«Sans cet argent, c’est bien simple, je n’aurais pas pu payer mon loyer!» Jusqu’à la faillite de son employeur, en juin 2022, ce cadre commercial au sein d’une agence immobilière du Val-de-Marne n’avait jamais entendu parler du régime de garantie des salaires (AGS). C’est pourtant cette structure qui lui a versé trois mois de rémunération consécutifs, à la place de son patron qui s’apprêtait à mettre la clé sous la porte. Ce que ce salarié ignore sans doute encore, c’est qu’il a bénéficié d’une exception bien française: cette assurance, qui intervient lorsqu’une entreprise entre en procédure collective (redressement, liquidation judiciaire) et qu’elle ne dispose plus des fonds suffisants pour payer ses travailleurs, est entièrement financée par les employeurs, qui cotisent obligatoirement au taux unique de 0,15%.

Né lors du premier choc pétrolier, alors que les faillites d’entreprises explosaient, ce régime est le plus protecteur d’Europe, puisqu’il couvre jusqu’à 82.272 euros de rémunération dans le cas des travailleurs affichant plus de deux ans d’ancienneté, et a par exemple accepté de verser, aux salariés concernés, l’indemnité inflation de 100 euros votée fin 2021. Les délais d’indemnisation sont, de plus, ultrarapides: l’organisme en charge de la mise en œuvre du régime, cogéré par l’Unédic et les syndicats patronaux Medef et CPME (on l’appelle la Délégation Unédic AGS, ou DUA), verse en effet les fonds requis en trois jours dans 94% des cas, quand la loi impose une échéance de cinq jours maximum.

Rien qu’en 2022, l’AGS a débloqué près de 1,14 milliard d’euros, destinés à indemniser 132.000 salariés. Ce nombre de bénéficiaires, en hausse de 43% sur un an, devrait continuer à croître cette année, au rythme des faillites d’ampleur que connaît actuellement le secteur de l’habillement (San Marina, Gap, Go Sport, etc.) ou de la fin des aides Covid. Selon les projections, les montants versés pourraient avoisiner les précédents records, à près de 2 milliards d’euros.

Le problème, comme la justice cherche d’ailleurs à le vérifier, c’est que cet amortisseur social en apparence sans reproche aiderait aussi à faire grassement vivre plusieurs des quelque 450 mandataires et liquidateurs judiciaires du pays, ceux-là mêmes qui, dans le cadre des procédures collectives engagées, formulent les demandes d’avances salariales auprès de l’AGS, avant de redistribuer les fonds aux travailleurs concernés. Car, quand il s’agit de rembourser à l’organisme ces créances, en utilisant les actifs récupérés des sociétés en faillite, ces professionnels se font plutôt tirer l’oreille.

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