
Quarante-trois stylos, qui dit mieux ? Alexandra, élève de 10 ans scolarisée à Clamart (Hauts-de -Seine), est très fière de sa collection de rollers Legami. «J’en ai reçu pour Noël et mon anniversaire. Et ma maman m’en achète quand je réussis une dictée.» La fillette n’est pas la seule à sacrifier au culte de cette marque italienne : du primaire au collège, les enfants rivalisent à travers la France pour dénicher, et collectionner, les derniers modèles. Le tout sous le regard bienveillant de leurs parents. Car à la différence des poupées ou des cartes Panini, ces stylos peuvent revendiquer une visée éducative, qui déculpabilise l’acte d’achat…
Il faut dire que la marque italienne sait habilement joindre l’utile à l’agréable. Côté face, le corps mince de ces stylos rechargeables aide à la préhension par de petites mains. Et leur encre effaçable facilite les corrections, et donc l’apprentissage. Côté pile, sa gamme, surtout inspirée de l’Arche de Noé, joue sur les couleurs et la variété. Tous les animaux de la création, du lama à l’ours en passant par l’hippopotame, sont susceptibles d’y figurer un jour, si ce n’est déjà fait.

Les stylos Legami dopés par l'effet collection chez les enfants...mais aussi les adultes
Pas étonnant, dès lors, que ses modèles, souvent offerts en cadeau, disparaissent en un éclair des rayons et du site de vente en ligne de la marque. «Legami a révolutionné le monde de la papeterie, en transformant les objets du quotidien en expériences émotionnelles», résume un porte-parole de l’entreprise, fondée en 2003 par Alberto Fassi. Cette tendance à collectionner, qui a le mérite de désaisonnaliser les ventes, gagne même les adultes, à en juger par le prix de revente des modèles les plus rares : un assortiment de trois stylos estampillés «Noël 2022» a ainsi grimpé jusqu’à 250 euros…
Redonner goût à l’écriture, voilà qui n’est pas un mince exploit, alors que, des surligneurs aux stylos-feutres, en passant par les marqueurs, le marché décline. La faute à la numérisation des entreprises, qui plombe les ventes de fournitures de bureau, tandis que la baisse de la natalité fait perdre 100.000 élèves par an au marché. Seule la rentrée des classes reste un rendez-vous incontournable. Et bonne nouvelle pour les professionnels: après plusieurs années de baisse, les ventes de fournitures scolaires semblent retrouver de la croissance pour cette rentrée 2025. D'après les premières remontées en direct des hypermarchés, les Français ont déjà acheté plus de 110 millions de stylos et autres cahiers, c'est à dire 3% de plus qu'à la même date l'an dernier, pour un total de 337 millions d'euros (+1,3%), selon des données NielsenIQ pour l'AIPB (Association des industriels de la papeterie et du bureau). Une tendance qui reste à confirmer sur les ventes du 25 août au 6 septembre, qui pèsent pour près d'un tiers dans les chiffres de la rentrée scolaire…
Bic a des atouts pour contrer l'effet Legami
Dans ce marché compliqué, seul le segment des «rollers», dont l’encre liquide glisse facilement sur le papier, se porte bien : surtout grâce à l’effet Legami, la catégorie a bondi de 36% en volume sur un an, au premier semestre 2025, selon l’institut GFK. Avec leurs capuchons ludiques, les stylos de la marque ont aussi de quoi – sur le papier – ringardiser Bic, connu pour son Cristal, ce stylo dit «ball point» dont le tube transparent permet de visualiser le niveau d’encre…
Sauf que le géant français, numéro deux mondial du secteur – derrière l’américain Newell Brands (gammes Parker ou Paper Mate) – garde plusieurs atouts dans sa manche. A commencer par sa notoriété, qui lui a valu d’être élu, en 2025, marque préférée des Français selon un sondage OpinionWay. Il devient ainsi le seul industriel hors alimentaire à décrocher ce titre, en quinze ans de classement. La fiabilité de ses modèles est aussi reconnue.

Fabriqué en France...
Le fameux quatre-couleurs bleu-rouge-vert-noir, qui promet jusqu’à six kilomètres d’écriture, s’arrache ainsi toujours dans les écoles ou dans les entreprises. Stylo le plus vendu au monde, le Cristal garantit quant à lui deux kilomètres d’écriture, pour un prix de 30 centimes. Imbattable, quand un Legami coûte en moyenne 1,76 euro, soit six fois plus. Pas étonnant qu’à la rentrée, un stylo vendu sur deux soit encore un Bic.
Mais ne comptez pas sur le leader français pour multiplier les références : le groupe familial, qui continue à produire dans l’Hexagone 80% de ses instruments d’écriture, notamment dans son usine de Montévrain (Seine-et-Marne) privilégie plutôt les gros volumes. «Soumis à de fortes exigences sociales ou environnementales, les industriels ne peuvent pas sortir de leurs usines de l’Hexagone de nouveaux modèles aussi vite et fréquemment que les importateurs, qui travaillent avec une myriade de sous-traitants asiatiques à bas coût. D’où une gamme plus étroite», explique Christophe Le Boulicaut, directeur général France de Stabilo et vice-président de l’AIPB (Association des industriels de la papeterie et du bureau).
...contre fabriqué en Chine
Rien de tel chez Legami, qui fait fabriquer en Chine, et dont la démarche n’est pas sans rappeler celle de la fast fashion, dans le textile. «Ce mode de production permet de répondre à des goûts et à des émotions multiples», justifie la direction de l’entreprise. Mais si l’italien a intérêt à multiplier les nouveautés, c’est aussi parce que sa cible privilégiée est plus restreinte. Bettina, professeure d’anglais dans le secondaire, le confirme : «Le design des Legami séduit surtout les enfants. A partir de la sixième, les enseignants tendent à les interdire, car ils sont effaçables et facilitent la triche lors des contrôles. Arrivés à l’adolescence, les élèves privilégient donc les modèles Bic.»
L’industriel français ne se prive toutefois pas de la possibilité d’agrémenter sa production de quelques séries limitées. Son quatre-couleurs a ainsi eu droit à des éditions spéciales Astérix et Roland-Garros, et même à une version sandwich kebab, lancée à la suite d’un pari passé sur les réseaux sociaux. Le fabricant signe aussi des collaborations prestigieuses, telle celle avec Tournaire, un joaillier de la place Vendôme qui a redesigné un quatre-couleurs vendu à 390 euros… Autant d’opérations qui s’ajoutent aux déclinaisons colorimétriques du modèle, vendues au prix habituel. «C’est un moyen de créer un effet collection et de faire évoluer le quatre-couleurs, sans pour autant changer son design», indique Céline Boussougant, directrice marketing France et Benelux.
Résultat ? En 2024, sa division Human Expression (qui regroupe les instruments d’écriture, mais aussi des activités plus marginales de tatouage éphémère, de coloriage ou d’écriture numérique) a gagné 1,4 point de part de marché en France, pour un chiffre d’affaires mondial de 814 millions d’euros, en hausse de 5%.

Des réseaux de distribution différents pour Bic et Legami
Pour conserver ses positions, l’industriel français peut de plus compter sur son vaste réseau de distribution, avec près de 20.000 points de vente rien qu’en France, qu’il s’agisse de grandes surfaces, de papeteries, de bureaux de tabac ou de sites d’e-commerce… Moins bien représentée dans les boutiques multimarques, du fait de sa jeunesse et d’une cible plus restreinte, la marque Legami cherche, elle, à s’appuyer sur des magasins à son nom.
En quelques mois, l’Italien a ainsi ouvert cinq boutiques dans l’Hexagone, dont celle du Forum des Halles, à Paris, qui ne désemplit pas, même en plein été. «Hier, les 50 modèles Astronaute arrivés le matin sont partis dans la journée. J’attends le réassort», déclare la gérante Fatoumata, qui reçoit tous les jours de quoi renouveler son stock. Son best-seller ? L’assortiment de quatre stylos représentant des animaux de la ferme.
Dans les boutiques de l’enseigne, les rollers ne constituent d’ailleurs qu’une petite partie des 5000 références, pour environ un quart du chiffre d’affaires. Le stylo y joue souvent le rôle de produit d’appel, pour mieux vendre ensuite trousses, gommes, taille-crayons, règles ou cahiers. Si bien que les enfants, venus pour un roller, repartent en moyenne avec cinq articles. Et que les parents qui les accompagnent craquent de leur côté pour une lampe de lecture, un gant démaquillant, une enceinte ou même des jeux de cartes érotiques. Pas sûr cette fois que Bic suive la marque sur ce terrain-là…
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