : Ÿnsect, la jeune société française qui, comme son nom l’indique, élève des insectes pour l’alimentation, a récolté sans difficulté ces derniers mois 220 millions d’euros auprès de différents investisseurs. Si l’on excepte celles de nos deux nouvelles licornes, le producteur de jeux Voodoo et le concepteur de logiciels Mirakl, c’est la troisième plus grosse levée de fonds réalisée en 2020 par une start-up tricolore.

Et sa concurrente InnovaFeed, elle aussi Frenchie et elle aussi insecto-maniaque, a raflé de son côté 140 millions les doigts dans le nez, ce qui la met à la cinquième place du palmarès. Une vraie razzia ! Et d’autres financements devraient être annoncés dans les prochains mois, comme celui d’Agronutris, dont l’usine de Rethel, dans les Ardennes, pourrait sortir de terre en 2023. On y concassera des larves de mouches pour en faire de la poudre.

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Il y a quatre ou cinq ans, cette affaire de bestioles à manger aurait encore fait rigoler tout le monde. A cette époque, les insectes faisaient surtout la fortune de ceux qui voulaient les éliminer, fabricants de serpentins à moustiques, concepteurs de patchs anti-fourmis et autres brigades spécialisées dans l’éradication des cafards. Personne, au reste, ne savait trop comment s’y prendre pour élever à grande échelle ces animaux minuscules, et comme leur consommation était encore interdite par Bruxelles, la question semblait définitivement réglée. Eh bien, elle ne l’était pas. A Paris, Lyon, Toulouse, Evry, Besançon, Dole ou Poitiers, des équipes de jeunes passionnés, sortis de leurs cursus d’agronomie ou de leurs écoles de commerce, se sont en effet avisés que ces petites bêtes à six pattes (surtout ne pas les confondre avec les arachnides, qui en ont huit !) pouvaient se révéler très utiles pour rendre notre alimentation plus saine et plus durable.

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