Mission accomplie

Le palais Cambon, à quelques enjambées de la place de la Concorde, n’a guère changé depuis que la Cour des comptes y a pris ses quartiers en 1912, cent-cinq ans après sa création par Napoléon. Pourtant, un vent de renouveau souffle sur la vénérable institution depuis 2020 et l’arrivée de Pierre Moscovici à sa tête. Ce dernier est l’architecte du vaste plan de modernisation baptisé “Juridictions financières 2025”.

Au programme : promotion de la parité hommes-femmes et de la diversité sociale et culturelle dans les recrutements et les nominations, renforcement du rôle des chambres régionales, publication systématique des quelque 180 rapports produits chaque année afin d’“obliger à la qualité et donner plus de force de percussion aux travaux de la Cour”. Et, chaque année en septembre, les citoyens peuvent proposer sur le site des thèmes d’enquêtes et de contrôles.

“Quand je la quitterai, cette maison sera plus agile, plus ouverte sur la société, et j’éprouverai le sentiment d’une mission accomplie”, se réjouit son premier magistrat. Même si, au nom de l’ADN de la Cour, il a renoncé à envoyer au placard la robe noire herminée et le mortier en velours des présidents. “C’est le symbole de notre statut de magistrat, donc de notre indépendance”, pointe-t-il.

Pierre Moscovici avec Véronique Hamayon, procureure générale près la Cour des comptes
Pierre Moscovici avec Véronique Hamayon, procureure générale près la Cour des comptes © Eric TSCHAEN/REA

La bande à "Mosco"

C’est une grande photo encadrée dans un cadre de bois clair qui lui a été offerte à la fin de mai. La table basse est encombrée d’assiettes vides et de bouteilles de champagne et de vin. Autour d’un Pierre Moscovici qui a tombé la cravate, dix-huit quadras tout sourire prennent la pose. Un titre tracé au feutre noir surmonte l’image : “La bande à Mosco”. Le Premier président de la Cour des Comptes a été, à un moment ou un autre, le patron, le prof ou le mentor de ces femmes et de ses hommes rassemblés autour de lui. Tous de brillants esprits.. A moins qu’il n’ait simplement repéré ces jeunes prometteurs avant de leur mettre le pied à l’étrier.

Il y a son ancien conseiller à Bercy Jean-Jacques Barbéris, l’un des dirigeants du géant d’actifs Amundi, l’ex-secrétaire d’Etat à la transition numérique Cédric O, qui fut son assistant parlementaire, puis son conseiller, ainsi que Constance Rivière, l’architecte de son réseau d’experts au cours de la campagne présidentielle de 2012. “Je pratique ce que les Anglo-Saxons appellent le ‘talent scouting’ [la recherche de talents], explique l’ex-commissaire européen. Je n’ai jamais eu peur de donner des responsabilités aux jeunes. Et à mon âge, on doit transmettre.” Manifestement, la “bande à Mosco” lui en est reconnaissante.

Tout le monde le lui avait dit, il "s’emmerderait" à la Cour des comptes. En 1984, Pierre Moscovici hésite. Sixième de sa promotion de l’Ecole nationale d’administration, il a l’embarras du choix. Quel grand corps rejoindre ? L’Inspection des finances ? Le Conseil d’Etat ? Ou peut-être la Cour des comptes…? “Pas la Cour, c’est un club de paresseux où vous allez vous emmerder”, lui assène Dominique Strauss-Kahn, alias DSK, son professeur à l’ENA. Mais le jeune homme passe outre. Au mois de juin, à 26 ans, il prête serment comme auditeur.

En 2019, son mandat de commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, à la fiscalité et à l’union douanière touche à sa fin. Le Président Emmanuel Macron et le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler le sondent sur ses envies. “Mosco” se rêve en premier président de la Cour des comptes. “Je les ai vu ouvrir des yeux ronds comme des billes, se souvient l’impétrant. Je voulais donc prendre la tête de cette institution poussiéreuse ?” Même l’ancien patron de l’ANPE Christian Charpy, alors président de la 1ère chambre de la Cour, tente de le dissuader: “Ne viens pas, tu vas t’emmerder”, lui lâche celui qu’il appelle affectueusement le “Schtroumpf grognon”.

"Le Français venu d'ailleurs"

Qu’importe. Le 11 juin 2020, Pierre Moscovici, revêtu de la robe noire bordée d’hermine et du jabot de dentelle, est installé en qualité de Premier président. Il est heureux. Fier et ému, aussi. Lui, le “Français venu d’ailleurs”, le juif ashkénaze viscéralement laïc et républicain, pense à son père et à sa mère disparus, deux intellectuels venus d’Europe de l’Est : Serge, le psychologue social né en Roumanie, Marie, la psychanalyste. Il pense aussi à ses quatre aïeux étrangers. Ses grands-parents maternels originaires de Pologne qui parlaient mieux yiddish que français. Ses grands-parents paternels émigrés très tôt en Israël. “Il éprouve une reconnaissance et un attachement extrêmement fort vis-à-vis de la République à laquelle il a toujours souhaité rendre un peu de ce qui lui avait été donné”, décrypte l’un de ses fidèles, l’ex-ministre de l’Intérieur Matthias Fekl.

Cinq années ont passé, et Pierre Moscovici, 67 ans aujourd’hui, ne s’emmerde toujours pas. Au contraire. “Je m’éclate”, affirme-t-il, sourire juvénile et silhouette longiligne. Depuis son arrivée, il a ouvert tout grand les portes et les fenêtres de l'institution presque bicentenaire de la rue Cambon. “Il a rendu la Cour aux Français qui peuvent désormais lui demander d’examiner certaines questions”, souligne son ami, l’ancien ministre de l’Education nationale Vincent Peillon. En choisissant de publier l’intégralité des rapports de la maison, son Premier président l’a placée sur l’avant-scène politico-médiatique. Sur le sujet, cet amateur de punchlines en a une toute prête : “C’est la rencontre entre un moment, un projet et, peut-être, un homme.”

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