
“Marseille : les Parisiens qui débarquent prennent leurs clics et une claque”. Le texte publié dans “Le Libé des écrivain-e-s”, le 11 avril dernier, n’est pas passé inaperçu dans les bars branchés de la Plaine ou d’Endoume, où les ex-Parigots adorent se retrouver. Ces néo-Marseillais “repartent depuis peu, terrorisés, mal accueillis, humiliés par leurs tentatives ratées d’assimilation avec la culture locale”, assure la jeune Phocéenne Esther Teillard, autrice de “Carnes” (Pauvert, 2025), qui égrène leurs déconvenues, des “agressions verbales” aux “bonnes adresses [fermant] leurs portes aux nouveaux venus”, des “manières de travailler différentes” à l’“incivisme et [à la] saleté”.
Ils repartent la mort dans l'âme
Près de 1300 ménages en provenance de la capitale auraient migré vers le Vieux-Port entre 2020 et 2023, selon l’application PopFlux. Certains par opportunité professionnelle, beaucoup par choix. Combien d’entre eux se sont résolus à faire le chemin en sens inverse, quelques années plus tard ? Impossible à dire. Mais ils ont beau être exaspérés, épuisés, désappointés, c’est souvent la mort dans l’âme qu’ils repartent. “Quitter Marseille, c’est comme se séparer de quelqu’un dont on a été très amoureux”, soupire Camille, artiste plasticienne de 47 ans, qui a jeté l’ancre du côté du quartier des Chartreux, en 2018, “dans une maison avec véranda, jardin et garage pour le prix d’un 35 mètres carrés dans la capitale”.
Pourtant, elle ne peut plus supporter cette ville “invivable”. Elle n’est plus, comme au début, “aveuglée par la lumière sublime qui rend tout photogénique, y compris un amoncellement de poubelles”. Même la beauté des Calanques ne suffit plus à lui faire oublier les désagréments, petits et grands, du quotidien. Les trottoirs étroits, trop souvent encombrés d’ordures, sur lesquels les automobilistes se garent à cheval. L'étalement urbain et l’indigence des transports en commun qui l’ont obligée à acheter une voiture. Le manque de verdure, dans une cité où les étés sont brûlants. Les tags qui envahissent les murs et les rideaux de fer des commerces. Les écoles publiques qui, faute de moyens, négligent les arts plastiques et le sport.
"C'est Marseille, bébé"
“J’ai découvert une ville de ghettos qui ne connaît pas l’inclusion, où les classes sociales ne se mélangent pas, déplore-t-elle. Dans les quartiers nord, il faut montrer patte blanche pour passer les barrages de poubelles et de barrières métalliques. Au sud, les gens des beaux quartiers vivent dans des voies privées fermées par des portails en métal hérissés de caméras. Et il n’existe quasiment pas de bistrots de quartiers où, comme à Paris, se croisent les générations et les métiers.” Alors, au bout de sept ans, Camille est rentrée à Paris avec sa fille de 9 ans, après avoir mis sa maison en vente. “Nombre de mes amis en ont fait autant”, dit-elle.
Les ex-Parisiens lassés du mantra “C’est Marseille, bébé” ne sont pas les seuls à lever le camp. “Beaucoup de Marseillais de souche préfèrent aller vivre dans les communes ou les départements voisins”, souligne Pierre, architecte arrivé “par opportunité professionnelle, pas par envie”. Il les comprend : “Avec un taux de 44,54%, la taxe foncière est plutôt élevée. Et pour quelles prestations ? Des services publics lointains, des rues sales, une voirie défoncée et des transports mal foutus !” Lui reste, parce que “c’est compliqué de bouger avec des enfants scolarisés…”
"Dès qu'il pleut, tout s'arrête"
Maÿlis Puyfaucher, 48 ans, fondatrice d’une entreprise de loisirs créatifs et 100% parisienne, n’a tenu qu’une petite année à Marseille. Certes, elle a adoré la baignade, à l’heure du déjeuner, dans les rochers de l’anse de la Fausse-Monnaie et les pique-niques au creux des calanques de Sormiou ou de Sugiton. Mais pour les films en VO, elle allait à Aix-en-Provence. Pour la piscine, à Cassis – “les clubs nautiques de Marseille sont trop chers et il faut être parrainé”, regrette-t-elle. Ce qui l’a sidérée ? “Dès qu’il commence à pleuvoir, tout s’arrête !”
Camille Feveile, native de la cité phocéenne mais élevée à Paris, serait peut-être restée, elle, si son compagnon n’avait pas pris les Marseillais en grippe. “Il les trouve très excités, très grande gueule, juge cette graphiste de 55 ans. Chauvins et un peu trop rois du monde.” En 2021, le couple a mis le cap sur Reillanne, un village du Luberon. Le bonheur dans la garrigue.
"Colonisation", le mot qui fâche
La population locale n’est pas forcément tendre avec les nouveaux Marseillais. Les “venants”, comme les nomme l’écrivain Hadrien Bels. Dans une interview de novembre 2021 au quotidien “La Provence”, l’auteur de “Cinq dans tes yeux” (L’Iconoclaste, 2020), portrait nostalgique d’une ville en voie de gentrification, lâche le mot qui fâche : “colonisation”. “C’est vrai qu'à Marseille, plus qu’ailleurs, on vient tous de quelque part, pointe-t-il. Mais les venants arrivent de France à Marseille, une ville qui a toujours tourné le dos à ce pays. Ils arrivent avec de l’argent, donc le pouvoir. Le pouvoir de changer la ville, de la ‘franciser’.” Hadrien Bels regrette aussi la perte d’un certain “particularisme dans la manière de se fringuer, dans la manière d'être. Dans les années 1990, il y avait un vrai style marseillais, has been, avec la paire de Docksides, les marques… Ça s’est complètement perdu et on s’est homogénéisé.”
Les “venants”, évidemment, ne se sentent pas toujours les bienvenus. Camille préférait dire qu’elle était “du nord” quand on la questionnait sur ses origines. “Je me souviens d’affiches sur lesquelles il était écrit ‘Parisien, va te jeter dans la Seine avec ton SUV’, raconte-t-elle. Je me souviens aussi de gens déguisés, lors d’un carnaval de la Plaine, en cafards poignardés. L’incarnation des Parisiens coupables de faire grimper les prix de l’immobilier et les loyers.” Marseille ? Une drôle de ville, “moitié exquise, moitié hostile”, conclut Esther Teillard.
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