
Depuis quelques mois, les syndicats de la fonction publique voient rouge… Mais ce n’est ni à cause de la réforme des retraites, ni en lien avec la revalorisation du point d’indice. Non, la cible de leur courroux n’est autre qu’Alan, un jeune assureur santé qui collectionne les contrats auprès des ministères. En mai dernier, la start-up a ainsi remporté la couverture complémentaire des 130 000 agents du Ministère de l’économie et des finances. En septembre 2024, c’est avec les services de Matignon qu’elle signait, pour couvrir 15 000 salariés, dont ceux de la Cnil ou de l’Arcom. Un peu plus tôt, en juin 2024, c’est avec le ministère de la Transition énergétique que l’affaire se faisait, pour 65 000 fonctionnaires couverts.
En tirant profit d’une réforme initiée en 2019, qui oblige les ministères à souscrire pour leurs agents une seule mutuelle collective à adhésion obligatoire (alors que jusqu’ici, chaque fonctionnaire choisissait librement son contrat individuel, souvent parmi des mutuelles référencées), ce petit poucet a délogé des poids lourds solidement installés, comme la MGEN ou la Mgéfi, une mutuelle du groupe Matmut. Un camouflet suffisant pour faire réagir les syndicats, proches de ces assureurs. La CGT a ainsi fustigé un «opérateur assurantiel à but (très) lucratif», financé par «des fonds spéculatifs».
Alan propose des services différents qui séduisent
Du rififi dans la complémentaire santé ? Avec Alan, les assurés sont servis ! La start-up a tout d’abord été la première société indépendante depuis trente ans à décrocher son agrément auprès de l’ACPR, la tatillonne autorité de régulation du secteur, en 2016. Les services qu’elle promeut, par ailleurs, sont en passe de devenir les nouveaux standards du métier. C’est par exemple le cas, côté salariés, du remboursement des frais de santé en 24 à 48 heures. Ou bien, côté employeurs, de la souscription du contrat en ligne, possible en 5 minutes chrono pour les PME.
Mais la mutuelle s’est aussi distinguée, donc, en raflant plusieurs des très convoités appels d’offres ministériels. «Cette réforme n’était pas vraiment prévue au programme, admet Fabrice Staad, le directeur général d’Alan. Pour autant, Alan est l’exact reflet de la vision que nous en avions en 2016, celle de proposer un service différent en investissant massivement dans les technologies.»
Sa cible ? La fonction publique et les entreprises
Et des capitaux, il en a fallu pour développer ces outils : ses puissants financeurs, comme les fonds de capital-risque Index Ventures et Temasek, ou le fonds de pension canadien Ontario Teachers Pension Plan, ont injecté près de 800 millions d’euros au total. Mais aujourd’hui, alors qu’Alan a perçu près de 275 millions de primes en 2024, la start-up est devenue une licorne, évaluée à 4 milliards d’euros.
Rien ne prédestinait pourtant les deux fondateurs, Jean-Charles Samuelian-Werve (37 ans), et Charles Gorintin (38 ans), à réinventer ce métier. Après une première vie professionnelle, dans l’aéronautique pour le premier, et la tech pour le second, ces ingénieurs passés par l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées entre 2007 et 2010, se penchent sur le cas d’Oscar Health, une start up américaine ayant simplifié l’assurance santé.
Ils en gardent l’idée d’un nom simple à retenir, facile à exporter et susceptible d’humaniser le secteur : Alan. Mais, contrairement à Oscar, qui visait les contrats individuels, le duo décide de s’intéresser aux régimes collectifs, rendus obligatoires dans les entreprises en 2016, puis la fonction publique à partir de 2024. La suite n’est qu’une succession de contrats, d’abord auprès de petites entreprises, notamment de la Tech (Lydia, Qonto, Deezer, Backmarket, BlaBlaCar…), puis de grosses sociétés, dans la distribution (Etam, Cultura, Celio), les services à la personne (Vitalliance), ou le conseil (Sia).
Des innovations proposées aux assurés
Ces assurés, Alan les soigne tout particulièrement : «Son application mobile obtient la note record de 4,9/5 dans toutes les AppStores, observe Florian Graillot, fin connaisseur du secteur, et co-fondateur d’Astorya Venture Capital. Les concurrents tournent en moyenne autour de 3, et les meilleurs dépassent difficilement la note de 4.» Il faut dire qu’Alan multiplie les services, comme la téléconsultation, la « linique Alan» (un chat médical nourri à l’IA), ou une offre de lunettes et de parapharmacie à prix négociés… Dernière innovation en date, au printemps : Alan Play, une fonctionnalité de prévention, proposant des challenges collectifs. «40 % des utilisateurs de l’appli l’ont déjà activée, commente Fabrice Staad. Nous sommes convaincus que cela peut avoir un impact sur leur santé et leur bien-être.» Et donc sur l’évolution de leurs dépenses de soins.
Mais la société, qui se targue de répondre en 5 minutes, en moyenne, aux questions de ses assurés, pourra-t-elle maintenir une telle qualité de service, alors qu’avec les contrats glanés dans les ministères, le nombre de clients a bondi de 350 000 en 2023, à plus de 700 000 ? Et ce, sans compter les ayant-droit de ces assurés, ni les retraités de ces ministères, eux aussi affiliés… «Quand nous avons répondu aux appels d’offres de la fonction publique, nous couvrions déjà plusieurs entreprises de plus de 10 000 salariés», indique Fabrice Staad. Les experts se veulent aussi rassurants. «Ce n’est pas vraiment un sujet, estime Florian Graillot. Au plan technologique, gérer un gros compte de 130 000 bénéficiaires n’est pas plus compliqué que de le faire pour 30 000 PME de 20 salariés.»
Un bug serait cependant d’autant plus mal venu que pour ces appels d’offres, Alan n’a pas été le moins cher, et a mis en avant son expertise. «Les employeurs publics sont amenés pour la toute première fois à déployer des contrats de santé collectifs, explique Fabrice Staad. C’est un enjeu de conduite du changement énorme. Nous avons montré notre capacité à accompagner leurs équipes RH.»
Ses concurrents lui savonnent la planche
Les concurrents évincés, eux, ne sont pas privés de savonner la planche à Alan. La MGEN et la Mgéfi, les deux mutuelles historiques du ministère de la Transition écologique et de Bercy, ont ainsi contesté l’attribution de ces marchés devant le tribunal administratif, avant d’être déboutées. Parmi les motifs de ces recours : en déficit depuis sa création (la société affichait 34 millions de pertes en 2024), Alan ne présentait pas de garanties financières suffisantes. «Nous visons l’équilibre financier en 2026 en France et en 2027 pour le groupe (ndlr : Alan se développe en Belgique, en Espagne et au Canada). Nos fondamentaux techniques sont sains : nous ne vendons pas à perte», assure Fabrice Staad.
Mais ces adversaires verraient aussi d’un mauvais œil la proximité des dirigeants d’Alan avec la sphère politique. Fabrice Staad a ainsi été conseiller technique dans des ministères sociaux au début des années 2010, tandis que les fondateurs sont membres fondateurs de Mistral AI au côté de Cédric O, ex-trésorier d’En Marche, et ex-secrétaire d’Etat en charge du numérique (2019-2022). «Les mutuelles ont beau jeu de critiquer cet entregent politique, sourit un concurrent. Car Alan ne fait que reprendre leurs bonnes vieilles recettes.» Comme quoi, on ne peut pas toujours innover !
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