
« Réarmer l’Europe ». Tel est le plan dévoilé par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, en réponse au désengagement annoncé par les Américains en Ukraine. Un choc à 800 milliards d’euros promis par Bruxelles, qui tente à la fois de flécher des crédits vers les industriels de la défense (y compris pour des achats de matériels américains disponibles sur étagère), mais aussi de lever les nombreux verrous qui persistent dans l’accès au financement de ces entreprises, perçues comme des pestiférées par les marchés financiers jusqu’au début de la Guerre de en Ukraine.
Alors que la situation se tend sur la ligne de front, que le président Zelensky semble avoir définitivement perdu la confiance de l’administration Trump, comment l’Europe peut-elle reprendre la main, assurer la survie de l’Ukraine sans les Américains, et relancer ses entreprises de Défense sur le chemin de l’économie de guerre ?
"Ce n’est pas comme à l’époque des vaccins contre le Covid..."
Le premier "pilier" du nouveau plan européen prévoit ainsi de mettre 150 milliards de prêts à disposition des 27 pays de l'UE pour financer le renforcement de leurs capacités de défense. Mais avant de produire plus d’armes, encore faut-il que l’accès au financement soit réellement facilité. Or, sur ce point, le secteur avance à deux vitesses. « Les entreprises de défense ont besoin de fonds pour leur développement et cela suppose qu’il y ait une visibilité longue. Pour les grandes entreprises (KNDS, Dassault, MBDA…), globalement les banques suivent. Nous avons aussi pu monter des canaux de médiation avec la Direction générale de l’armement. Mais pour les petites entreprises, les banquiers restent d’un naturel plus prudent », souligne le général Jean-Marc Duquesne, délégué général du Gicat (groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres), qui fédère 480 entreprises générant un chiffre d’affaires global de plus de 9 milliards d’euros.
Il y a aussi le problème des effectifs. Pour répondre aux grands enjeux de l’économie de guerre, appelée de ses vœux par Emmanuel Macron depuis 3 ans, les industriels se sont réorganisés, mais cherchent encore à pourvoir des milliers de postes. « D’un point de vue des ressources humaines, environ 10% des postes ne sont pas pourvus », indique-t-on du côté du Gicat. Fin janvier, l'ingénieur général de l'armement, Alexandre Lahousse, chiffrait ainsi à « 10 000 » le nombre de travailleurs manquants au sein de toute la base industrielle et technologique de Défense.
Des bras en moins qui ont tout de même permis de monter en cadence sur des munitions importantes pour les Ukrainiens. Chez le missilier MBDA, « pour produire un missile Aster, il fallait 42 mois entre la commande et la livraison avant la guerre. Ils sont passés à 18 mois en 2025. Pareil pour les Mistral, ils pouvaient en produire 10 par mois en 2022, ils sont passés à 40 par mois. L’effort de guerre est là mais il repose encore trop souvent sur la trésorerie des entreprises. Ce n’est pas comme à l’époque des vaccins anti-Covid, où dès que le principe actif était développé, on pouvait ensuite produire en masse. Il y a beaucoup plus d’inertie dans la Défense », note le général Duquesne.
"Sonner le tocsin du réveil stratégique", dit le ministre des Armées
Et encore, si l’effort a été fait sur les munitions, même les plus complexes à produire comme le missile Aster dont une unité coûte entre 1 et 2 millions d’euros, pour ce qui est des véhicules, le delta entre la prise de décision et la livraison est encore plus grand. « À côté des banques, certains fonds d’investissement se penchent désormais sur le secteur, mais ils veulent aussi des garanties. Ils demandent par exemple si l’entreprise a déjà des contrats avec le ministère des Armées », confie Antoine Loze, ancien haut cadre en charge des finances chez Nexter.
Toujours est-il qu’avec le changement de stratégie de Donald Trump vis-à-vis de l’Ukraine, l’Europe semble enfin décidée (voire forcée) à avancer vers davantage d’autonomie stratégique. « J’ai bien aimé l’expression du ministre des Armées Sébastien Lecornu la semaine dernière : « Il faut sonner le tocsin du réveil stratégique ». C’est un test grandeur nature pour l’Europe. Et pour la France, cela montre qu’il faut resserrer les liens entre l’Armée et la Nation », commente Jean-Marc Duquesne.
En ce sens, l’ancien parachutiste accueille avec bienveillance le projet de loi porté par le Sénateur Pascal Allizard (LR) et d’autres confrères, visant à permettre de flécher une partie des encours des livrets A et LDDS vers l’industrie de défense française. Bercy et le ministère des Armées, préparent justement des annonces en ce sens pour le 20 mars prochain. « Ce serait une bonne façon de pérenniser ces enjeux de financement pour le secteur », note le délégué général du Gicat.
Car les spécialistes militaires ont dans un coin de leur tête un scénario tout à fait plausible : qu’un accord de paix ou une trêve arrachée entre l’Ukraine et la Russie n’ouvre une faille dans le dispositif de remontée en puissance. « Faute d’avoir une volonté claire d’accompagner le secteur, si la guerre venait à s’arrêter, même momentanément, il y aurait un risque de baisse d’intérêt de la population et des politiques pour l’armement », craint Antoine Loze. Les investisseurs pourraient à nouveau tourner le dos à l’industrie de Défense. Une politique de « stop & go » qui pourrait s'avérer fatale pour les petits industriels de l’armement français, dont les grands donneurs d'ordre dépendent pourtant.



















