
Le Cheylard : ses vieilles maisons à portes cloutées, ses 2 800 habitants, son château de la Chèze… et sa banque Delubac & Cie, dont le siège social est installé dans ce gros bourg de l’Ardèche depuis 1924, année de sa fondation par Maurice Delubac. «Avec 90 salariés, ici, nous sommes un gros employeur de la région. Nous avons 14 antennes partout en France, mais pas question d’oublier cet ancrage local ! » indique Elodie Trevillot, associée-gérante nommée en septembre dernier. Dans les bureaux parisiens situés, eux, à deux pas du palais de l’Élysée, cette ancienne de BNP Paribas n’oublie pas l’histoire d’un établissement toujours détenu par deux familles, les Delubac et les Bialkiewicz. Première associée extérieure à ces lignées, elle pilote 460 salariés, aux côtés de Serge et Joël-Alexis Bialkiewicz et de Jean-Michel Samuel-Delubac. Et les affaires tournent bien : avec un produit net bancaire (l’équivalent du chiffre d’affaires) de plus de 65 millions d'euros en 2023, la progression d’activité atteint 72 % sur un an !
Des banques comme celle-ci, à l’actionnariat familial, il y en a plusieurs à prospérer à l’ombre des géants du métier, au capital en partie détenu par des fonds de pension et des sociétés d’investissement internationales. Malgré les crises financières successives, et une réglementation toujours plus tatillonne, elles ont réussi à échapper à la concentration du secteur, initiée dans les années 1990. C’est ainsi qu’il reste possible de pousser la porte d’une des 11 agences de la banque Pouyanne, installée à Orthez (Pyrénées-Atlantiques). Ou d’ouvrir un compte à la Bami, un établissement dirigé par la famille Inchauspé depuis cinq générations, et dont l’essentiel des 13 agences se situe dans les Pyrénées-Atlantiques.
Les établissements familiaux doivent s'adapter en permanence
Certes, ces établissements ne sont plus qu’une poignée, et des centaines d’autres ont, au fil des années, été absorbés ou ont fait faillite. A l’image de la banque Majorel, fondée dans les années 1930 à Espalion (Aveyron). Surnommée la «banque des bougnats», celle qui avait accompagné de nombreux cafés et brasseries ouverts dans l’après-guerre a fini par succomber aux placements hasardeux de ses héritiers, lors la crise immobilière des années 1990. Les générations de banquiers se suivent, mais ne se ressemblent pas toujours. Et quand les descendants ne sont pas à la hauteur, ces banques familiales périclitent.
Pour ces financiers indépendants, pas d’autre choix en effet que de s’adapter, en permanence. «Chaque génération a eu pour mission d’innover», expliquent Julien et Marc Wormser, actuels dirigeants de Wormser Frères, une institution 100 % familiale de la place de Paris, fondée par leur arrière-grand-père Georges, en 1936. C’est ainsi que cet établissement aux 20 millions d'euros de produit net bancaire et 90 salariés a choisi d’abandonner la clientèle d’entreprise, pour se consacrer à la banque privée premium, autrement dit aux particuliers détenant au moins 1 million d’euros de patrimoine.
Les banques familiales développent un relation client «sur-mesure»
Pour se distinguer de BNP Paribas ou de la Société générale, ces banquiers font valoir leur service «sur mesure». Alors que chez les poids lourds du secteur, il n’est pas rare qu’un conseiller gère plus de 200 comptes, dans de telles banques familiales, il n’en aura que quelques dizaines. «A la fin de la journée, on a vu moins de clients mais on s’en est mieux occupé», précise Julien Wormser. Qui se sent d’autant plus aligné avec eux que la banque investit systématiquement dans les placements qu’elle propose.
Cette relation client, les établissements familiaux tiennent à l’entretenir sur la durée. «Dans les grands groupes, les chargés d’affaires tournent souvent tous les trois ans. Chez nous, cela n’existe pas», indique Elodie Trevillot, de Delubac & Cie. Ces conseillers suivent par ailleurs eux aussi des formations poussées, avec certification à la clé, pour acquérir une connaissance approfondie des différents secteurs et de leur écosystème.
Bien sûr, pour ces banquiers implantés localement, le carnet d’adresses est un plus. C’est ainsi qu’au Pays basque, ceux de la Bami et de "la Pouyanne" se font fort de trouver à leur clientèle de patrons aussi bien des locaux professionnels que les meilleures aides proposées par le département ou de la région. «Nous sommes avant tout des entrepreneurs, explique Elodie Trevillot. Nous connaissons leurs problématiques car nous avons les mêmes !» En 2024, quand sa banque a lancé Delupay, un système de paiement innovant via smartphone, elle a monté une véritable start-up, avec une équipe dédiée. «Nous avons vécu de l’intérieur les difficultés, les doutes. Voilà pourquoi aujourd’hui, nous comprenons mieux nos clients qui vivent la même chose», poursuit l’associée-gérante.
Dernier atout mis en avant par ces banquiers familiaux : la chaîne hiérarchique, très courte, qui permet une agilité dont ne font pas toujours preuve les grands groupes. «Chaque client est rattaché directement à Julien ou à moi, précise Marc Wormser, directeur général de Wormser Frères. Et comme nous avons une clientèle affûtée et au fait de la gestion de son patrimoine, elle nous challenge en permanence pour qu’on lui propose de nouveaux produits. Nos clients nous ressemblent et nous leur ressemblons !»
Les établissements se tournent vers des niches risquées mais rentables
Pour survivre, ces banques ont toutefois dû se tourner vers des niches délaissées par les grands groupes. Quitte à prendre quelques risques… Wormser développe par exemple des offres d’investissement dans le «non coté», tandis que Delubac & Cie, devenue «crypto-friendly», a lancé un service de conservation de bitcoins. La banque ardéchoise est même devenue incontournable dans le business avec les pays sous le coup de sanctions internationales. Alors que les grands groupes craignent les représailles des autorités américaines (en 2014, BNP Paribas avait dû payer aux Etats-Unis 9,2 milliards d’euros d’amende pour avoir travaillé avec l’Iran, le Soudan et Cuba), cette banque, qui n’a pas d’antenne aux Etats-Unis, ne se prive pas d’accompagner les entreprises françaises intéressées par ce type de business. A la condition, toutefois, de ne financer que des secteurs exemptés de sanctions, comme la santé ou la pharmacie. Le tout avec le soutien de Bercy, trop heureux de disposer d’une banque prête à favoriser l’export.
Risqué, le pari n’en est pas moins rentable : ces transactions complexes sont facturées cinq fois plus cher que la normale. «Les banques familiales sont essentielles au système bancaire car nous avons une approche différente, nous faisons des choses que les grands groupes ne peuvent pas faire», conclut Elodie Trevillot, qui souligne le risque de monopole bancaire. Même en banque, small is beautiful…
Chez Wormser Frères, on investit dans les mêmes produits que les clients

Julien (à gauche) et Marc Wormser représentent la quatrième génération à la tête de cette institution parisienne, spécialisée dans les activités de banque privée pour gros patrimoines.
- Siège : Paris
- Année de création : 1936
- Produit net bancaire : 20 millions d’euros
- Salariés : 90
Chez Delubac & Cie, un siège en Ardèche, et un service de bitcoins !

Cette banque est dirigée par Elodie Trevillot (associée-gérante), aux côtés des gérants familiaux Jean-Michel Samuel-Delubac, Joël-Alexis Bialkiewicz et Serge Bialkiewicz (de haut en bas).
Siège : Ardèche
Année de création : 1924
Produit net bancaire : 65 millions d’euros
Salariés : 460
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